NOUVEAU DRAME MIGRATOIRE AU MAROC : Les responsabilités sont partagées
Le rêve occidental de 27 migrants africains s’est brutalement et définitivement brisé le 24 juin dernier aux portes de l’enclave espagnole de Melilla, en chutant de la clôture de fer implantée sur l’une des deux frontières terrestres, qui sépare le Maroc de l’Espagne, alors qu’ils tentaient avec des centaines d’autres, de passer du bon côté de la Méditerranée. Sur les 2000 migrants environ qui ont pris d’assaut le « rideau de fer », quelques dizaines ont pu franchir la frontière, mais des centaines d’autres ont été soit blessées, soit seulement ligotées pour les plus chanceux de cette tragédie migratoire. Mais au-delà de ce bilan macabre, du reste encore susceptible d’évoluer, c’est toute la problématique de l’émigration clandestine des Africains qu’il faut remettre en débat afin d’éviter de voir, à intervalles réguliers, les images choquantes de jeunes désespérés pour la plupart, prendre des risques inconsidérés pour rejoindre l’Europe, qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme l’eldorado. Pourquoi, bien que conscients des dangers de la traversée d’une mer déchainée, ou de l’escalade d’un mur couronné de barbelés ou d’enchevêtrement de fils de fer, les candidats à l’émigration font-ils preuve d’autant de détermination et de témérité pour sauter le pas, alors qu’ils n’ont a priori aucune garantie que leurs rêves vont se réaliser, même s’ils venaient à échapper extraordinairement aux mailles des filets des différentes polices des frontières ? Il faudrait aller chercher les réponses à cette interrogation d’abord dans les conditions de vie exécrables de ces aventuriers, qui voient l’émigration comme ultime solution, et perçoivent l’Europe comme une terre promise où tous les rêves sont permis.
Tôt ou tard, la cocote minute va finir par sauter
Le drame de Melilla en fin de semaine dernière, en est une parfaite illustration, d’autant que ceux qui se sont heurtés à la fois à la police marocaine et à la très haute clôture de fer, sont quasiment tous originaires de l’Afrique au Sud du Sahara, et notamment de pays gangrenés par la pauvreté ou ravagés par la guerre civile. Certains des migrants économiques refoulés in extremis à la frontière hispano-marocaine, ont justifié leur tentative désespérée de forcer le passage par l’illusion de bien-être que leurs camarades ou amis leurs reflètent depuis l’Europe. D’autres se sont dit prêts pour le sacrifice suprême afin de pouvoir illuminer la vie des membres de leurs familles dont ils se sentent redevables, alors qu’un autre, manifestement décidé à assouvir son rêve quoi qu’il lui en coûte, a exprimé ouvertement son sentiment de désespoir et de dégoût du fait de la manière dont il est traité dans son propre pays et dans son propre entourage. Ces visages juvéniles et ces bras valides auraient pourtant pu être d’une grande utilité pour le développement de leurs pays respectifs, mais seulement voilà, les Etats dont ils sont originaires ne leur ont donné aucune alternative ou perspective même quand ils sont diplômés car, et comme chacun le sait, ils sont nombreux sur le continent à être bardés de parchemins inutiles, inadéquatement formés par rapport au marché de l’emploi. Les dirigeants de ces pays sans véritables politiques d’employabilité des jeunes, savent bien que ces derniers, qui trahissent l’état oisif de leur quotidien en passant le clair de leur temps à jeter l’opprobre sur les systèmes éducatifs et de formation, constituent une véritable bombe à retardement dont l’explosion pourrait leur être fatale. Le départ en exil de ces contestataires et insurgés potentiels serait donc un ouf de soulagement pour ces dirigeants irresponsables, qui pensent ainsi se débarrasser de la frange la plus dangereuse et la plus nocive de la société, pour leur pouvoir à la fois impotent et illégitime. Mais tôt ou tard, la cocote minute va finir par sauter, surtout si l’Europe qui est pourtant elle aussi comptable du désastre économique et de l’appauvrissement des Africains avec le pillage des richesses du continent, continue de se barricader. A l’image de l’Italie ou de l’Espagne qui refusent de recevoir sur leurs territoires, le trop-plein de laissés-pour- compte, comme l’ont appris à leurs dépens les migrants stoppés, blessés, tués et humiliés vendredi dernier à la frontière espagnole. Pour désamorcer cette bombe sociale et éviter les drames en mer et sur terre, il faudrait une synergie d’action, d’autant que les responsabilités sont partagées entre les pays de départ qui considèrent les jeunes migrants davantage comme des trouble-fête que comme des victimes, et les pays d’immigration qui voient en eux des parasites, sans oublier évidemment les frères africains résidant en Europe, qui se transforment en véritables vendeurs d’illusions à travers des images surfaites qui donnent envie aux jeunes restés au pays, de tenter l’aventure au péril de leur vie.
Hamadou GADIAGA