GREVE DES AVOCATS CONTRE LES ARRESTATIONS ARBITRAIRES EN GUINEE : Le Barreau peut-il faire fléchir l’homme fort de Conakry ?
Depuis le 16 juillet 2024, les hommes en robe, ont déserté les prétoires à Conakry et dans les autres juridictions de la Guinée. Les avocats qui comptent étaler, sur la durée, leur mouvement d’humeur jusqu’au 31 juillet prochain, entendent ainsi « protester contre les arrestations arbitraires et autres kidnappings suivis de détentions au secret de citoyens guinéens ». Ce mouvement est consécutif à l’arrestation, le 9 juillet dernier, de deux responsables d’un mouvement citoyen réclamant le retour des civils au pouvoir, en l’occurrence Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah. La mise en taule des deux leaders de la société civile n’est que la dernière manifestation de ce qui est devenu le mode de gouvernance du colonel Mamady Doumbouya depuis qu’il s’est débarrassé, à travers une révolte de palais, de son mentor, le président Alpha Condé, pour s’installer en septembre 2021 dans le fauteuil présidentiel. En effet, le pouvoir kaki en Guinée réprime toute voix discordante, surtout si elle appelle au retour du pouvoir d’Etat aux civils. Toutes les forces organisées en Guinée ont fait les frais de la paranoïa du régime, depuis le FNDC (Front national pour la défense de la Constitution) dissous en 2022, jusqu’aux grands partis politiques en passant par les médias.
La scène politique guinéenne est l’une des plus incandescentes du continent
C’est donc une chape de plomb qui s’est abattue sur la Guinée, rappelant les heures sombres de la dictature de Sékou Touré avec ses sinistres camps de détention comme le camp Boiro. Mais les Guinéens n’entendent pas retourner dans les abîmes de l’Histoire et le mouvement des avocats est, sans aucun doute, l’une de leurs ruades pour résister à l’oppression qu’ils ont toujours rejetée. Et on peut dire que les hommes en robe sont dans leur rôle. Mieux, ils défendent une cause noble : celle des libertés individuelles et collectives. Mais la question que l’on peut se poser, est la suivante : réussiront-ils à faire fléchir le pouvoir kaki ? Il est, sans doute, trop tôt pour répondre à cette question. Mais il faut dire que le mouvement des avocats intervient à un moment crucial de la vie de l’institution judiciaire en Guinée : l’épilogue du jugement du massacre du 28- Septembre. Ce mouvement laisse planer ainsi le doute sur la fin de ce procès très attendue. Mais cela peut-il émouvoir Mamady Doumbouya ? Quoiqu’il en soit, si l’homme ne mord pas à l’appât des menaces qui planent sur le procès de Dadis Camara et ses compagnons, peut-être se montrera-t-il, au moins, sensible à la souffrance de ses compatriotes qui seront privés des services judiciaires pendant tout le temps que durera la grève des avocats. En attendant de le savoir, cette grève, comme tous les soubresauts aboutis ou étouffés qui ont jalonné la marche de la transition guinéenne, vient rappeler à Mamady Doumbouya qui est arrivé comme un messie après avoir mis fin au troisième mandat d’Alpha Condé, qu’il est en train de briser lentement mais surement le capital de sympathie dont il bénéficiait auprès de ses compatriotes.
Le colonel Mamady Doumbouya danse sur un volcan
Et cela devrait constituer pour lui un avertissement quand on sait que la scène politique guinéenne est l’une des plus incandescentes du continent. C’est dire que le colonel danse sur un volcan dont l’éruption peut être aussi surprenante que meurtrière. C’est en raison de ce fort risque que Doumbouya devrait se dépêcher de trouver les moyens d’apaiser le climat sociopolitique dans son pays en initiant un dialogue avec le Barreau qui, en fait, mène par procuration, la bataille de la classe politique embastillée. Au-delà des avocats qui ont « acheté la bagarre », ce sont les acteurs qu’il faut inviter sous l’arbre à palabre pour tracer le chemin du retour à l’ordre constitutionnel normal. Car, contrairement aux autres pays de la sous-région dirigés par les pouvoirs militaires et qui se battent contre l’hydre terroriste, la Guinée ne peut se prévaloir d’aucun argument solide pour végéter, de façon indéterminée, dans une transition qui n’a plus de boussole. Cela dit, en attendant que Doumbouya se décide à tendre la main à ses opposants ou qu’il y soit contraint, il existe des forces organisées dans le pays ou en dehors, qui peuvent servir d’intermédiaires afin de ramener la sérénité. Au nombre de ces forces, l’on peut citer les leaders religieux. On se rappelle qu’en 2023, ces derniers avaient réussi une médiation entre l’opposition et le régime militaire, qui s’était soldée par une annulation des manifs initialement prévues et l’élargissement d’opposants incarcérés. On peut donc espérer qu’ils rééditeront cet exploit en amenant les avocats et les autorités du pays à s’asseoir autour d’une même table afin de fumer le calumet de la paix. Dans la même veine, le médiateur désigné de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, Yayi Boni, devrait s’inviter dans la danse. Car, s’il est vrai que la grève en cours n’est pas menée par des acteurs politiques, elle a tout de même des relents politiques. Et il n’est malheureusement pas exclu qu’elle ouvre la boîte de pandore quand on sait que la Guinée a toutes les allures d’une poudrière qui peut très facilement s’enflammer.
« Le Pays »