VISITE DU PRESIDENT FRANÇAIS AU BURKINA Macron promet la déclassification de tous les dossiers relatifs à l’affaire Thomas Sankara
En visite officielle au Burkina depuis le 27 novembre 2017, le président français, Emmanuel Macron, a eu droit hier, 28 novembre 2017, au palais de Kosyam, aux honneurs militaires dus à son rang. Des honneurs qui auraient dû lui être rendus le jour de son arrivée à l’aéroport international de Ouagadougou. Mais comme il a foulé le sol burkinabè après 22h, heure à laquelle les honneurs militaires ne sont pas autorisés, il fallait les lui rendre le lendemain. Après l’exécution des hymnes nationaux à savoir la Marseillaise et le Ditanyè, les deux chefs d’Etat ont eu des échanges au terme desquels ils ont accordé un point de presse aux nombreux Hommes de médias qui étaient mobilisés pour la circonstance. Un point de presse au cours duquel le président français, Emmanuel Macron, a rassuré les Burkinabè que tous les dossiers relatifs à l’affaire Thomas Sankara seront déclassifiés.
Bref mais très solennel fut le cérémonial des honneurs militaires rendus au président français, Emmanuel Macron, en visite officielle de trois jours au Burkina. Arrivés autour de 7h au palais de Kosyam qui s’était fait beau à travers la belle coupe de ses fleurs et la cadence de ses jets d’eaux, les Hommes de médias attendront 8h 41 minutes avant de voir sortir le locataire de ce somptueux palais. Dans la cour, le tapis rouge est dressé, la sécurité veille au grain. Dans le ciel, un petit aéronef tournoie. A 8h 46, le cortège présidentiel fait son entrée à Kosyam. A 8h 47, le président français descend de son véhicule rutilant de couleur noire. Le président du Faso avance et accueille chaleureusement son hôte de marque. Au même moment, un ordre militaire est donné. « Présentez armes !». La garde rouge s’exécute. Les deux présidents lui font face. La Marseillaise retentit, puis le Ditanyè. Après l’exécution des deux hymnes nationaux, les deux chefs d’Etat entrent au palais. Après quelques échanges, les deux dirigeants ressortent au hall où chacun fait une déclaration. « Nous avons, entre les délégations burkinabè et française, eu un échange très fructueux, aussi bien sur tous les sujets qui concernent la coopération entre nos deux pays, quelle soit économique, politique, quelle soit au plan des relations internationales que sur nos préoccupations du moment », a déclaré le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Il a expliqué que des questions relatives à l’immigration, aux préoccupations pendantes telles que la levée du secret défense sur le dossier Thomas Sankara, l’extradition de François Compaoré, ont aussi été abordées. Les deux parties ont également échangé sur les questions relatives à l’énergie, à l’éducation et à la sécurité dans les pays du G5 Sahel et particulièrement au Burkina Faso. A son avis, sur l’ensemble de ces différents points, l’échange a été très fructueux et participatif de part et d’autre. Du reste, il a fait savoir que ces discussions se sont menées dans l’intérêt bien compris des deux pays et des deux peuples. Et son homologue français, Emmanuel Macron, de confirmer à son tour que l’essentiel des sujets bilatéraux, qu’il s’agisse de l’enseignement supérieur, du développement durable et de l’énergie que des soutiens bilatéraux ainsi que des accords qui ont été récemment conclus à Paris, ont été évoqués. Pour le président Macron, la question sécuritaire, volet sur lequel il y a une coopération bilatérale forte, a également été abordée. Il a fait comprendre que sur ce sujet, il y a une volonté affirmée de son pays, de développer une plus grande intégration régionale avec le déploiement plein et entier de la force du G5 Sahel.
Aller au déploiement plein et entier de la force G5 Sahel
Bien que les choses soient avancées à ce niveau, le président Macron estime qu’au-delà des opérations pilotes, il faut aller à un déploiement plein et entier de la force G5 Sahel, en particulier sur le sujet qui est médian et qui concerne particulièrement le Burkina Faso. Selon le président français, ce déploiement de la force du G5 Sahel se double de l’alliance pour le Sahel qui est la partie développement et le financement du développement qui va avec et qui a été lancé en juillet dernier à Bamako. A son avis, c’est le complément indispensable de cette plus grande sécurisation. Sur les sujets de la région, il y a, dira le locataire de l’Elysée, des convictions fortes, communes et une volonté de vite stabiliser la région contre les mouvements terroristes, parce que c’est cela aussi la clé du développement durable. Il a rappelé combien son déplacement au Burkina est important. « Nous sommes dans un pays qui a décidé, il y a deux ans, de prendre ses responsabilités, dont la jeunesse a décidé de faire un choix démocratique fort. C’est pourquoi j’ai souhaité commencer ce déplacement africain pour prononcer mon premier discours sur mes ambitions avec l’Afrique et la jeunesse africaine ici au Burkina Faso et particulièrement dans une université ». C’est après avoir livré cette déclaration que le président Macron et son homologue burkinabè, Roch Marc Christian Kaobré, se sont prêtés aux questions des journalistes. Sur les dossiers relatifs à l’affaire Thomas Sankara et à l’extradition de François Compaoré, le président Macron a répondu que compte tenu des délais, les archives relatives à l’affaire Sankara sont disponibles et ouvertes à la Justice burkinabè. La question qui se pose, c’est le retour des dossiers qui sont classifiés et ceux couverts par le secret de la défense nationale. Ce sont les seuls qui ne sont pas consultables au délai des 25 ans. « Mais j’ai pris un engagement clair, je peux le rendre public aujourd’hui. Ces documents seront déclassifiés pour la Justice burkinabè, tous. La Justice burkinabè aura donc accès à tous les dossiers qui concernent l’affaire Sankara ». Pour ce qui est du cas de François Compaoré, il a soutenu qu’il a été interpellé le 29 octobre dernier à son arrivée sur le territoire français. « Son interpellation est le résultat d’une coopération exemplaire entre nos deux Justices. Lesquelles sont toutes deux indépendantes. Il a depuis été mis sous contrôle judiciaire, il est interdit de quitter le territoire, il doit se présenter régulièrement à la police française. Les Burkinabè ont fait parvenir rapidement une demande d’extradition. Il appartient à la Justice française de rendre sa décision. Pour ma part, je ferai tout pour faciliter celle-ci ».
Vous avez réaffirmé votre volonté d’écrire une nouvelle page de l’histoire. Il y a une page noire entre la France et
l’Afrique. C’est bien la colonisation que vous avez qualifiée de crime contre l’humanité. Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour éclaircir cette page? La réponse du président français à cette question n’est pas sans équivoque, car il privilégie une approche au cas par cas. « Selon les pays, il y a des moments qu’il faut clarifier ». Et de poursuivre qu’il n’est ni dans le déni ni dans la repentance. «Moi je suis frappé de voir combien d’ailleurs ceux qui sont parfois dans la repentance, entretiennent le déni des autres. On est dans un pays où la jeunesse est forte. Cette jeunesse, elle n’a jamais connu la colonisation. Ceux qui sortent des représentations des aînés, eux ne veulent pas qu’on sorte de la colonisation. Ce sont les mêmes qui se tournent vers la France dès qu’il y a un problème en disant, « il faut venir nous sécuriser ici ». Ce sont les mêmes, journalistes, politiques, activistes, qui, dès qu’il y a un problème partout en Afrique, demandent que pensez-vous de ceci ou de cela, parce que nous étions encore une puissance coloniale. Et puis après, ils se retournent vers la France en lui disant, « que faites-vous ici »?
Une relation décomplexée
Pour le président français, il faut sortir de ce traumatisme du passé et avoir une relation décomplexée et d’avenir. Et c’est le message qu’il entendait apporter aux étudiants avec lesquels il a échangé à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo. Selon le président Macron, la colonisation est «notre histoire commune qui a des plis et des replis qu’il a toujours assumés ». Mais il a décidé de parler aux étudiants d’avenir, car ce n’est ni la colonisation, ni le discours contre la colonisation qui donneront une
éducation, un travail, de l’espoir et un avenir à la jeunesse du Burkina comme du reste de l’Afrique. Répondant à une question relative à la lenteur des actions de la force du G5 Sahel face à la multiplicité des attaques terroristes dont celle qui a visé les soldats français le 27 novembre dernier à Ouagadougou, le président Macron dira que des décisions claires ont certes été prises, mais force est de reconnaître que les choses n’avancent pas vite. Il a rappelé que son prédécesseur a fait le bon choix en intervenant au Mali pour sauver ce pays avec une opération qui a été menée rapidement et qui s’est structurée en opération Barkhane pour lutter contre le terrorisme et éviter la victoire des terroristes. « Nous devons gagner cette bataille, ce qui suppose qu’à côté de la MINUSMA, de Barkhane, il faut déployer plus vite cette force G5 Sahel. L’intérêt de cette force est de développer une force africaine régionale dont la vocation est d’intervenir au niveau des zones frontalières ». Mais il y a de vraies problématiques opérationnelles et juridiques. Car, a expliqué le président français, quand on commence à poursuivre un terroriste du côté burkinabè, il faut pouvoir soit continuer à le poursuivre du côté nigérien ou malien soit dans une coopération très étroite, etc.
Passer à la vitesse supérieure
Le chef d’Etat français a confié que les premières opérations organisées dans le cadre du G5 Sahel ont été probantes. Mieux, ils ont réussi à organiser beaucoup plus vite qu’ils le faisaient par le passé, un état-major renforcé avec des moyens, et la France a pris ses responsabilités en mettant tous les moyens à la disposition des partenaires. Il est donc temps, a-t-il estimé, de passer à la vitesse supérieure car sa volonté, c’est de voir cette force sur les trois fuseaux se déployer rapidement avec des opérations et des victoires. Se prononçant sur la responsabilité de l’Union européenne sur la vente des ressortissants subsahariens en Libye, le président français a indiqué qu’il s’agit là des conséquences de la guerre menée dans ce pays. La politique qu’il souhaite voir l’Union européenne mener en Libye, est la stabilisation politique de ce pays, avec l’implication de l’Union africaine. Il a dit avoir été choqué comme bien d’autres personnes par les images diffusées par la chaîne américaine CNN. « La France condamne avec la plus grande force ce qui est un crime contre l’humanité », a soutenu le chef d’Etat français. Pour le résoudre de manière efficace, ils ont décidé d’apporter la protection du droit d’asile à tous les ressortissants africains qui sont dans la région, en particulier en travaillant avec le Niger, le Tchad pour éviter que des femmes et des hommes qui ont droit à l’asile, ne courent des risques d’aller passer des mois et des années dans ces camps en Libye, ou parfois prendre des risques dans la méditerranée. Toujours comme solution, c’est d’intensifier le travail avec l’Organisation international pour les migrations (OIM) afin de favoriser le retour, dans leurs pays d’origines, des femmes et hommes qui se trouvent dans ces camps en Libye. La dernière solution énumérée par le président Macron, est la lutte contre les trafiquants qui sont responsables de cette traite. Il a d’ailleurs promis de plaider au sommet Union européenne-Union africaine qui débute demain en Côte d’Ivoire, pour que la
coopération entre les deux organisations soit intensifiée afin de démanteler plus efficacement les réseaux des trafiquants. Parce que, dira-t-il, ce sont les trafiquants d’être humains, de drogue et d’armes qui opèrent dans la bande sahélo-saharienne, qui la déstabilisent et qui, de plus en plus, ont des liens avec les terroristes.
Avec les attaques terroristes et les mouvements de protestation contre la venue d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, la France est-elle toujours la bienvenue en Afrique? La réponse est oui selon le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Pour lui, cette situation est la preuve que l’Afrique est traversée par un certain nombre de pensées politiques et c’est ce qui explique aussi le caractère démocratique d’un pays. « C’est de permettre aux citoyens, dans le respect de la légalité, d’exprimer leurs points de vue sur ce qu’ils pensent être les relations entre nos deux pays », a soutenu le président Kaboré selon qui il n’y a pas lieu de penser qu’il y a des risques particuliers au Burkina vis-à-vis des relations entre son pays et la France. Et son homologue français de renchérir que la France est en Afrique quand celle-ci est menacée dans son intégrité et dans sa stabilité comme l’Afrique a d’ailleurs toujours été aux côtés de la France quand celle-ci est attaquée. Il a, du reste, précisé qu’il y a plusieurs monuments aux morts qui parcourent le continent africain et qui montrent ces magnifiques soldats africains qui sont venus périr sur le sol français. Quand l’Afrique est menacée comme ce fut le cas au Mali, la France est à ses côtés et elle est toujours là, a rappelé Emmanuel Macron qui n’a pas manqué de rendre hommage aux jeunes soldats français et à leurs familles, qui sont tombés
pour l’Afrique. L’Afrique ne doit jamais les oublier, comme la France ne doit jamais oublier les soldats africains qui ont péri en Afrique, a souhaité le président français. Pour le cas de l’attaque à la grenade contre des soldats français, qui a fait trois blessés le 27 novembre à Ouagadougou, Emmanuel Macron trouve que c’est le signe qu’il y a un sujet d’insécurité qui persiste et auquel le président du Faso s’attaque quotidiennement. Il a surtout salué le professionnalisme de celui qui, a-t-il révélé, entretient une excellente coopération militaire avec l’Hexagone qui appuie son pays en matière de formation et d’équipement des troupes et qui permet d’agir efficacement. L’hôte de marque burkinabè a aussi rendu hommage à tous les morts que le pays des Hommes intègres a enregistrés récemment car, pour lui, ils ne sont pas morts à cause de sa venue au Burkina, mais à cause du terrorisme mortifère et obscurantisme. Réagissant aux réactions politiques sur son déplacement au Burkina, le président français fera savoir que c’est normal, souhaitable. De son point de vue, c’est l’expression plurielle d’une vie démocratique riche. « Je préfère un pays où la jeunesse a la possibilité de protester, de dire ce qu’elle pense qu’un pays où on ne l’entend pas. Je suis heureux de voir cette vitalité de la jeunesse burkinabè», a conclu le chef d’Etat français.
Dabadi ZOUMBARA