TOURNEE AFRICAINE D’ANTONY BLINKEN : Les intérêts guident les pas
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a entamé, le 8 août 2022, une tournée africaine qui le conduira successivement en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo et au Rwanda. On peut noter l’absence de l’Afrique de l’Ouest sur cette liste. Peu avant, soit le 4 août dernier, l’ambassadrice américaine auprès des Nations unies était en visite à Accra au Ghana. On peut donc dire que l’Afrique de l’Ouest n’est pas totalement absente des préoccupations actuelles des Etats-Unis. La tournée d’Antony Blinken se déroule en plein conflit russo-ukrainien où chaque camp compte ses alliés et cherche à convaincre les hésitants. Elle intervient aussi peu de temps après la tournée africaine du président français, Emmanuel Macron, qui a séjourné tour à tour au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, avait donné la réplique au président français en entamant, de son côté, une tournée africaine qui l’a conduit en fin juillet dernier en Egypte, au Congo Brazzaville, en Ouganda et en Ethiopie. L’Afrique semble donc redevenue un terrain de compétition pour les grandes puissances comme au XIXe siècle, au moment du partage du continent. Le déclic semble avoir été l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a mis fin au statu quo qui prévalait en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il est ainsi apparu aux yeux de tous que rien n’est définitif et que tout peut être remis en cause. Dès lors, chacun se donne pour mission d’élargir sa base. Antony Blinken ne cache pas ses ambitions. Pour lui, il s’agit, pour les Etats-Unis, de contrer les influences russe et chinoise en Afrique.
Les Africains doivent mettre en exergue les avantages comparatifs dans leurs relations de coopération
La question que l’on peut se poser est de savoir si de simples tournées peuvent avoir un impact réel sur les Etats et les populations, si elles ne sont pas précédées et suivies d’actes concrets. L’Afrique n’a pas de passé avec la Chine ni la Russie. Si donc ces pays ont progressivement pris place dans le continent, c’est parce que les circonstances l’ont permis, et c’est parce que l’Occident n’a pas su ou n’a pas pu combler les aspirations des Africains qui ont succombé aux charmes des autres, ou qui ont été tentés d’aller voir ailleurs. Il est donc plutôt question pour l’Occident, de faire son autocritique et de voir comment il peut remédier aux défaillances de sa politique de coopération avec le continent noir. Sans ce préalable, les tournées pourront se multiplier sans réel impact. Car, comme on le dit de façon triviale, c’est le terrain qui commande la manœuvre. C’est-à-dire que l’influence sur l’Afrique sera fonction de qui saura le mieux répondre aux aspirations de sa population. Le conflit russo-ukrainien qui redessine les enjeux géostratégiques, doit aussi être une occasion pour les Africains de s’interroger sur leur place et leurs intérêts dans les rapports internationaux actuels. Les Etats-Unis souhaiteraient voir l’Afrique du Sud condamner la Russie dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine, alors que jusque-là, ce pays est resté neutre. D’autant plus qu’il fait partie des BRICS qui comprennent le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Est-ce dans l’intérêt de l’Afrique du Sud de se mettre à dos les Russes pour plaire aux Américains ? Il semble que les intérêts des Africains sont ailleurs. Ayant à gérer plusieurs priorités à la fois du fait du sous-développement, les Africains doivent mettre en exergue les avantages comparatifs dans leurs relations de coopération. Si les Russes ou les Chinois sont plus efficaces dans un secteur donné, pourquoi s’en priver ? Les réalités de l’Afrique ne sont pas les mêmes que celles de l’Europe ou des Etats-Unis. Même au sein de l’Union européenne, les différents pays, en fonction de leur degré de dépendance au gaz russe, n’ont pas la même attitude à l’égard de la Russie. C’est donc le moment de remettre à l’honneur l’Organisation des non-alignés qui, restructurée, pourrait prendre en compte les aspirations spécifiques des Africains et servir de cadre d’expression et de refus de l’alignement systématique à l’égard des différents camps qui prétendent à la domination du monde.
Apolem