OUVERTURE DU DIALOGUE NATIONAL AU CAMEROUN
Sauf changement de dernière minute, c’est, en principe, aujourd’hui que s’ouvrent les travaux du dialogue national au Cameroun, qui vont durer jusqu’au 4 octobre prochain. L’on se rappelle que dans une adresse à la Nation, le 10 septembre dernier, le président camerounais, Paul Biya, convoquait toutes les composantes de la société à « un grand dialogue national » en vue, disait-il, « d’examiner les voies et les moyens de répondre aux aspirations profondes des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce dialogue était attendu parce que suggéré depuis de longs mois par divers acteurs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, en l’occurrence l’ONU. Seulement, permettra-t-il aux leaders politiques et aux responsables d’OSC dont la participation à ce dialogue reste à confirmer, de fumer le calumet de la paix ? Rien n’est moins sûr. En tous les cas, ce dialogue est une occasion pour les acteurs de vider les dossiers pendants, notamment ceux relatifs à la condamnation à perpétuité du leader séparationniste Julius Ayuk Tabe et neuf de ses partisans et à l’emprisonnement de plusieurs leaders de l’opposition camerounaise comme Moïse Kamto et ses compagnons d’infortune qui, eux, sont toujours dans l’attente de leur procès. Si ce dialogue peut constituer une bouffée d’oxygène pour l’opposition qui souffre le martyre, il l’est encore plus pour le régime Biya en perte de vitesse. De ce point vue, l’on n’exagérait pas en qualifiant ce dialogue de ruse de guerre de la part du pouvoir. Car, tout en permettant de desserrer autour du régime l’étau de la guerre de sécession dont le lourd bilan se chiffre aujourd’hui à près de 2 000 morts, ce dialogue lui donne l’opportunité de mettre à exécution la stratégie bien connue en pareilles circonstances, du diviser pour mieux régner.
Le tout n’est pas d’amener l’âne au puits
En effet, pendant que les ténors de la contestation du pouvoir de Paul Biya sont en prison, le dialogue national constitue une excellente occasion de faire émerger de nouvelles têtes qui, achetées à coup de millions de F CFA, parleront difficilement le même langage que leurs mentors emprisonnés. Et cerise sur le gâteau, en cas de succès de cette initiative du dialogue national, le pouvoir de Yaoundé réussirait une bien brillante opération de communication politique, en présentant le vieux président comme le véritable père de la Nation, artisan de la réconciliation nationale et icône de la paix. Un tel capital de sympathie suffirait à lui assurer la quiétude qu’il souhaite jusqu’à ce que la mort le sépare de son trône. Mais les adversaires martyrisés du régime accepteront-ils de jouer le jeu du dictateur? On attend de voir. Mais, d’ores et déjà, on constate que certaines exigences de l’opposition telles que la libération des prisonniers sont restées lettre morte. En tout cas, jusqu’au moment où nous tracions ces lignes, ces prisonniers n’étaient toujours pas libres de leurs mouvements et il faut croire que cela n’arrivera que lorsque Biya aura la garantie que ces derniers ne constituent plus une menace pour son régime. Il y a fort à parier que si, malgré tout, l’opposition décide d’aller à ce dialogue, c’est parce qu’elle s’est rendue à l’évidence que la politique de la chaise vide ne paie pas. En Afrique, et surtout en politique, l’histoire nous enseigne que les absents ont toujours tort. Il est évident que si l’opposition boycottait ce dialogue, elle perdrait le capital de sympathie dont elle bénéficie auprès de l’opinion nationale et internationale qui ont bien accueilli l’idée de ce dialogue national si elles ne l’ont pas suscitée. Enfin, elle perdrait une tribune pour plaider sa cause et l’occasion de réclamer la libération de ses membres embastillés. L’un dans l’autre, l’on peut donc affirmer sans risque de se tromper que Paul Biya a bien étudié le terrain avant de poser son piège. Mais le tout n’est pas d’amener l’âne au puits. Encore faut-il réussir à le faire boire l’eau. En effet, l’opposition va certes, à ce dialogue, mais rien ne nous dit qu’elle acceptera les propositions que fera le pouvoir surtout si elles ne vont pas dans le sens de ses intérêts. Autant dire que Biya a certes gagné une bataille, mais pas la guerre. Cela dit, l’opposition se doit d’être vigilante et exigeante au risque de n’avoir, plus tard, que ses yeux pour pleurer. En tout état de cause, les acteurs sont attendus au pied du mur car les citoyens ont plus que jamais besoin de la paix et de la cohésion sociale mises à rude épreuve par la crise anglophone et l’embastillement des leaders politiques.
DZ