NOMINATION DE PROCHES DE YAHYA JAMMEH EN GAMBIE : Les craintes justifiées des parents des victimes
Fabakary Tombong Jatta et Seedy Njie ont été respectivement nommés président et vice-président du Parlement gambien pour la nouvelle législature mise en place après les élections couplées législatives et présidentielle. Des nominations qui suscitent beaucoup d’indignation au sein des populations. Que reproche-t-on à ces deux personnalités nommées à la tête de l’hémicycle gambien? Fabakary Tombong Jatta et Seedy Njie ont été, pendant de longues années, des collaborateurs actifs du dictateur Yahya Jammeh, comptables de la gestion de son pouvoir et de nombreux crimes commis sous son magistère. Ces deux personnalités proches de l’autocrate apparaissent comme de nouveaux obstacles à la mise en œuvre de poursuites judiciaires à l’égard des responsables des crimes commis sous l’ancien régime. Des craintes bien justifiées des parents des victimes. La preuve, l’an passé déjà, le même Fabakary Tambong dont la nomination est aujourd’hui contestée, avait affirmé vouloir « jeter le rapport de la commission vérité à la poubelle ». On comprend dès lors l’onde de choc et la méfiance qui envahissent ces populations qui auraient souhaité les voir ailleurs qu’au parlement. Cependant, passé l’effet émotionnel de ces populations et des parents des victimes, à l’analyse, on s’interroge. Adama Barrow avait-il vraiment une autre possibilité que celle de « bombarder » ces deux anciens proches de Yahya Jammeh à la tête de ce nouveau parlement ? Que non. Pour rappel, on note qu’une grande partie de la population gambienne n’a pas été satisfaite des quatre années de gestion du pouvoir de Adama Barrow.
Tourner définitivement la page du dictateur, une mission certes difficile, mais pas impossible
L’espoir que sa venue avait suscité au sein des populations gambiennes après le départ du dictateur a vite fait place à la désillusion. On comprend alors qu’au terme de son premier mandat et dans l’optique de briguer un second, Adama Barrow ait fait un appel du pied au premier grand parti de la Gambie, celui de Yahya Jammeh en vue d’obtenir non seulement le soutien de ce dernier mais aussi le soutien des militants de son parti. Hormis cet aspect, deux autres raisons pourraient expliquer les choix de Adama Barrow. La première, celle qui parait la plus plausible, c’est que le parti de celui-ci, suite aux législatives, a obtenu 18 sièges, quatre sièges de plus que celui du parti de Yahya Jammeh qui en a obtenu 14. N’ayant pas ainsi la majorité des voix au parlement pour gouverner sereinement, le Président Barrow s’est vu obligé d’user du jeu des alliances comme cela se fait partout ailleurs avec le parti de Yahya Jammeh en vue d’obtenir la majorité des voix à l’hémicycle. Ce « deal » gagnant-gagnant conclu sous certaines conditions entre ces deux grands partis, au détriment des intérêts des parents des victimes, permettra à Adama Barrow de gouverner sereinement et en échange, d’offrir ces deux postes « juteux » aux collaborateurs du dictateur. La seconde raison qui pourrait aussi expliquer la nomination de ces deux personnalités, c’est la volonté d’aller à une réconciliation nationale des fils et filles de la Gambie après le départ de Jammeh. Il est vrai que l’ère Jammeh restera à jamais gravé dans les esprits de bon nombre de Gambiens à qui le régime a fait du tort. Cependant, est-ce pour cela qu’il ne faut pas avancer ? L’idée de la création d’une commission vérité, vise certes à établir les vérités dans le cadre d’une justice transitionnelle, mais aussi, à court terme, à panser les plaies en vue de rapprocher les Gambiens et les réconcilier. Tourner définitivement la page du dictateur, une mission certes difficile, mais pas impossible. Pour réussir cette mission, il suffit, pour Adama Barrow, d’être le catalyseur de cette vraie réconciliation, d’inviter les Gambiens à désarmer les cœurs, à accepter le pardon. Fabakary Tambong et Seedy Njje, qui sont aujourd’hui les alliés circonstanciels de Barrow, devraient faire profil bas, éviter les bravades et user du bon ton lorsqu’il s’agira de s’adresser aux populations. Peut-être que cela pourrait-il aider les populations à oublier les affres qu’elles ont vécues sous l’ère Jammeh. Peut-être aussi que si cette population avait donné la majorité à Adama Barrow lors des législatives, elle aurait sans doute évité ce schéma.
Ben Issa TRAORE