PRESIDENTIELLE 2015 : International Crisis Group interpelle la Transition
Ceci est la synthèse d’un rapport de 20 pages intitulé « Burkina : cap sur octobre » produit sur le Burkina Faso par International Crisis Group. Pour son caractère instructif, « Le Pays » vous donne à lire ce résumé.
A moins de quatre mois de l’échéance, la transition au Burkina Faso doit concentrer tous ses efforts sur les élections d’octobre. Dans un contexte marqué par des tensions politiques et une forte agitation sociale, l’exclusion des représentants de l’ancien pouvoir des prochains scrutins, inscrite dans le nouveau code électoral, ouvre la porte à d’interminables arguties juridiques et menace le respect du calendrier électoral. Elle rend possible la mise à l’écart d’un pan entier du monde politique. Faute de pouvoir s’exprimer dans les urnes, celui-ci pourrait être tenté de le faire par d’autres moyens ou d’essayer de saboter le processus électoral. Il n’est toutefois pas trop tard pour atténuer les risques. Le gouvernement peut encore préciser le code électoral par décret. Par ailleurs, le dialogue entre les acteurs politiques et sociaux de tous bords doit être maintenu, idéalement par la mise en place d’un cadre de concertation. Le Conseil constitutionnel, qui statuera en dernier recours sur l’éligibilité des candidats, doit rester fidèle à la lettre et à l’esprit inclusifs de la Charte de la transition et de la Constitution.
Après l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui a mis fin à 27 ans de pouvoir du président Blaise Compaoré, il était illusoire de penser que les choses rentreraient d’elles-mêmes, dans l’ordre. La transition a réussi pour le moment à maintenir le Burkina à flots. Elle a survécu à la « mini-crise » de février 2015 liée au débat sur le futur du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ancienne garde présidentielle de Compaoré. Mais en adoptant un nouveau code électoral début avril, la transition s’est mise en difficulté. Ce code électoral sanctionne d’inéligibilité tous ceux qui ont soutenu le projet de révision constitutionnelle qui visait à autoriser Blaise Compaoré à briguer un autre mandat.
Ce texte constitue une menace non seulement pour les prochaines élections mais aussi pour l’avenir, injectant le venin de l’exclusion politique dans un pays attaché au multipartisme et à la concertation. Les recours éventuels contre l’éligibilité de candidats doivent être déposés à partir de début septembre. Or, si un mois avant le scrutin, le Conseil constitutionnel se retrouve submergé de requêtes, cela pourrait retarder la tenue des élections. Si le cadre temporel fixé par la transition est dépassé, le Burkina se retrouvera alors dans l’inconnu. Les membres de l’exécutif actuel, notamment ceux issus de l’armée, pourraient alors avancer l’argument de la stabilité pour rester au pouvoir. Pour éviter cela, il est crucial de tenir les élections à bonne date mais aussi de garantir des résultats acceptés par tous.
L’adoption de ce nouveau code électoral intervient dans le contexte où certaines institutions de la transition ont été fragilisées. Le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, l’ancien second du RSP, a de plus en plus de difficultés à donner au gouvernement une direction claire et à calmer la grogne de la rue, une tâche compliquée par la crise budgétaire et le ralentissement économique. Le gouvernement de transition est pris au piège de ses propres errements. Il a multiplié les promesses sans pouvoir totalement les satisfaire. La population attend toujours que justice soit rendue pour les crimes économiques et les crimes de sang commis sous Compaoré. Mais les enquêtes se heurtent au mur que constitue le RSP, dont certains membres sont accusés d’être impliqués. La question du futur du RSP ne peut être traitée avec autorité sans entraîner la déstabilisation du pays. Le gouvernement de transition, trop fragile pour s’y attaquer, semble avoir décidé de transmettre le dossier au nouveau pouvoir.
La transition n’a plus le temps d’engager des réformes : il reste moins de quatre mois avant les élections. Elle doit se concentrer sur les prochaines échéances électorales et favoriser un climat apaisé. Celles-ci sont essentielles parce qu’elles doivent mettre fin à une période de transition qui se déroule dans une légalité incertaine, mais également parce qu’elles pourraient permettre, pour la première fois depuis l’indépendance, une alternance démocratique et pacifique par les urnes. A cet effet, plusieurs mesures devraient être prises.
Les acteurs politiques et de la société civile de tous bords doivent considérer l’ouverture d’un dialogue politique formel et inclusif, qui pourrait passer par un cadre de concertation animé par une ou plusieurs figures incontestées de la société, afin de préserver les canaux de communication. A défaut, ils doivent maintenir et développer les contacts informels au plus haut niveau.
Le Conseil constitutionnel doit rester fidèle à la lettre et à l’esprit inclusifs de la Charte de la transition et de la Constitution lors de l’application de la loi électorale.
Le gouvernement de transition doit faire de l’organisation des élections présidentielle et législatives sa priorité et réduire l’incertitude autour de la loi électorale en précisant par décret les critères qui devront être utilisés pour déterminer qui a soutenu la révision constitutionnelle.
Les représentants de l’ancienne majorité doivent assumer leur rôle constructif d’opposants : ils doivent résister à la tentation de bloquer le processus électoral et reprendre le dialogue avec la Commission de la réconciliation nationale et des réformes (CRNR).
Les autorités de transition doivent poursuivre la réflexion sur le futur du RSP, en se concentrant sur une nouvelle dénomination pour ce corps d’élite et sur un plan de relogement de ses membres, à bonne distance du palais présidentiel. Elles doivent en outre, faire preuve de plus de transparence sur ce dossier, qui devra s’inscrire dans une réforme plus générale de l’armée.
Les partenaires internationaux doivent encourager tous les acteurs burkinabè à maintenir le dialogue, et exprimer clairement la nécessité d’appliquer la loi électorale de manière restreinte et intelligente. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) doit, par son soutien financier, contribuer à combler le déficit dans le budget électoral.
Dakar/Bruxelles, 24 juin 2015