MASSACRE AU DARFOUR : L’ex-chef des Janjawids rattrapé par son passé
Ali Mohammed Ali Abd-Al-Rahman alias Kushyab, un ex-chef de milice janjawid, a comparu le 5 avril 2022 à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI), deux ans après qu’il a été transféré de la République centrafricaine, où il s’était volontairement rendu, pour répondre des chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis au Darfour, entre 2003 et 2004. Les milices janjawids, faut-il le rappeler, sont les tristement célèbres cavaliers arabes à la solde du gouvernement de Khartoum, duquel ils recevaient ordres, financements et armements avec pour mission commandée de « nettoyer la zone ». Ces guerriers aux méthodes sorties du Moyen âge, se sont rendus coupables de nombreuses exactions sur les populations noires non-arabophones accusées d’être de mèche avec le Mouvement de libération du Soudan armé (SML-A) et le Mouvement pour la Justice et l’égalité (JEM), groupes rebelles à l’origine d’attaques contre les forces gouvernementales. Le bilan de cette épuration ethnique s’est soldé par des milliers de morts, environ 300 000 selon certaines estimations et 2,5 millions de déplacés.
Ce procès de Ali Mohammed Ali Abd-Al-Rahman alias Kushyab constitue un avertissement sans frais pour le général président
Même si ce procès vient rouvrir des blessures qui sont loin de se cicatriser, il faut s’en féliciter car il marque la fin de l’impunité pour des bandes criminelles qui, défiant toutes les valeurs morales de l’humanité, se sont illustrées par les plus abjects des comportements humains : pillages, tortures, viols, assassinats, transferts forcés de populations, etc. L’ouverture de ce procès vient ainsi confirmer le dicton populaire selon lequel « quelle que soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever ». L’heure approche donc, pour les victimes de confondre leurs bourreaux et d’en tirer toutes les ressources thérapeutiques morales pour soigner leur mémoire meurtrie par les atrocités de cette guerre du Darfour qui constitue l’une des plaies les plus purulentes de l’histoire récente de l’Afrique. La comparution du chef Janjawid devant la CPI, est d’autant plus à saluer qu’elle a une forte teneur pédagogique dans le contexte actuel du Soudan où le général Fattah al-Burhan, s’attachant les services des mêmes groupes criminels, massacre son propre peuple. Ce procès de Ali Mohammed Ali Abd-Al-Rahman alias Kushyab constitue donc un avertissement sans frais pour le général président qui pourrait se retrouver traqué par la Justice internationale comme son ex-mentor Omar el Béchir qui est, à n’en point douter, le véritable commanditaire de tous les massacres au Darfour. Mais s’il faut se réjouir de la comparution de Kushyab devant la CPI, l’on ne peut s’empêcher de nourrir des inquiétudes. La première des inquiétudes est relative aux preuves dont dispose la Cour pour étayer les accusations contre les milices janjawids dont la sordide œuvre ne serait que la mise en œuvre « d’une politique d’Etat » et « d’un plan criminel » établi par le gouvernement de Khartoum à travers le Conseil de sécurité national, l’organe suprême chargé des décisions stratégiques du pouvoir de l’ex-président soudanais, Omar el Béchir.
On peut se demander si toute la vérité sera dite dans cette affaire
Cette inquiétude trouve son fondement dans le fait que le gouvernement soudanais a toujours nié toute relation avec les milices arabes et s’est donc attelé à en dissimuler toutes les preuves. Et ce n’est pas le pouvoir soudanais actuel qui facilitera la tâche aux fins limiers de la Justice internationale parce que non seulement, il est l’héritier du pouvoir précédent avec lequel il partage l’entière responsabilité des atrocités commises au Darfour, mais aussi parce qu’il continue d’être l’allié stratégique des milices mises en cause. Il est donc fort à parier que le général al-Burhan ne se fera pas hara kiri en sciant lui-même la branche sur laquelle il est assis. La seconde inquiétude liée à ce procès est qu’il est un procès par procuration. En effet, Ali Mohammed Ali Abd-Al-Rahman n’est vraisemblablement qu’un menu fretin pris dans les rets de la Cour pénale internationale alors que la plus grosse prise, en l’occurrence Omar el-Béchir, est détenue par le gouvernement de Khartoum qui se garde bien de le livrer. Dans ces conditions, l’on peut se demander si toute la vérité sera dite dans cette affaire et par conséquent, si les véritables coupables seront punis. Enfin, l’on peut aussi avoir des inquiétudes face à l’âge du prévenu. Ali Mohammed Ali Abd-Al-Rahman est aujourd’hui âgé de 72 ans et quand on sait que le procès pourrait durer au minimum 3 ans, l’on peut légitimement avoir des craintes quant aux capacités physiques et intellectuelles de l’intéressé à supporter toutes les procédures y relatives. Au finish, l’on peut se demander s’il n’est pas tout simplement bon pour le tribunal divin. En attendant de voir de quoi tout cela retourne, l’on ne peut que souhaiter que l’accusé parle. En déliant la langue, il ne fait d’abord que se rendre service en soulageant sa propre conscience de ces lourdes atrocités. Ensuite, il se rachète auprès de ses victimes qui, sans oublier tout ce qu’elles ont enduré dans leur chair, peuvent lui accorder le pardon. Enfin, il rendra service non seulement au peuple soudanais pour qui son témoignage fera l’effet d’une véritable catharsis sociale qui ouvrirait la porte à la réconciliation nationale, mais aussi à l’humanité qui pourrait ainsi panser ses plaies.
« Le Pays »