FERMETURE ANNONCEE DU BUREAU DU TRIBUNAL DE LA HAYE EN RCI : Quand la CPI enterre un cadavre en laissant ses pieds dehors
Après plus de dix ans de présence sur les bords de la lagune Ebrié, la Cour pénale internationale (CPI) a récemment annoncé la fermeture de son bureau en Côte d’Ivoire d’ici mi-2025. Une décision qui réjouit les autorités d’Abidjan qui y voient une montée en puissance des juridictions nationales, mais qui suscite l’inquiétudes des parents des victimes en raison de questions restées en suspens après l’acquittement de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé par le tribunal de La Haye. Mais, même si la Cour s’est voulu rassurante en assurant que ce départ ne signifie pas la fin des enquêtes sur les crimes commis au pays d’Houphouët Boigny suite aux violences postélectorales de 2010-2011, on ne peut s’empêcher de se demander si le second volet des investigations qui concerne l’autre partie au conflit, c’est-à-dire la rébellion des Forces nouvelles qui a soutenu le président Alassane Dramane Ouattara (ADO), pourra rebondir avec le même retentissement au point de donner des résultats probants.
A moins de vouloir se faire harakiri, on ne voit pas comment ADO pourrait livrer ses partisans à la CPI
On est d’autant plus porté au pessimisme qu’au-delà des questions budgétaires et de réorganisation stratégique qui ont motivé la décision de la Cour, la coopération judiciaire entre le Tribunal pénal de La Haye et Abidjan s’en est trouvée aujourd’hui fragilisée. En tous les cas, on ne voit pas le président ADO scier la branche sur laquelle sont assis ses partisans en livrant facilement ces derniers à la Justice internationale. C’est dire si la CPI qui a toujours clamé son impartialité dans le dossier ivoirien, n’est pas loin de se retrouver aujourd’hui dans l’embarras avec un dossier traité à moitié. Un peu comme si elle enterrait un cadavre en laissant les pieds de ce dernier dehors. Toute chose qui, dans le cas d’espèce, pourrait porter atteinte à la crédibilité de la Cour. Car, elle a toujours soutenu que les enquêtes se menaient dans les deux camps. Et si elle a pu mener le dossier du camp Gbagbo à son terme dans les conditions que l’on sait, il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement pour le camp adverse. Or, dans le contexte actuel, à moins de vouloir se faire harakiri, on ne voit pas comment le président ADO pourrait livrer ses partisans aux fourches caudines de la Justice internationale sans se tirer une balle dans le pied en n’ayant pas l’assurance qu’il ne sera pas lui-même éclaboussé. Et puis, il y a que la Côte d’Ivoire est aujourd’hui dans la dynamique de la réconciliation nationale qui s’est traduite, entre autres, par le retour des exilés politiques et des grâces présidentielles et autres mesures d’amnistie en faveur de justiciables lourdement condamnés par la Justice ivoirienne. C’est dire si le contexte actuel ne milite pas objectivement en faveur d’une résurgence du dossier ivoirien à la Cour de La Haye. C’est à se demander même si en annonçant que les enquêtes se poursuivent, la CPI ne cherche pas plutôt à se donner bonne conscience.
La fermeture annoncée du bureau de la CPI à Abidjan, sonne comme la fin des poursuites contre les éventuels auteurs des crimes
Car, si au temps fort de la crise, elle n’a pas pu réunir les éléments de preuves, on se demande si treize ans plus tard, elle est encore capable de le faire. Toujours est-il que sans la coopération pleine et entière d’Abidjan, ses efforts semblent voués à l’échec. D’autant plus que ses enquêteurs n’ont pas les pouvoirs de police qui leur permettraient de perquisitionner, de lancer des sommations à comparaître encore moins d’arrêter des suspects. Autant dire que la CPI elle-même, a quelque part les mains liées dans cette affaire. Et, en creux, cette façon de se retirer sur la pointe des pieds, n’est pas loin d’être un aveu d’impuissance. Même si c’est une décision qui ne manquera pas de conséquences sur l’image de l’institution judiciaire internationale dans un dossier où elle a souvent été soupçonnée de rouler pour un camp, celui des vainqueurs, quand elle n’était pas accusée de se laisser instrumentaliser à des fins politiques. Et l’on comprend d’autant plus l’inquiétude et l’amertume des parents des victimes que la fermeture annoncée du bureau de la CPI à Abidjan, sonne comme la fin d’un épisode et celui des poursuites contre les éventuels auteurs des crimes de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, avec ses trois mille morts qui ne sont pas loin de passer par pertes et profits, si aucun coupable n’est finalement trouvé. De quoi se demander si l’on saura jamais un jour la vérité dans cette macabre affaire. En attendant, la Côte d’Ivoire s’emploie à panser ses plaies et semble résolue à tourner la page de cette crise qui est l’une des plus sombres de son histoire.
« Le Pays »