LA NOUVELLE DU VENDREDI : A qui confions-nous l’éducation de nos jeunes filles
Jadis dans l’Afrique traditionnelle de nos aïeux, les détenteurs de pouvoir et d’autorité sous serment dans la case sacrée se forgeaient une conduite à tenir irréprochable, au risque de tomber sous la sanction des ancêtres.
Considérés comme des modèles à suivre, les éducateurs, conscients de l’impact de leurs faits et gestes dans la société et au regard du fait qu’ils sont censés guider la jeunesse, ils se devaient d’avoir une morale exemplaire.
De nos jours, les choses ont changé. Dans le monde éducatif, nous rencontrons souvent cette honteuse contradiction : Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais.
Il y a quelques mois, ma tante Koumba m’appela un beau matin et m’annonça :
- Je suis dans le désarroi, ta cousine Limata est enceinte de son professeur. Je ne sais que faire…
Quelques jours après, j’ai pris le chemin du village. Je ne savais vraiment pas ce que je pouvais faire, mais je voulais être auprès de ma tante veuve avec ses trois enfants. Mounia, sa première fille de 20 ans, est mariée depuis belle lurette et mère. Depuis, Tante Koumba, vendeuse d’arachide, se bat pour l’éducation des deux autres enfants. Chaque jour et chaque nuit, ma tante lutte pour la scolarité de Limata, âgée de 17 ans et élève en classe de 4e, et de son frère Arjouma, âgé de 12 ans et écolier en classe de CM2. Tante Koumba est une brave femme.
Arrivé au village, après avoir échangé avec Limata en larmes, je discutai avec la famille pour la conduite à suivre. Ce que j’apprendrai sur le phénomène des élèves abusées dans la région par leur professeur me troubla. Le cas de ma cousine était loin d’être un cas isolé dans la localité. C’était tout simplement une chose ordinaire. Dans les grandes villes du Burkina, la pratique honteuse est présente et discrète mais dans les campagnes, aidée sans doute par la précarité villageoise et la mentalité de résignation, la chose est presque devenue ordinaire. Les victimes chanceuses, prises dans le piège de responsables irresponsables et vicieux se retrouvent mères et épouses pas souvent heureuses. Les moins chanceuses se retrouvent mères célibataires et désorientées à peine sorties de l’adolescence.
En échangeant avec Limata, elle me confia :
– C’est mon professeur qui est l’auteur de la grossesse. Il m’aidait beaucoup. Je ne savais pas que je tomberai enceinte de lui. Il m’offrait des cadeaux, me rassurait et me disait tout maîtriser.
Quelqu’un dira que les jeunes filles dans l’illusion du jeu et de la séduction partagent une certaine responsabilité, mais je suis de l’avis de ma grand-mère qui disait souvent ceci :
« On ne peut forcer un chat à manger de l’herbe. Quant au bouc, on n’a même pas besoin de séduction pour le faire brouter ».
Convoqué par la famille et l’autorité locale coutumière un soir, témoin, je vis arriver monsieur Kayi, l’homme par qui le scandale est survenu, dans sa belle voiture de professeur de lycée et collège en compagnie d’un ami. Un homme de 36 ans et responsable vicieux.
Le salaud, dirait l’autre. Un homme marié et père dont la famille est à l’abri dans la capitale pour les études des enfants et qui, loin des siens, profite impunément de gosses dont la société paie pour éduquer et enseigner.
Après avoir reconnu son forfait et négocié sans doute à l’ombre avant la rencontre, il plaida coupable et pleura sa faiblesse pour avoir trébuché. Une sorte de consensus fut trouvée à l’amiable et n’étant pas au cœur des décisions familiales et villageoises, je m’abstins de tous commentaire et contradiction.
De retour en ville, à chaque fois que je pense à ma cousine Limata et à l’incertitude de son avenir scolaire par la faute de son professeur, je me demande ce que l’administration publique et la Justice réservent à ces éducateurs indélicats. Car finalement, je ne cesse de me poser cette question :
– A qui confions-nous l’éducation et l’instruction de nos jeunes filles ?
Ousséni Nikiéma
Tél. : 70 13 25 96