RECOURS CONTRE LA SUSPENSION DES ACTIVITES AU MALI : Qui pour entendre les cris de la coalition ?
Le lundi 22 avril dernier, les partis politiques et organisations de la société civile, membres de la coalition de la déclaration du 31 Mars, ont déposé un recours devant la Cour suprême malienne aux fins d’obtenir l’annulation du décret du 10 avril 2024. En rappel, aux termes dudit décret, « sont suspendues jusqu’à nouvel ordre, pour raisons d’ordre public, les activités des partis politiques et les activités à caractère politique des associations sur toute l’étendue du territoire national ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette pilule est trop amère à avaler pour la classe politique malienne qui a décidé de la recracher en usant de tous les moyens légaux à sa disposition. Pour se donner toutes les chances de l’emporter dans ce bras de fer qui l’oppose aux autorités de la Transition devant les Sages maliens, la coalition s’est entourée de tout un pool d’avocats pour contester le décret jugé tyrannique et liberticide. Mais quelles sont les chances réelles pour les opposants à Assimi Goïta et ses frères d’armes, de se faire entendre ? Avant de répondre à cette question, il convient tout d’abord de saluer la maturité politique des partis et OSC signataires de la déclaration du 31 Mars, qui ont opté de vider le contentieux qui les oppose au pouvoir malien devant les juridictions compétentes.
Sauf tremblement de terre, la Justice ne tranchera pas en faveur des partis politiques
Même s’ils n’excluent pas un glissement du bras de fer juridique, du tribunal à la rue, l’on peut se féliciter du fait que le choix du recours devant la Cour suprême fait l’économie de manifs publiques qui auraient pu gravement détériorer le climat sociopolitique dans ce pays déjà largement affecté par la crise sécuritaire et les difficultés socio-économiques de divers ordres. Il faut d’autant plus féliciter cette maturité de la classe politique que l’on devine aisément qu’elle est au bord de la crise de nerfs après avoir été mise sous le boisseau pendant les trois ans que le pouvoir kaki s’est installé au palais de Koulouba, réduisant fortement les libertés individuelles et collectives. Cela dit, la question que l’on peut se poser est de savoir si tout cela réussira à faire pencher la balance du juge en sa faveur. Rien n’est moins sûr et il est à peu près évident que la coalition du 31 Mars elle-même ne se fait pas beaucoup d’illusions quant à l’issue de ce procès qu’elle intente contre le pouvoir malien. Et pour cause. L’on sait que la Justice malienne est en ce moment une justice aux ordres et comme le dit l’écrivain ivoirien, Amadou Kourouma, « le molosse ne change jamais sa manière éhontée de s’asseoir ». L’exception ne sera donc pas pour cette fois-ci. Ce recours risque bien de connaître donc le même sort que les précédentes requêtes de même nature auxquelles les juges n’ont même pas daigné répondre. Et il ne pouvait en être autrement car les ordres restent les mêmes : il faut empêcher toute manifestation qui ferait le lit d’une chienlit favorisant un changement de pouvoir. Les maîtres de Bamako sont d’autant plus intransigeants sur la question, qu’ils sont arrivés au pouvoir dans les mêmes conditions. Sauf tremblement de terre donc sur les rives du Djoliba, la Justice ne tranchera pas en faveur des partis politiques qui peuvent néanmoins se féliciter d’avoir réussi une belle opération de communication politique.
La classe politique malienne est victime de ses propres turpitudes
Et cette com’politique n’est pas seulement en direction de l’opinion politique malienne, mais aussi et surtout en direction de la communauté internationale qui s’était émue dès l’annonce de la décision prise par le pouvoir militaire. L’on se souvient que cela avait effectivement entrainé les sorties des premiers responsables de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’Union Africaine (UA), en l’occurrence Antonio Gutteres et Moussa Faki Mahamat. Et tout le mal que l’on peut souhaiter à la coalition est que ses cris ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd et qu’ils obligent la communauté internationale à se pencher sur la problématique de cette interminable transition au Mali. Cela dit, même si l’on peut comprendre les cris d’orfraie de la classe politique malienne qui se trouve bien emballée dans une camisole de force, l’on ne peut pas manquer de lui rappeler qu’elle est victime de ses propres turpitudes. C’est elle qui a créé la chienlit qui a occasionné l’accession au pouvoir, des boys venus de Kati. Et comme toujours, les monstres finissent par dévorer leurs géniteurs. Et c’est en cela que la lutte de l’opposition peut blaser les Maliens, sans nul doute, fatigués du retournement des vestes des politiciens au gré de leurs intérêts personnels qui coïncident rarement avec ceux du peuple malien. Mais l’on ne peut pas non plus blâmer pour cela les politiques qui sont dans leur rôle de charrier les aspirations profondes des peuples, même s’ils devraient après s’en lécher les mains car comme le dit le proverbe : « On ne peut pas récolter le miel sans se lécher les doigts ». Encore faudrait-il que la lutte produise des fruits et c’est là tout le défi de cette bataille engagée par les partis signataires de la déclaration du 31 Mars, qui doivent comprendre que l’on ne peut pas aller au paradis sans mourir.
« Le Pays »