INVESTITURE DE CYRIL RAMAPHOSA : Une occasion pour l’ANC de se ressaisir
C’est hier, 19 juin 2024, que Cyril Ramaphosa, réélu président de l’Afrique du Sud, a prêté serment, à Pretoria, devant l’Assemblée nationale à l’occasion de sa première séance et ce, en présence de nombreux chefs d’Etat africains. Dans son discours, il a promis aux Sud-africains de mieux faire. Pour lui, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre avec la formation du futur gouvernement d’union. On le sait, le leader de l’African National Congress (ANC), âgé aujourd’hui de 71 ans, n’a pu conserver son fauteuil présidentiel qu’aux termes de longues tractations qui ont finalement abouti à un compromis avec la principale formation politique de l’opposition, l’Alliance démocratique (DA). Faut-il le rappeler, le parti de Nelson Mandela a été contraint au partage du pouvoir après la bérézina qu’il a connue lors des dernières élections législatives, et ce, après trois décennies de règne sans partage sur la scène politique. En effet, l’ANC n’a pas pu conserver la majorité absolue qui lui permettait de tenir seul la barre du navire sud-africain, n’ayant récolté que 40,21% des suffrages exprimés. Le parti paie ainsi cash pour avoir brisé une bonne partie de son capital de sympathie auprès de l’électorat, par une gouvernance aux antipodes des valeurs que le parti a toujours prônées.
L’ANC doit opérer sa mue
Les héritiers de Madiba ont, en effet, vendangé son héritage, non seulement en éclaboussant la scène politique sud-africaine par leurs frasques où s’entremêlent corruption et détournements, mais aussi en perpétuant dans la gestion des affaires de l’Etat, l’apartheid sans les Blancs par une accentuation des inégalités sociales. La question que l’on peut donc légitimement se poser, est la suivante : le nouveau mandat de Cyril Ramaphosa permettra-t-il d’apporter un peu de lumière au tableau noir de la gouvernance de l’ANC ? Il est difficile, à l’entame de ce mandat, de répondre avec certitude à la question surtout qu’il est ancré dans les esprits qu’en politique, « le molosse ne change jamais sa façon éhontée de s’asseoir », pour paraphraser l’écrivain. La seule certitude que l’on peut avoir en ce moment, est que les défis sont énormes. Et le premier de ces défis est celui de la cohabitation politique avec la DA qui est un parti essentiellement de Blancs et d’obédience libérale. Même si l’ANC se veut rassurant en se disant « prêt à mettre de côté les divergences politiques, à trouver des moyens innovants pour travailler ensemble dans l’intérêt de la nation » et que la DA apprécie le gouvernement multipartite comme la « meilleure opportunité pour le pays d’obtenir la stabilité et une bonne gouvernance », il n’en demeure pas moins que ces deux principales formations politiques trainent l’antagonisme historique de l’apartheid avec des séquelles qui résistent au temps. La perspective que les Blancs qui détiennent déjà le pouvoir économique, se rapprochent à nouveau du pouvoir politique, n’est certainement pas bien vue par toutes les forces de l’ANC dont certains transfuges radicaux comme Julius Malema et autres.
Cyril Ramaphosa doit secouer le cocotier
Mais au-delà des difficultés de la cohabitation politique, le plus grand défi pour Cyril Ramaphosa sera de relever une économie nationale qui montre des signes d’essoufflement et surtout de donner du travail à la jeunesse du pays. Dans une Afrique du Sud qui se présente comme la seconde puissance industrielle du continent, le chômage frappe pas moins du tiers de ceux qui sont en âge de travailler, en l’occurrence les jeunes. La pauvreté est devenue la lèpre sociale qui rogne le tissu social qui traduit toute sa fragilité par les explosions de violences et de criminalité qui sont en phase de devenir un label sud-africain. En tout cas, le nouveau mandat de Cyril Ramaphosa doit apporter des réponses urgentes à ces questions si l’ANC ne veut pas poursuivre sa dégringolade. Un troisième défi pour Cyril Ramaphosa serait de repositionner l’Afrique du Sud qui aspire à un rôle de leadership continental sur l’échiquier international. Le pays, après l’apartheid, a toujours affiché une politique étrangère largement orientée vers le renforcement des relations sud-sud, c’est-à-dire entre les pays en voie de développement. C’est sans nul doute dans cette dynamique que la nouvelle ère amorcée par les BRICS, devrait connaitre plus de prospérité pour apporter de nouvelles perspectives à l’économie et à la diplomatie sud-africaines et servir, au-delà de l’Afrique du Sud de locomotive à tout le continent. Cela dit, pour relever tous ces défis, l’ANC doit opérer sa mue. Car, le parti peine à convaincre les Sud-africains, après 110 ans, de sa capacité à se renouveler et à tourner la page des frasques et des scandales de corruption. Cyril Ramaphosa doit donc secouer le cocotier et revenir à l’idéal du parti tel que prôné et incarné par Madiba. Et pour ce faire, il doit, entre autres, tenir sa promesse de faire de l’ANC, une « organisation plus disciplinée » où les membres quitteront systématiquement leurs postes lorsqu’ils sont poursuivis pour des faits de corruption. C’est à ce prix que l’ANC pourra, à nouveau, générer des cadres charismatiques de la trempe des Nelson Mandela et autres Desmond Tutu.
« Le Pays »