TRANSITION POLITIQUE AU BURKINA FASO : Le capitaine Ibrahim Traoré face à des défis « himalayesques »
C’est fait, et c’est désormais officiel ! Le capitaine Ibrahim Traoré qui a dirigé le coup d’Etat du 30 septembre dernier, a été choisi par les participants aux assises nationales organisées en fin de semaine dernière, pour présider aux destinées du Burkina Faso jusqu’au 24 juillet 2024. Ce fringant trentenaire qui a su monter les marches quatre à quatre de l’école primaire au Palais présidentiel, a été, pour ainsi dire, adoubé, après avoir réussi à coups d’arguments ad hominem, à récupérer les clés d’un pays en très mauvais état, des mains de son frère d’armes, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. Les dernières semaines de règne de ce dernier, rythmées par une litanie de griefs, ont poussé le capitaine d’artillerie à « prendre ses responsabilités » comme on le dit dans le jargon militaire, avec le soutien déterminant d’une frange du peuple burkinabè qui supporte mal la relation séculaire avec la France et qui exige des nouvelles autorités qu’elles se tournent vers la Russie afin de doter le pays de moyens qui lui permettront de « traquer les terroristes jusque dans les chiottes », pour reprendre les mots du très martial Vladimir Poutine.
Entre impératifs sécuritaires et risques de convulsions sociales, la ligne de crête est étroite pour le natif de Kera
Pour le moment, on ignore si le capitaine Ibrahim Traoré va exaucer les vœux de cette jeunesse consciente pour certains, instrumentalisée pour d’autres. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il se retrouve entre le marteau et l’enclume, puisqu’il sera sévèrement critiqué quel que soit le choix qu’il va opérer entre les deux puissances rivales. Un véritable casse-tête chinois dont le président de la Transition aurait pu se passer au moment où « tout est urgent » dans ce pays profondément polarisé, et pendant que les terroristes ont déjà tissé leur toile sur plus de la moitié de notre territoire. S’il veut réellement mener la barque à bon port et rester crédible aux yeux de ses compatriotes, le capitaine Traoré devra éviter de commettre l’erreur fatale de s’acoquiner avec des individus prétendument patriotes qui ne visent en réalité que leurs propres intérêts, et tout faire pour s’affranchir des groupes de pression d’où qu’ils viennent, qui pourraient parasiter son pouvoir et dévoyer les nobles objectifs qui sont jusqu’ici les siens, notamment la libération du pays du joug des groupes armés. A vrai dire, ce ne sera pas chose simple, car, entre impératifs sécuritaires et risques de convulsions sociales avec le drame humanitaire que vivent des régions entières du pays, la ligne de crête est étroite pour le natif de Kera dans la Boucle du Mouhoun, et les vingt-et-un mois qui nous séparent de la fin de cette transition pourraient être particulièrement éprouvants pour lui-même et pour tout le monde si, à Dieu ne plaise, les groupes armés poursuivent leur œuvre de balkanisation du pays. Déjà, et comme un pied-de-nez au nouveau locataire de Kosyam, les terroristes se sont cruellement signalés dans le Centre-Nord en perpétrant une attaque contre le détachement militaire de Silmagué quelques heures seulement après la confirmation du capitaine et homme de terrain comme président du Faso pour le reste de la Transition.
Les Burkinabè attendent des actes plus forts pour croire en la capacité du nouvel homme fort à être à la hauteur des enjeux et des défis
Un assaut meurtrier dont le bilan provisoire faisait état de 4 militaires et 8 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) tués sur le coup, suivi dès le lendemain d’autres incursions dans d’autres localités du pays comme à Markoye dans l’Oudalan et à Dargo dans le Namentenga. Pas de répit ou d’état de grâce donc pour Ibrahim Traoré qui doit tout de suite démentir la boutade d’Alphonse Karr selon laquelle « plus ça change, plus c’est la même chose », en bandant les muscles à travers une opération foudroyante de reconquête du territoire, pour démontrer à ceux qui en doutent encore, qu’il n’y a pas que des officiers de pacotille dans l’armée burkinabè, cantonnés à un rôle cérémoniel à Ouagadougou alors que le reste du pays brûle. Il l’a, en tout cas, promis et a déjà posé des actes qui rassurent, comme l’autorisation donnée illico presto au Programme alimentaire mondial, de larguer des vivres dans les villes sinistrées de Djibo, Pama, Tankoualou et Tin Akoff, entre autres. Sans oublier sa présence au mémorial Thomas Sankara, samedi dernier, pour la célébration du 35e anniversaire de l’assassinat du héros de la Révolution, marquée par sa réception, des mains des héritiers politiques de ce dernier, du trophée qui symbolise en quelque sorte le passage de témoin entre lui et le défunt président. Tout cela est bien beau, mais les Burkinabè, quoique soulagés par le départ de Damiba, sont devenus incrédules et attendent des actes plus forts pour croire en la capacité du nouvel homme fort à être à la hauteur des enjeux et des défis « himalayesques » en termes de protection des populations et de sécurité alimentaire et territoriale, auxquels le Burkina Faso fait face. Cela dit, on remarque que pour ce qui est du prochain gouvernement et de l’Assemblée législative de Transition, le même nombre de ministres et de députés a été maintenu, bien que cette fois-ci, on a réussi à faire croire à ceux qui ne savent pas lire entre les lignes, que les futurs « parlementaires » travailleront « cadeau », puisqu’ils ne percevront que les indemnités de session. Seulement voilà, les sessions sont devenues permanentes au terme de l’article 18 de la nouvelle Charte, et les nouveaux…élus de Dieu n’auront pas à grommeler puisqu’ils auront une indemnité journalière pendant toute la durée de leur mandat ; ce qui peut représenter une belle cagnotte pour des gens censés exercer un mandat gratuit. On espère que tous ces détails ne resteront pas en travers de la gorge de la majorité des Burkinabè, que des questions subsidiaires ne viendront pas polluer cette nouvelle transition et que les priorités ne vont pas changer de préséance juste pour satisfaire les appétits gargantuesques de tous ces « petits mangeurs de haricot » qui graviteront autour de la table du roi.
« Le Pays »