PERE BERNARD NANA, A PROPOS DU CAREME CHRETIEN « Les repas recommandés dans la journée doivent être caractérisés par leur très grande sobriété »
Le mercredi 14 février 2018, 1er jour de l’année liturgique B, les fidèles catholiques ont débuté le carême. Que signifie carême chez les catholiques ? Comment doit-on vivre ce temps ? De quoi doit-on se priver pendant cette période ? Le Camillien et Aumônier diocésain des personnes vivant dans la rue, Père Bernard Nana, par ailleurs Vicaire à la Paroisse Saint Camille de l’Archidiocèse de Ouagadougou, donne des précisions à travers cette interview.
« Le pays » : Que signifie le carême pour les fidèles catholiques?
Bernard Nana : On retiendra que le carême désigne d’emblée un temps. Les quarante jours qui précédent le dimanche de Pâques. Ce temps commence concrètement du Mercredi des Cendres, premier jour de carême au Samedi saint, veille de Pâques, sans compter les dimanches qui sont des jours de fête dans l’Eglise. En effet, tous les dimanches, les fidèles catholiques célèbrent à travers la messe dominicale, la résurrection de Jésus. C’est donc un jour de joie et de fête qui nous rappelle sans cesse, ce que le Fils de Dieu a fait pour sauver l’humanité: une vie donnée jusqu’au bout. Ensuite, on retiendra que le chiffre quarante renvoie à un certain nombre de symboles bibliques comme les 40 jours du déluge (Genèse 7), les 40 jours et 40 nuits de marche d’Elie jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb (Premier livre des Rois 19,8); les 40 ans passés au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Egypte et son entrée en Terre promise en Palestine (Le livre de l’Exode); les 40 jours de Jésus poussé par l’Esprit au désert après son baptême et avant sa vie publique pour annoncer le Règne de Dieu (Mathieu 4).
Quelles sont les significations spirituelles, religieuses, voire théologiques du temps de carême ?
C’est un temps privilégié pour se rapprocher de Dieu à travers une vie de qualité qui plaît à Dieu et aux prochains: la conversion, changement de vie, purification du cœur. Un temps durant lequel nous nous mettons plus intensément en présence du mystère de notre foi. Du même coup, nous nous préparons à la fête de Pâques: la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Un ensemble de pratiques, de vie profonde qui traduit le soin qu’on met à la préparation d’un événement décisif. Et cet événement décisif pour le monde et l’homme, c’est bien la vie de Jésus qui offre à tout homme la possibilité de vivre en enfant de Dieu.
Un temps pour trouver ensemble et individuellement notre propre désert. Il s’agit, pour la communauté de croyants et pour chacun, de la possibilité de prendre du recul, de se décharger, de se débarrasser de ce qui alourdit et ligote. Et rejoindre un désert intérieur, c’est prendre des distances par rapport à tout ce qui peut être obstacle à l’écoute attentive de la voix de Dieu qui résonne toujours dans notre conscience. Une conscience à façonner. Etre loin des bruits immédiats et superficiels pour s’enfoncer plus loin et écouter l’Hôte intérieur. Il s’agit de se mettre vraiment en mouvement vers une connaissance plus grande, une découverte plus neuve. Se libérer des encombrements émotifs, la trop bonne chair, etc. Un temps d’efforts pour être plus attentif à soi-même et se poser les vraies questions sur le sens de la vie qu’on mène ici bas, sa finalité ultime qui doit être une communion avec Dieu. Enfin, un temps de combat spirituel pour résister aux tentations, aux forces du mal. Il s’agit d’avoir une certaine maîtrise de la conduite de sa vie. Avoir le contrôle de la marche humaine vers ce qui est beau, bon, bien. Tendre vers le meilleur de l’être en se disposant d’abord à recevoir le don de Dieu pour croître. L’humilité est une vertu indispensable pour que la vie de Dieu entre en nous.
” La guerre la plus dure à mener est la guerre contre soi-même”
Pendant le temps de carême, l’on parle souvent de « combat ». Qu’en est-il exactement ?
Effectivement, à propos de combat, je peux dire quelques mots. C’est ma propre définition du carême, en empruntant une expression qui serait attribuée au prophète fondateur de l’Islam. Pour moi, le carême est le plus beau et le grand “djihad”. En effet, fidèle à un enseignement reçu lors d’une session d’islamologie intitulée “L’Islam pour les chrétiens”, près de Paris à Orsay-Ville, j’ai retenu cette culture qui me permet une telle affirmation. Le but de cette formation offerte par les Evêques de France, était de mieux connaître l’Islam et vivre avec nos frères musulmans.
Pour la petite histoire, on raconte que le petit djihad se définit comme une guerre entre tribus pour s’accaparer les ressources en vue de sauvegarder la vie de sa tribu menacée par la famine par exemple. Une des expressions de ce petit djihad, ce sont les razzias. Le Prophète l’aurait fait d’après les historiens, pour subvenir aux besoins de sa petite communauté dépouillée de ses biens lors de la fuite de la Mecque vers Médine. De retour d’une de ces guerres pour la survie comme nos royaumes l’ont connu dans le temps et encore aujourd’hui sous une autre forme entre Etats, le Prophète aurait fait une déclaration du genre à ses compagnons: « Nous venons de faire le petit djihad, il reste le grand. » Le grand djihad serait le combat que tout croyant doit mener sur lui-même pour se rapprocher de Dieu à travers le jeûne, la prière et l’aumône. Je trouve personnellement que cette définition du vrai djihad est méconnue par plusieurs personnes et notamment le monde des médias. Elle me rappelle aussi ce que disait le Patriarche Athénagoras de l’Eglise orthodoxe: ” La guerre la plus dure à mener est la guerre contre soi-même”. En effet, le combat intérieur est commun à tous nos frères en humanité. C’est à travers ce combat que nous partageons vraiment les luttes et les espoirs du monde. Jeûner, c’est avoir faim de Dieu, de la vraie Vie, de la vraie relation avec les autres. Cela est profitable pour le monde entier.
« Le chemin de croix est une pratique qui nous fait revivre les évènements de la Passion de Jésus et nous fait réfléchir à la signification de ces évènements »
Comment doit-on se comporter pendant le temps de carême?
Il y a d’abord un état d’esprit à avoir en soi. Une vraie prise de conscience que la vie humaine n’est pas éternelle sur terre. On est fragile. L’homme est de passage sur terre, comme un pèlerin. La mort est là. Et la pratique des cendres sur le front est comme un rappel, dès le premier jour de carême, de cette caducité de la vie. Elle passe. L’adage selon lequel « la vie passe », est une réalité, mais elle doit être marquée par une Pâques: le passage de la mort à la Vie éternelle. Ensuite, il y a une deuxième prise de conscience. L’humain est perfectible. Il a un devoir de quitter une vie médiocre vers une autre qui est meilleure selon son Créateur. Il est donc nécessaire, à ce stade, de prendre conscience de notre condition de pécheur aux yeux de Dieu, le Saint des Saints, envers ma propre vie personnelle et envers le prochain qui souffre de mes ratés, de mes fautes, de mes erreurs en paroles et en actes. Tous ces manquements qui blessent et lèsent autrui, la communauté, la société de tout ce qui est bien pour sa croissance, son développement. Une fois que le croyant est sorti de cette double prise de conscience de sa finitude appelée à l’éternité et de sa condition de pécheur accueilli et sauvé dans l’océan de l’amour miséricordieux divin, logiquement, les pratiques en découleront autour de ce qu’on appelle les “trois P du carême“. Il s’agit de la Prière, la Pénitence et le Partage.
La prière est un dialogue avec Dieu, la Source et la Finalité de la vie. Dans une attitude humble et confiante, nous pouvons parler à Dieu, le remercier et le louer pour le bien en nous et autour de nous ; lui demander son aide, sa grâce pour marcher sur le droit chemin.
La pénitence, c’est la vie de conversion, de changement de comportement. Elle est accompagnée de privation volontaire et d’acceptation d’abstinence et de renoncement proposés par l’autorité de l’Eglise et une vie intérieure plus soignée.
Le partage traduit la vie de charité. On fait don de ce que l’on possède: nature, espèces, matériels, temps, services rendus.
Qu’est-ce que la pénitence ?
Cette question me permet d’expliquer davantage ce que c’est que la pénitence ou l’abstinence que requiert le temps du carême. Le jeûne est une privation volontaire de nourriture, de quelque chose qui est nécessaire ou agréable. C’est un moyen de combat spirituel qui forge la volonté personnelle. Et la volonté est indispensable pour lutter contre les tentations. Se priver de nourriture ou réduire volontairement ses rations alimentations peut forger en nous la maîtrise de soi. On se dispose à ce moment à se nourrir de la Parole de Dieu. En effet, le péché de gourmandise caractérise notre société d’hyperconsommation. La nourriture est un des éléments d’attache aux réalités terrestres. « Celui qui ne sait pas ce qui peut remplir sa vie, le cherche vite à travers son ventre », a dit quelqu’un. Se priver de nourriture est une forme d’ascèse. Il s’agit de tuer en nous toutes les petites manies auxquelles on s’attache. On peut aussi jeûner d’autres choses matérielles….On parle souvent d’ascèse, de mortification…Ce sont aussi d’autres manières de jeûner et de forger en soi un caractère, une personnalité ordonnée. On apprend, on s’entraîne à maîtriser son corps. Maîtriser ses pulsions, ses affects et surtout la violence des sensations, émotions, sentiments, humeurs. Empruntée du milieu sportif, la pratique de l’ascèse nous aide à affronter les démons extérieurs et intérieurs qui nous veulent du mal. Cette maîtrise de soi laisse le contrôle de soi à un autre en soi, à la présence de Dieu. Elle libère de l’esclavage de nos pulsions et de nos caprices. Dieu seul sait où peuvent nous conduire nos plaisirs, nos envies, nos désirs sans l’intervention de la volonté. Or, c’est cette dernière qui, seule, peut donner la bonne direction et le sens de notre vie en lui fixant des buts. Et le but fondamental, c’est l’Amour.
Ainsi compris, on pourrait très bien jeûner de tout jeu ou de tout usage devenu une addiction. Exemples: internet, la télévision, l’ordinateur, les réseaux sociaux, les smartphones, le téléphone, les jeux de hasard, le tabac, l’alcool, les sucreries, la musique….tout usage devenu abusif des choses bonnes en soi ou pas du tout.
Autres pratiques, ce sont les œuvres de miséricorde. On cite alors la correction fraternelle, les conseils, l’enseignement des ignorants, le pardon donné et reçu, le fait de supporter positivement et avec patience les adversités et les faiblesses des autres, prier pour les vivants et les morts, consoler les tristes et personnes affligées, visiter les malades et prisonniers, donner à manger à l’affamé, à boire à celui qui a soif, vêtir celui qui est sans habits, accueillir l’étranger, enterrer les morts.
Un principe doit animer la vie de celui qui est en carême. C’est un principe de toujours, à savoir, faire le bien et éviter le mal.
De quoi faut-il jeûner et quand faut-il jeûner durant le carême?
A titre indicatif, l’Eglise propose officiellement les Mercredi des Cendres et tous les vendredis de carême. Le jeûne n’est pas conseillé les dimanches et les grandes fêtes. C’est une coutume dans l’Eglise. On doit s’abstenir de consommer la viande, ces jours-ci. Au Burkina, l’Eglise observe en plus du jeûne de la viande, une abstinence d’alcool.
Les repas recommandés dans la journée, doivent être caractérisés par leur très grande sobriété: un repas normal et 2 repas peu abondants dans la journée. Puis, s’efforcer de s’abstenir de repas intermédiaires. Il n’est pas question, comme on l’entend parmi les fidèles, d’abstinence totale de nourriture, de boisson, d’avaler sa salive ou de renoncer à l’amour conjugal.
Ceci dit, à chacun le jeûne qui l’aide à aller à l’essentiel: DIEU.
Et j’ajoute que, ne sont pas concernés selon l’enseignement de l’Eglise et le bon sens, les personnes de 60 ans et plus, les enfants de moins de 14 ans, les femmes enceintes, les malades. Toutefois, ils sont tenus de s’abstenir de viande et d’alcool, sauf pour nécessité de santé.
De quand date cette privation?
Les privations de jeûne, de façon générale, remontent à des siècles dans l’Ancien Testament. Avec le christianisme, on situerait au IVe siècle la forme officielle et systématisée de la pratique du jeûne dans l’Eglise.
Quel sens donnez-vous au chemin de croix les vendredis de carême?
Faire le chemin de croix est une pratique qui nous fait revivre les évènements de la Passion de Jésus et nous fait réfléchir à la signification de ces évènements. On pense aux souffrances du Christ et on fait l’expérience de l’amour que révèle son attitude. Cette méditation éveille en nous un sentiment de compassion et de gratitude envers Dieu qui nous a aimés jusqu’au bout. Cette pratique nous fait vivre avec amour notre propre croix. “Celui qui veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive”, nous dit Jésus. Toute personne sincère et intègre rencontrera, comme le Christ, des épreuves dans sa vie. Méditer la Passion du Christ aide à mieux porter nos croix et contribuer comme LUI au salut de nos frères. Par exemple, une injustice peut facilement provoquer une vengeance ou une réaction violente. Mais à la suite du Christ, nous apprenons la valeur inestimable de la non-violence, du pardon accordé à nos bourreaux. Une attitude positive, une grandeur d’âme qui sauve le monde plus que la rancœur, la vengeance.
Propos recueillis par Valérie TIANHOUN