NOUVELLE DU VENDREDI : Etablir un papier administratif au Faso
J’ai toujours une boule dans l’estomac lorsque je dois établir un papier administratif au Faso. D’abord, on ne sait jamais quel sera le parcours avant d’avoir une satisfaction Ensuite, on ne sait à quelle sauce on sera mangé par les bureaucrates et agents de l’administration. C’est vrai que des dévoués, des méritants et des consciencieux, on en rencontre dans notre administration publique, mais ils commencent à devenir des oiseaux rares. Des sortes d’espèces en voie de disparition.
Il y a quelques mois, dans une ville du pays des Hommes intègres, je voulus me faire établir un papier administratif. Je me renseignai et appris que les dépôts de dossiers se faisais le lundi, mercredi et vendredi de 7h à 10 h et les retraits les mêmes jours au soir.
Un matin de lundi, à 5h 30 sous une fine et incessante pluie d’août, sur ma moto, je quittai mon quartier à l’autre bout de la ville pour les bureaux de l’administration. Après cette course matinale, j’avais prévu un job dans une agence qui nécessitait la présence de mon ordinateur. Avant de sortir, je pris soin de m’engouffrer dans un imperméable protecteur, et d’emballer mon ordinateur et mon sac au dos dans un sac plastique. Après 30 minutes de parcours et les souliers dans l’eau, j’arrivai au parking. Je garai mon engin, j’achetai une feuille de demande et un timbre à un jeune homme. Je rédigeai ma demande et devant la grille de l’entrée attendis avec une centaine de demandeurs l’ouverture de la porte d’entrée. Une liste par ordre d’arrivée et par besoin servait de témoin. Je m’inscrivis avec le chiffre 56. C’est dire que beaucoup d’avertis étaient très matinaux. À 6h 30 lorsque les grilles s’ouvrirent, insécurité et terrorisme obligent, il fallait scrupuleusement observer des règles :
– Présenter sa CNIB avant d’avoir accès à la cour de l’administration,
– Aucun sac au dos ou de bagage ne peut franchir la porte d’entrée.
C’était des règles non négociables avec les responsables de la sécurité. Une chose compréhensible.
À contrecœur, sous la fine pluie au bord de la voie beaucoup abandonnèrent leur sac au dos sous un arbre à la merci des délinquants. Pour ceux qui avaient des objets précieux dans leur sac, une seule solution prudente s’imposait. Repartir et revenir un autre jour. Sans sac. Ce que je fis malgré moi.
Deux jours après, voulant être parmi les premiers sur la liste témoin, je me levai à 4h. À 5h, sans sac, j’étais devant la grille. Sur la liste, je m’inscrivis avec le chiffre 11. À 6h 30 après l’ouverture de la grille, je pénétrai dans le saint des saints. Je m’alignai avec les autres dans l’attente de l’ouverture des bureaux dont l’heure écrite sur la porte est 7h 30. Le lieu administratif grossissait de monde et notre file d’attente s’allongeait. A 8h, aucune porte ne s’ouvrit. Pas l’ombre d’un seul agent. Regardant ma montre, il était 8h 15. Une femme arriva, ouvrit une porte et entra. Un instant après, elle commença à réceptionner des dossiers. C’était une autre ligne avec une autre sollicitation et pas la nôtre. Sous l’ombre d’un arbre à l’autre bout de la cour, arriva et stoppa une voiture bleue. Un homme d’une trentaine d’années sortit de l’engin, alluma sa cigarette et s’adossa sur le capot de la voiture. Une vieille femme, ma suivante directe me confia :
– Mon fils, l’homme que tu vois avec sa cigarette, est l’agent que nous attendons. Plusieurs fois, je suis venu établir des papiers pour mes enfants ou pour mes petits-fils. J’ai appris à le connaître. Tant qu’il n’aura pas fini son rituel de deux ou trois cigarettes grillées royalement devant sa voiture, il ne rejoindra pas son bureau. C’est à croire que de nos jours, il n’existe aucun contrôle de rigueur dans l’administration publique au Faso. De mon temps, la sanction tombait et sans ambigüité pour les agents indélicats prenant la fonction publique pour un restaurant maternel …Ma voisine était une femme très observatrice de la vie Une jeune dame alla vers l’homme de la voiture. Après la 1ère cigarette, il en grilla royalement une autre en discutant amoureusement ou amicalement avec la jeune dame. Lorsqu’il rejoignit son bureau au pas de sénateur, il était 8h 45. A 9h, il commença à réceptionner les dossiers et je pus déposer le mien à 9h30. Soulagé d’une chose faite, je partis en ville pour une journée de travail. Après deux semaines, un après-midi, j’allai au rendez-vous pour la réception de mon document. L’appel débuta à 16h. Pendant une heure, je n’entendis pas mon nom. Ma vieille voisine aussi. L’agent nous recommanda de revenir la semaine suivante. Au jour annoncé, présent au rendez-vous, je retrouvai ma vieille voisine. Lorsque l’agent sortit avec les documents pour l’appel, la vieille dame m’avertit :
– Pauvre Afrique, ce soir nous avons affaire à un autre spécimen de fonctionnaire. Au gré de son humeur, il prendra de longs appels sur son portable ou alors il suspendra de temps en temps l’appel pour boire à la manière bistrot d’hémicycle son coca. Ma vieille voisine était une sainte femme. Une sorte de prophète des temps modernes. Ledit après-midi, nous vécûmes exactement ce calvaire avant de retirer, pour nos peines et pour notre bonheur final, nos papiers. Ouf ! Il était temps. Malheureusement, cela nous peine profondément, c’est cela la réalité au Faso dans le service public.
Ousseni Nikiéma, 70-13-25-96
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