LA NOUVELLE DU VENDREDI : L’enfer du désert
Je rencontrais souvent Bala, un jeune vendeur d’ananas, chez un ami couturier. Bala avait un hangar au bord d’une avenue de la capitale et se faisait livrer chaque fin de semaine de beaux fruits des pays voisins. A 24 ans, Bala faisait modestement tourner son affaire en employant deux garçons de vente. A chaque fois que Bakar, mon ami couturier, et moi discutions avec le jeune homme, il se plaignait tout le temps de son frère aîné en Europe qui se la coulait douce au pays des Blancs. Un frère qui lui refusait son aide à aller l’y rejoindre.
Mon frère est un égoïste, un pur égoïste. A chaque fois que je lui parle de mon ardent désir de le rejoindre en Europe, il fait la sourde oreille. Surtout depuis qu’il m’a aidé à monter ma petite affaire, basta ! ces petits boulots qu’on fait ici, c’est de la merde, de la misère absolue. Alors que là-bas, c’est du vrai pognon. Mon frère est un égoïste…, tel était le coup de gueule de Bala.
Je tentai de le raisonner.
Tu sais, mon frère Bala, souvent, ce que vous pensez, est très loin de la réalité en Occident pour les immigrés. Peut-être que ton frère tente de te protéger…
Mon frère est simplement égoïste ! me répondit-il.
Un jour, Bakar lui dit :
Tu sais, Bala, il faut que dans ta tête, tu enlèves la réussite de ton frère pour ne compter que sur toi-même. Pense à ceux qui n’ont ni frère ni sœur pour leur apporter du soutien et qui pourtant s’en sortent à merveille par le travail. Tout est question de mentalité, et il faut que tu te forges un esprit de lutteur ne comptant que sur tes propres muscles.
Le jeune Bala écoutait, mais je me demandais par son regard évasif s’il accordait du crédit aux conseils de mon ami. Le temps passa et ne le voyant pas pendant un moment chez mon ami couturier, je demandai ses nouvelles.
Bala est dur d’oreille. J’ai eu ses nouvelles il y a quelques jours à travers son cousin. Bala est parti pour l’Europe. Il a pris la route dans l’intention de passer par la mer via le désert du Maghreb. Avant de s’en aller, il a pris le soin de liquider sa petite affaire. Bon Dieu ! dis-je tout bas. Deux années ont passé. Nous n’avions pas les nouvelles du jeune Bala. Souvent, je pensai à son ignorance de jeunesse et priai pour lui. Un soir, j’étais dans l’atelier de mon ami et nous discutions amicalement. Deux hommes sur une moto arrivèrent. Le conducteur aida l’autre à descendre. Péniblement, l’autre arriva à s’extirper de la moto. C’était Bala ou ce qui restait du jeune Bala. Un être famélique, le bras dans un plâtre, le regard vide, le teint cramé, la chevelure absente…
Bala ? De ces lèvres entrouvertes laissant apparaître une bouche sans une seule trace de dent, il nous lança cette terrible phrase :
L’enfer du désert vers le rêve européen …
Ousséni NIKIEMA, 70-13-25-96
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