Me GUY HERVE KAM, A PROPOS DE L’AFFAIRE TAMBAO« Le contentieux est né parce qu’après l’insurrection (…), les conditions contractuelles frauduleusement arrêtées, ne pouvaient plus continuer»
La Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris (France), a tranché en faveur de l’Etat du Burkina Faso, sur l’affaire qui l’opposait au groupe TIMIS International à travers ses filiales, les Sociétés de droit burkinabè, Pan African Minerals Burkina Faso, Pan African Tambao et la société Pan African Burkina créée aux îles Caïman. Cette décision met fin au contrat de Partenariat public privé (PPP) entre Pan African Burkina de l’homme d’affaires australo-roumain Franck Timis et l’Etat burkinabè. La Cour rejette les demandes d’indemnisation des sociétés Pan African minerals, condamne les sociétés demanderesses à rembourser au Burkina Faso les frais engagés dans cette procédure arbitrale. Trois cabinets d’avocats ont défendu l’Etat burkinabè. Il s’agit du cabinet SCPA Kam et Somé du Burkina Faso, des cabinets parisiens Kevin Grossman et Clay Arbitration office. Pour comprendre les implications de cette décision, nous avons rencontré, le 22 mars 2019, Me Guy Hervé Kam, l’un des conseils du Burkina.
« Le Pays » : Comment vous sentez-vous, en tant que l’un des avocats qui ont permis au Burkina de remporter cette bataille judiciaire ?
Me Guy Hervé Kam : Permettez-moi d’abord de vous remercier d’être venu à nous au sujet de cette affaire importante pour notre pays. Pour répondre à votre question, je dirais que c’est d’abord une très grande joie. Une grande joie en tant que Burkinabè de voir que notre pays sauve ainsi la mine de Tambao. C’est ensuite une fierté légitime en tant qu’avocat d’avoir fait partie de cette équipe de défense de l’Etat du Burkina Faso dans cette affaire. Je dois préciser que nous étions trois cabinets d’avocats, la SCPA Kam et Somé du Burkina, le cabinet Kevin Grossman et le cabinet Clay Arbitration office qui sont des cabinets parisiens. C’est enfin un soulagement dans la mesure où lorsque nous prenions ce dossier, il n’y avait pas grand monde qui vendait cher la peau du Burkina Faso. Au contraire, l’opinion la plus rependue était que le dossier était totalement pourri. Mais nous y avons cru et au bout d’une longue procédure, nous avons réussi à montrer que le Burkina avait le droit de rompre régulièrement ce contrat. C’est ce que nous avons fait et notre point de vue a prospéré. Nous sommes d’autant plus heureux et fiers qu’il n’est pas fréquent de voir, en matière d’arbitrage international, les Etats africains gagner. Oui, sans fausse modestie, compte tenu de l’enjeu très important de ce litige, de sa très grande complexité et des risques encourus par notre pays, il y a des raisons d’être heureux et fier d’avoir contribué à quelque chose de formidable pour le Burkina Faso.
Pouvez-vous nous faire la genèse de cette affaire ?
Vous le savez sans doute, la mine de Tambao dont le manganèse est d’une très grande quantité, d’une très bonne qualité et d’une très forte teneur, a fait l’objet de beaucoup de convoitises jusqu’en 2012 où elle a été confiée à Pan African Burkina dans des conditions douteuses qui ont été confirmées par la commission d’enquête parlementaire en septembre 2016. Mais tant que le régime Compaoré était en place, il n’y avait rien à voir. Le contentieux est né parce qu’après l’insurrection et la chute du régime Compaoré, les conditions contractuelles, frauduleusement arrêtées, ne pouvaient plus continuer. Alors quand le rapport de l’enquête parlementaire de la commission de l’Assemblée nationale sur la mine a épinglé le cas de la mine de manganèse de Tambao, Pan African Burkina n’a pas supporté et a pris les devants pour attraire le Burkina Faso en justice. Elle et ses sociétés soeurs souhaitaient voir notre pays condamné à des dommages et intérêts exorbitants, mais aussi obtenir de pouvoir continuer à exploiter la mine. Voilà un peu sommairement la genèse du contentieux. Etant entendu que nous sommes dans un arbitrage qui est confidentiel, nous ne pouvons pas aller plus loin.
Comment peut-on expliquer ce que c’est qu’une Cour d’arbitrage aux profanes ?
Pour faire simple, l’arbitrage est une justice privée qu’on peut comprendre en faisant un rapprochement avec la Justice étatique. Dans chaque pays, il y a une institution judiciaire dont les acteurs sont des agents publics payés par l’Etat et qui tranchent les litiges entre particuliers et entre particuliers et l’Etat. A côté de cette Justice étatique, il y a aussi une justice privée dans laquelle les parties choisissent des personnes pour juger leur affaire. Les arbitres tranchent les litiges comme des juges étatiques, sauf qu’ils ne sont pas payés par l’Etat et ne sont pas institués par lui. Ils sont indépendants. En général, en matière de commerce international et d’investissement transnational, les entreprises, surtout les grandes, préfèrent l’arbitrage international. Cela se comprend aisément parce que les entreprises qui viennent dans un pays, ne font pas forcément confiance à la Justice de ce pays et le pays d’accueil aussi ne fait pas confiance à la Justice du pays d’origine de l’entreprise. La solution, dans ce cas, consiste donc à se référer à une justice privée qui est composée généralement de personnes compétentes spécialisées dans le domaine en question pour juger. Comme c’est une justice privée, ce sont les parties qui les payent.
Si vous avez remporté la bataille, c’est qu’il y a eu des failles que vous avez exploitées. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est vrai que dans une procédure contentieuse, l’on exploite toujours les failles de l’adversaire. Des failles, le dossier des demanderesses en avait certainement. Mais nous avons plutôt travaillé sur ce que nous considérions comme les forces pour le Burkina Faso, à savoir la question de la bonne exécution du contrat par les sociétés bénéficiaires du contrat PPP. Quand on voit la décision, on se rend compte que nous avons pu emporter la conviction du tribunal arbitral.
Vous parlez de conditions douteuses d’octroi du contrat. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
En tant qu’avocat, nous avons pris ces informations avec la commission d’enquête parlementaire. Ce rapport qui a été rendu public, estimait que Pan African Minerals ne remplissait pas toutes les conditions pour se voir attribuer la mine. C’est ce que la commission d’enquête parlementaire disait et cela était connu de tous. La commission d’enquête parlementaire, sur ce point, avait fait un travail de déblayage qui était intéressant et sur ce travail, nous nous sommes appuyés même si ce n’était pas sur cela que la décision allait se jouer. Mais les éléments étaient tellement liés que nous avions de bonnes raisons de penser que lorsque nous allions dans le contentieux, les chances de gagner étaient partagées. Contrairement à ce que l’opinion présentait, même certains avocats ont dit publiquement que l’Etat du Burkina n’avait aucune chance de l’emporter dans ce dossier. Mais nous avions la conviction que du point de vue juridique, les chances de l’Etat burkinabè étaient plus fortes que ce qu’on pouvait penser.
Quelles sont les implications de ce verdict en faveur du Burkina ?
Aujourd’hui, avec ce verdict, il n’y a plus de PPP entre l’Etat du Burkina Faso et Pan african. Avec ce verdict, l’Etat a repris tous ses droits sur la mine de manganèse de Tambao. Il lui appartient maintenant de choisir la meilleure forme pour exploiter cette mine qui fait l’objet de convoitises à travers le monde. Donc, plus de litige sur Tambao, en tout cas, en ce qui concerne Pan african, parce que l’on sait qu’il y avait un contentieux avec les précédents investisseurs sur la mine de Tambao, que cela avait été réglé par voie de transaction par le régime déchu et que le Burkina, malheureusement, en raison de la continuité de l’Etat, est en train de payer des dommages et intérêts. Mais aujourd’hui, la mine est libre par l’effet de la dernière décision et le Burkina peut octroyer la mine à d’autres investisseurs pour être exploitée autrement.
Combien de F CFA le Burkina a-t-il perdus dans cette affaire ?
C’est difficile de le dire parce que je sais que les dommages et intérêts qui sont en train d’être payés à la première société, sont de l’ordre 8 milliards de F CFA. Je n’ai pas en tête tout ce qui a été payé depuis les multiples attributions, retraits et réattribution de la mine de Tambao. Ce que je sais et qui me paraît être le plus important et qu’il faut retenir, c’est qu’au moins, aujourd’hui, le Burkina sort de sa relation avec Pan Africain sans laisser de plumes. Non seulement le Burkina ne paie aucune condamnation, mais aussi et surtout, la décision condamne les sociétés de M. Timis à lui rembourser les frais d’arbitrage ainsi que 50 % des autres dépenses faites par le Burkina dans le cadre de ce contentieux. C’est sur cela que nous avons travaillé et c’est ce qu’il faut retenir. Dans l’histoire de ce dossier, il y a eu tellement de choses que pour nous, la priorité était de sortir le Burkina d’une relation dont il ne pouvait rien attendre de bon. Ce qui fut fait.
Peut-on dire que ce feuilleton judiciaire a connu définitivement son épilogue ?
En général, je suis méfiant sur ces questions. Je dis toujours aux clients, quand ils me demandent de tout faire pour éviter les contentieux, qu’on ne peut jamais éviter un contentieux. On peut seulement prendre des dispositions pour minimiser au maximum les risques en cas de contentieux. Cette réserve faite, je ne vois pas comment cette affaire peut encore rebondir. Je crois pouvoir dire qu’à partir de cette décision, l’Etat est totalement sécurisé.
En tant qu’avocat, quelles précautions le Burkina doit-il prendre pour éviter de telles situations ?
Notre pays vient de sortir d’une situation très critique. Ce que je peux dire, c’est que la manière dont le Burkina est sorti de cette situation, doit forger un seul défi. Celui de faire en sorte qu’il n’y ait pas de contentieux risqué sur la nouvelle procédure d’attribution de cette mine. Cela veut dire que dans la nouvelle attribution et dans la nouvelle gestion de la mine, le Burkina doit prendre toutes les mesures pour être sécurisé.
Quelles leçons peut-on tirer de cette affaire ?
Je pense que la leçon essentielle que l’on peut tirer de cette affaire, c’est que nous avons un Etat. Nous avons un Etat que nous critiquons, mais nous avons un Etat. Ce qui est différent des situations où tout se passe comme s’il n’y avait pas d’Etat. Pour pouvoir organiser la défense de l’Etat, nous rencontrions des fonctionnaires dévoués, engagés, qui n’ont menagé aucun effort pour répondre à toutes nos demandes d’informations. C’est la preuve que pour autant que les Burkinabè se mettent au travail, on peut sortir notre pays des situations de défis. C’est cela la leçon, à cœur vaillant, rien d’impossible.
Vous avez défendu l’Etat burkinabè auprès des tribunaux internationaux plus d’une fois. D’aucuns estiment que les choses ne se sont pas toujours faites dans les règles de l’art. Qu’en dites-vous ?
Je ne comprends pas la question.
Pour ce qui concerne le cas du dossier du CDP contre l’Etat burkinabè, là aussi, il y avait un contrat avec l’Etat, et notre cabinet n’était pas le seul qui avait été sélectionné pour défendre ce dossier
Avant cette affaire, vous avez défendu l’Etat burkinabè dans l’affaire qui l’opposait au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) à la Cour de justice de la CEDEAO. D’aucuns estiment que les choses ne se sont pas toujours faites dans les règles de l’art. Qu’en dites-vous ?
Je dois dire que moi, je suis un avocat. Si un client me fait appel, je réponds favorablement ou défavorablement. Mais je réponds tout simplement en fonction de ce que ma conscience me dit, en fonction de mon ressenti par rapport à la cause. Si je n’ai ni conflit d’intérêt, ni objection de conscience, je m’engage. Pour le reste, le client qui recourt à mes services est seul responsable des conditions dans lesquelles il recourt à mon service. Je ne suis pas responsable quand un client vient me chercher. Mais ce que je peux dire par rapport à l’Etat, c’est qu’il a contracté avec un certain nombre de cabinets d’avocats dont le nôtre, à la suite d’un appel d’offres qui a été lancé à l’endroit de tous les avocats du Burkina. L’Etat voulait recruter 3 cabinets d’avocats et je dois préciser que lorsque nous avons été retenus comme conseils de l’Etat, l’appel d’offres avait été insuffisant parce que l’Etat voulait 3 cabinets mais il n’en a eu que deux. Dire que les choses ont pu se faire en dehors des règles de l’art, je pense que c’est un mauvais procès. D’ailleurs, cet appel d’offres pour être conseils de l’Etat, moi, j’en ai eu connaissance à partir d’une lettre du Bâtonnier qui fut envoyée à tous les avocats. Pour ce qui concerne le cas du dossier du CDP contre l’Etat burkinabè, là aussi, il y avait un contrat avec l’Etat, et notre cabinet n’était pas le seul qui avait été sélectionné pour défendre ce dossier. Malheureusement, quand on parle de ce dossier, on ne parle que du cabinet SCPA Kam et Somé, certainement à cause de Me Kam. Ce qui veut dire que c’est totalement subjectif et malsain. Si cette convention avait été faite dans des conditions pas catholiques comme on le dit, forcément, cela se serait su. Franchement, il n’y a rien à mettre sous la dent de ce point de vue.
Les prétentions initiales étaient de l’ordre de 4 milliards de dollars américains
On parle souvent de l’Agent judiciaire du trésor. Quel est son rôle lorsque l’Etat est poursuivi ?
En droit burkinabè, l’Agent judiciaire du trésor est le représentant de l’Etat en demande comme en défense dans les procédures judiciaires. Devant la Justice, c’est l’Agent judiciaire du trésor qui représente l’Etat. Mais la loi qui institue l’Agent judiciaire du trésor dit qu’il peut se faire assister par des avocats. Donc, c’est dans ce sens que par rapport à la nature du dossier ou aux charges de travail de l’Agent judiciaire qui est un service de la Direction générale du trésor, il décide de faire appel à des cabinets d’avocats. Pour ce faire, l’Etat contractualise avec certains cabinets d’avocats par appel d’offres. Mais vous savez aussi, que ce soit dans le public ou dans le privé, que les relations entre un avocat et son client ne donnent jamais droit à l’avocat à l’exclusivité. Il peut y avoir beaucoup de raisons qui font qu’un avocat ne peut pas convenablement défendre un dossier. A ce moment, l’Etat peut faire appel à d’autres avocats.
Que réclamait Pan African comme dommages et intérêts au Burkina Faso ?
Les prétentions initiales étaient de l’ordre de 4 milliards de dollars américains. Elles ont été affinées pour être finalement arrêtées à près de 2,2 milliards de dollars. C’est dire que l’enjeu financier de ce dossier était, on ne peut plus, important pour le Burkina.
Propos recueillis et retranscrits par Issa SIGUIRE