REACTION DE KINSHASA SUITE A LA VISITE DE KAGAME A L’ELYSEE
Du quoi a peur Kabila ?
L’homme mince de Kigali, Paul Kagame, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine, a été reçu à l’Elysée avec tous les honneurs dus à son rang, le mercredi 23 mai dernier. A cette occasion, le président Macron a laissé entendre que la France s’alignerait au schéma de sortie de crise en RDC, que tracent le Rwanda et l’Angola. Ces propos ont produit l’effet d’une bombe à Kinshasa. En effet, le gouvernement de Kabila fils a convoqué, le samedi 26 mai dernier, les ambassadeurs du Rwanda, de la France mais également de l’Angola pour, explique-t-on du côté de Kinshasa, des échanges de « clarification ». Du point de vue strictement diplomatique, Kinshasa est dans son bon droit de vouloir savoir quelle est cette fameuse initiative parrainée par Paris et qui passerait par l’axe Kigali-Luanda.
Kabila est conscient que son régime tient à un fil
Dans le même registre, cette convocation d’explication et de clarification est une façon, pour Kinshasa, de rappeler aux uns et aux autres les règles élémentaires du droit international que sont la souveraineté des Etats et surtout, la non-ingérence dans les affaires intérieures de ceux-ci. Et ce n’est pas Paul Kagame, qui ne supporte pas un seul instant que les autres se prononcent sur les affaires intérieures de son Rwanda, qui pourrait s’offusquer de l’attitude du gouvernement de la RDC. Cela dit, derrière cette réaction de principe, pourrait se cacher d’autres motivations, d’où la pertinence de se poser la question de savoir de quoi a peur Kabila. L’on peut se permettre d’avancer quelques éléments, en guise de réponse à cette question. Kabila est conscient aujourd’hui que son régime, du fait de son caractère illégitime et arbitraire, tient à un fil. Et ce fil peut facilement rompre par une éventuelle coalition constituée de Paris, Kigali et Luanda contre son pouvoir. Déjà, au plan domestique, son régime vacille et ploie sous les coups de boutoir de l’opposition politique et de la société civile. Il suffit donc d’un coup de main de l’extérieur à la résistance de l’intérieur contre ses abus, pour sonner le glas de son régime. Joseph Kabila redoute d’autant plus ce scénario pour deux raisons essentielles. La première est liée au fait que l’homme n’est visiblement pas disposé à quitter les affaires de son propre gré. En effet, ces derniers temps, ses partisans les plus zélés ne cachent même plus leur désir de le voir briguer un autre mandat, quitte pour cela à organiser un référendum ou à tripatouiller la Constitution. Et dans cette partie de l’Afrique, tous les coups sont permis contre la démocratie. Kabila, après les autres, peut donc se permettre ce passage en force sans état d’âme. Et le dictateur a les moyens de dompter son opposition politique. Ces moyens ont déjà été utilisés avec succès par bien de ses voisins, au vu et au su de la communauté internationale. Denis Sassou Nguesso, Yowéri Museveni et autre Pierre Nkurunziza sont passés par là pour s’accrocher au pouvoir. Kabila a donc l’antidote de son opposition politique pour se succéder à lui-même. Et en dictateur averti, il sait que la communauté internationale s’apparente à un tigre en papier. Parallélisme des formes oblige, ce qu’elle n’a pas fait à Brazzaville et à Bujumbura, cette fameuse communauté internationale ne devrait pas le faire à Kinshasa. En revanche, le régime de Joseph Kabila peut ne pas survivre à une action concertée de Paris, Kigali et Luanda contre lui. Et pour cause.
L’alternance en RDC peut être portée par le Rwanda
L’Angola a toujours été constant dans son soutien à la dynastie des Kabila. D’abord, c’était Kabila père qui en avait bénéficié. Ce qui lui avait valu de mater la rébellion armée soutenue à l’époque par Kampala et Kigali. Ensuite, après le père, l’Angola de Dos Santos a apporté le même soutien au fils. Avec l’alternance qui s’est opérée en Angola, la donne pourrait changer. Le nouveau président angolais, qui semble plus enclin à la démocratie et à l’alternance que son prédécesseur, pourrait ne pas rechigner à se joindre à une initiative tendant à imposer l’alternance en RDC. L’alternance en RDC peut être portée également par le Rwanda, même si ce pays n’est pas un exemple en matière de démocratie. C’est pourquoi d’ailleurs on peut en rire. Il n’est pas exclu que Paul Kagame se réfugie derrière sa qualité de président en exercice de l’UA, pour demander à Joseph Kabila de débarrasser le plancher. Si ce dernier refuse d’obtempérer, l’homme mince de Kigali a les moyens militaires pour l’y contraindre. Et Joseph Kabila, dont le père avait terrassé la dictature de Mobutu grâce justement aux troupes de Kigali, sait de quoi l’on parle. Et si d’aventure, l’histoire devrait se répéter, l’homme fort de Kigali pourrait bénéficier de l’onction de la France. Mieux, ce pays dont l’hostilité vis-à-vis de Kabila est de notoriété publique, peut être disposé, en cas de changement de régime en RDC initié par l’Angola et le Rwanda, à déployer ses ressources politiques et diplomatiques à l’effet de le faire entériner par la communauté internationale. Pour toutes ces raisons, Kabila doit avoir une peur bleue d’une éventuelle initiative de sortie de crise pilotée par ces 3 pays. Et c’est dans ce contexte que les deux principales formations politiques de l’opposition dont les leaders sont Moïse Katumbi et Félix Tshisékédi, projettent d’unir leurs forces afin d’obtenir l’alternance. Cette éventualité vient en rajouter à la panique et à la frilosité du camp du dictateur. Et dans l’hypothèse où Joseph Kabila, contre vents et marées, chercherait à opérer un passage en force, Katumbi et Tshisékédi pourraient applaudir des deux mains une éventuelle action de l’Angola et du Rwanda avec la compréhension de la France, à l’effet de neutraliser Joseph Kabila. Et si ce scénario venait à se produire, ils ne seraient pas nombreux, ceux qui crieraient au scandale. Car, face à un homme comme Kabila, l’on peut se poser la question de savoir si cela n’est pas légitime.
« Le Pays »