La mère poule, la tortue et dame margouillat
«Les plus belles victoires sont celles qu’on a eu vraiment le plus grand mal à remporter. L’arrière-goût de la facilité est souvent amer». Ainsi disait ma grand-mère.
Depuis quelques semaines, N’Saba le Créateur, dans sa bonté, faisait agréablement tomber Saaga, la pluie bienfaitrice, sur la grande savane de Dunia.
Tendre et verdoyante, la nature se réveillait de sa longue léthargie, elle s’étalait triomphalement à travers tout le Mogho.
Restés longtemps secs et vides, les rivières et marigots regorgeaient d’eau, facilitant la tâche des adultes, faisant la joie des enfants.
De longues et joyeuses heures de jeux et de baignades se profilaient à l’horizon.
Avec des branches d’épines, les bergers du village réparaient les enclos qui retiendraient les bêtes récalcitrantes, la nuit, car bientôt les précieuses semences sortiraient des champs de mi1, de maïs et d’arachide.
Fièrement, le forgeron réparait les houes, les fauchettes, les dabas longtemps gardées dans les cases et les greniers, ou accrochées aux hangars.
Sur les surfaces cultivables, les paysans étalaient le fumier, se débarrassaient des arbustes trop encombrants.
Les femmes, de lourds fardeaux sur la tête, faisaient des provisions de bois dans l’attente des longues heures de pluie.
La nouvelle saison pluvieuse s’installait majestueusement au Mogho.
Dans le village des animaux de la grande savane de Dunia, c’était la grande période de ponte.
Au bord de la rivière, sous le soleil tropical, Kouri la tortue et dame margouillat creusaient chacune un trou pour y abriter bientôt leurs œufs pour la saison.
La sueur sur les fronts, les mains fermes et décidées sur les pioches, les deux dames de la savane besognaient sérieusement pour la survie et la descendance de la race.
Le canari sur la tête, fredonnant une douce mélodie du terroir, la mère poule qui passait dans les environs aperçut les deux travailleuses et amicalement vint les saluer.
– Bonjour les amies! dit-elle. Vous faites là un excellent travail, mes encouragements !
– Excellent tu penses ? Dis plutôt un travail fatigant ! Sous ce soleil, je ne te dis pas, râla dame margouillat.
– Ce sera bientôt les jours de ponte, alors avec mon amie nous construisons des abris pour mettre nos œufs en sécurité. Mère nature la généreuse se chargera de les faire éclore pour nous.
– Toi, tu ne connais pas les misères d’un tel labeur, ajouta dame margouillat en s’adressant à la mère poule. Vivre, se nourrir, procréer à la sueur de son front, quelle chance tu as, Ninsala, l’homme est toujours aux petits soins pour ton confort.
– Et à quel prix ! Si tu savais le sacrifice pour le gîte, le couvert et la protection. « Si dorée que soit la case de l’oiseau, il préfère toujours sa liberté », se détendit la poule.
– Je pense, ajouta la tortue, que chacun de nous sur cette terre a une croix à porter, si légère soit-elle. Certains portent la leur avec fatalité, d’autres avec dignité et espoir: c’est là, toute la philosophie.
– N’empêche qu’elle a une place de choix, la mère poule ! Moi, ça me plairait bien de vivre dans ton douillet poulailler et pouvoir bénéficier de ce traitement de faveur.
– Dans ma case, dit la mère poule, il y a plein de nids vides construits par Ninsala mon maître, depuis des saisons. Tiens ! Je pourrais vous inviter toutes les deux et vous épargner ce travail sous ce soleil.
– Merci à toi, mais je préfère ce travail qui, depuis des générations, assure ma descendance, dit la tortue.
– Avoir un nid douillet et sans effort pour pondre serait pour moi un rêve, fit entendre dame margouillat.
– Moi, suggéra la mère poule, je pourrais t’inviter, mais qu’en pensera et dira mon maître ?… Je ne sais pas quelle sera sa réaction lorsqu’il apercevra ta présence et celles de tes œufs.
– Qu’est-ce qu’il fait généralement avec tes œufs ? s’énerva dame margouillat.
– Mes œufs, il les protège jusqu’à ce que je les couve, ensuite mes poussins et moi sommes bien nourris et protégés. C’est lorsque ces derniers grandissent que mon malheur commence. Je les perds du profil de Ninsala, mais que voulez-vous, c’est à ma productivité que je dois ma vie et mon confort.
Trêve de paroles, ma bonne amie, invite-moi chez toi, insista dame margouillat.
La tortue intervint pour calmer son amie et la ramener à la raison.
– Ecoute la chanson du griot, dit-elle:
Protège et défends tes petits œufs
Comme la prunelle de tes yeux.
Méfie-toi de celui qui possède cent bœufs.
Il pourra être tenté par ton pauvre panier.
« Voici mes œufs »
Est préférable à « regardez nos bœufs ».
Au partage du troupeau,
On peut se retrouver avec un morceau de sabot.
Ainsi conseilla la tortue qui refusa cette aubaine de nids vides dans le poulailler de Ninsala, l’homme. Sous le soleil tropical, la tortue continua, seule, son travail. Dame margouillat s’en alla avec la mère poule pour inspecter le lieu de rêve.
Elle trouva ce coin idéal et fut séduite et émerveillée par le confort et le luxe. Elle se montra reconnaissante pour cette charmante proposition.
Quelques heures plus tard, dame margouillat s’installait paisiblement dans le poulailler à l’insu du propriétaire. Dame margouillat partageait avec joie le gîte et le couvert avec la mère poule.
Les jours passèrent et bientôt les deux consoeurs remplirent leur devoir de pondeuses.
Chacune avait fièrement une dizaine d’œufs dans son nid.
« Les riches ont souvent la manie de tourner sans but réel au milieu de leurs trésors ». ?
Un jour, Ninsala entra dans le poulailler et son regard de propriétaire se posa sur les œufs de dame margouillat.
– Que viennent faire ces petits œufs dans mon poulailler ? S’exclama-t-il.
Sans autre forme de remords, il ramassa les œufs de la rêveuse et les fit cuire pour ses enfants.
En rentrant, dame margouillat découvrit avec peine ce forfait.
La pauvre pleura toutes les larmes de son corps. Elle retourna chez la tortue qui, après son laborieux travail, attendait à présent la naissance de ses petits. Elle consola dame margouillat de son mieux car, pour elle, c’en était fini de la saison.
Dame margouillat comprit à ses dépens, que :
« Le fruit de la facilité est très souvent décevant ».
Les Contes de Dunia 2
Ousséni Nikiéma