TENTATIVE DE PUTSCH AU BENIN : Coup de semonce au cœur d’une démocratie qui se croyait intouchable
Les Béninois se sont réveillés le 7 décembre dernier au matin, abasourdis par l’annonce d’une tentative de coup d’Etat, un événement que peu auraient imaginé voir ressurgir dans un pays longtemps présenté comme l’un des laboratoires démocratiques les plus solides de la sous-région. Cette entreprise menée par le lieutenant-colonel Tigri Pascal a rappelé, avec la brutalité de l’inattendu, qu’aucune démocratie n’est définitivement à l’abri des sursauts de l’Histoire, surtout lorsque des tensions longtemps feutrées, trouvent soudain leur exutoire par les armes. L’assaut éclair contre la Télévision nationale, la diffusion d’un message annonçant la dissolution des institutions, la fermeture des frontières et la destitution du président Patrice Talon, ont donné, aux premières heures, l’impression d’un scénario soigneusement préparé pour produire le choc et la sidération. Mais, à en croire les communications officielles, la rapidité de la riposte des forces loyalistes, restées viscéralement attachées à l’ordre républicain, a vite exposé les failles du dispositif insurgé et son incapacité à rallier l’appareil militaire dans son ensemble. La vidéo où l’on voyait le lieutenant-colonel Tigri, le visage crispé, entouré de soldats frondeurs convaincus d’être les nouveaux redresseurs de torts, a été brusquement interrompue. Elle a aussitôt cédé la place à l’image du ministre de l’Intérieur, Alassane Seidou, apparaissant en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux, pour annoncer l’échec du coup de force et appeler la population au calme. Cette prise de parole, aussi soudaine que déterminante, a confirmé que les insurgés ne contrôlaient ni l’ensemble de l’armée, ni les principaux leviers de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, ce sursaut séditieux révèle une fissure politique et sociale bien réelle
Cette sortie n’a toutefois pas dissipé les doutes quant au déroulement exact des événements de ce 7 décembre ; la mémoire collective béninoise et ouest-africaine n’ayant rien oublié du scénario nigérien de 2023 : une communication officielle d’abord hésitante, puis des signaux contradictoires, avant la confirmation de la chute du président Mohamed Bazoum. Certes, au Bénin, on n’en était pas là au moment où nous écrivions ces lignes. Mais la prudence s’imposait face aux informations discordantes en provenance de Cotonou. Quoi qu’il en soit, ce sursaut séditieux, même avorté, révèle une fissure politique et sociale bien réelle, nourrie par un sentiment d’étouffement chez une partie de la population. Beaucoup dénoncent, en effet, des mesures jugées liberticides, liées à une gouvernance Talon, perçue comme fortement centralisatrice et jalouse de ses prérogatives : emprisonnement d’opposants en vue, judiciarisation de la contestation, restriction des espaces de débat. La démarche des mutins est indéfendable sur le plan républicain. Mais le fracas des bottes entendu hier matin dans les zones sensibles du Port autonome de Cotonou, de la Télévision nationale et du Palais de la Marina, où était censé se trouver le chef de l’Etat, rappelle sans fard que la stabilité d’un pays ne repose pas seulement sur la vigueur apparente de ses institutions : elle tient surtout à un pacte de confiance continuellement renouvelé avec la population. Dans une sous-région déjà sous haute tension, où la moindre étincelle peut embraser un paysage politique fragile, les autorités béninoises gagneraient à ne plus se retrancher derrière une façade institutionnelle impeccable pour dissimuler une dérive autoritaire potentiellement contre-productive. Soyons clairs : il ne s’agit en aucun cas d’applaudir les événements survenus au Bénin. Si cette tentative avait abouti, le pays aurait replongé un demi-siècle en arrière et perdu bien davantage qu’un président : il aurait sacrifié son symbole, sa réputation de démocratie modèle en Afrique de l’Ouest, et peut-être son avenir politique immédiat. Le pays semble s’être éloigné du précipice, mais le chemin demeure escarpé, surtout dans un espace régional où les régimes civils avancent sur une ligne de crête. Il suffit de rappeler qu’il y a une dizaine de jours à peine, un autre gouvernement démocratiquement élu, celui de Guinée-Bissau, a été balayé sous le regard impuissant de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une organisation qui aurait difficilement survécu, politiquement comme moralement, à un nouveau coup d’Etat réussi au Bénin.
Hamadou GADIAGA
