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ABBE ABEL OUALI, VICAIRE DE LA PAROISSE DE MANNI, A PROPOS DU CAREME


Ce jour 26 février 2020, mercredi des Cendres, marque le début du carême chrétien. Dans une interview qui nous a été accordée le 20 février dernier à Ouagadougou, l’Abbé Abel Ouali, Vicaire de la paroisse de Manni, province de la Gnagna, diocèse de Fada N’Gourma, nous donne le sens du carême et les dispositions à prendre pour mieux vivre ce temps favorable que l’Eglise offre à ses enfants pour la conversion des cœurs. Lisez !

« Le Pays » : Le mercredi des Cendres marque le début du carême chrétien avec l’imposition de la cendre sur le front des fidèles catholiques. Selon vous, qu’est-ce qui symbolise l’onction de cette cendre ?

L’Abbé Abel Ouali :
Le mercredi 26 février 2020, marque effectivement le début du carême chrétien avec la célébration de la messe de l’onction des cendres.

« Un appel à l’humilité »

La symbolique de la bénédiction et l’onction des cendres que les fidèles vont recevoir sur leur front, est bibliquement un signe de pénitence et de conversion de la part de l’homme pécheur qui s’humilie devant Dieu pour demander la miséricorde, le pardon de ses péchés pour obtenir de Dieu, la grâce de devenir un chrétien meilleur. Il y a deux images très symboliques dans la Bible où l’on fait face à l’imposition de la cendre. C’est David, en 2 Samuel chapitre 12, verset 16 où Dieu envoie son prophète Nathan chez David pour lui signifier qu’il a fait un péché en allant avec la femme d’un autre et en faisant périr ce dernier. Dieu a fait dire à David qu’il sera sanctionné pour sa faute à travers l’enfant que la femme avec qui il a commis le péché, allait avoir. C’est ainsi que David s’humilie devant Dieu en jeûnant et en se couchant à terre sur de la cendre. Ce fut là un symbole de pénitence pour David qui s’humilie pour demander au Seigneur de prendre en pitié le petit enfant qui est innocent et qui n’a rien à voir avec le péché de ses géniteurs. La deuxième image est celle des habitants de Ninive. Jonas parcourut la ville de Ninive en annonçant à ses habitants qu’ils seront détruits, s’ils ne se convertissent pas. A la suite de cette annonce en Jonas chapitre 3, les versets 5 à 6, les Ninivites prennent la résolution de s’humilier devant l’Eternel et de jeûner. Le roi annonce dans le pays, que tout homme et tout animal doit jeûner, se coucher sur de la cendre et lui-même en premier. La symbolique, ici, c’est pour demander pardon à Dieu mais pour dire au Seigneur son désir de changement. Liturgiquement, c’est un appel à l’humilité. En imposant les cendres sur le front du chrétien, on lui dira, « souviens toi que tu es poussière », comme pour dire, apprends à t’humilier parce que tu es limité et faible. C’est aussi un appel à la conversion, quand on dira aux fidèles « convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ». C’est tout le sens de l’onction des cendres.

Qu’est-ce que le carême ?

D’un point de vue général, le carême est un moment fort de replis spirituel, de pénitence, de conversion de vie au moyen du jeûne, de la prière et de l’aumône. C’est un moment pour mettre aussi en évidence à la fois, ce qui nous divinise, c’est-à-dire ce qui nous rapproche de Dieu, la prière, et ce qui nous humanise, c’est-à-dire ce qui rapproche des autres hommes, l’aumône. Le carême est une commémoration spirituelle des 40 ans de marche du peuple de Dieu dans le désert, de l’Egypte vers la terre promise, de l’esclavage vers la liberté, de la mort vers la vie. Le carême commémore également les 40 jours de notre Seigneur Jésus-Christ dans le désert sous l’action de l’Esprit Saint, symbole de notre victoire sur le mal grâce à la parole de Dieu.

Comment le chrétien doit-il vivre le temps de carême ?

Pour vivre le carême, le chrétien est invité à prendre conscience de la présence de Dieu dans sa vie. Il doit prendre conscience de son besoin essentiel de Dieu qui est son créateur et qui l’a créé à son image. Il est aussi important de prendre conscience de ses limites ainsi que ce qui l’éloigne de Dieu pour pouvoir bien vivre le carême. Prendre conscience de ce qui l’éloigne de Dieu et de ce qui l’éloigne des hommes afin de s’en détacher progressivement. Trois moyens essentiels sont offerts par l’Eglise pour vivre le carême : le jeûne, la prière quotidienne et la charité à travers l’aumône. Et dans l’Evangile selon saint Mathieu, le Seigneur Jésus nous recommande de vivre ces œuvres de justice religieuse dans la plus grande discrétion, pour plaire plus à Dieu qu’aux hommes. Nous recommandons aux chrétiens le vécu des œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle durant ce temps de carême.

Quelles sont les œuvres de miséricorde corporelle ?

Il y a sept œuvres de miséricorde corporelle qui sont : savoir apporter à manger à ceux qui meurent de faim. Vous rencontrez quelqu’un qui a faim, un mendiant ou un pauvre dans la rue ou votre voisin que vous savez pauvre, c’est de lui venir en aide en lui donnant de quoi manger. C’est donner à boire à ceux qui ont soif. Vous rencontrez quelqu’un qui a soif et qui vous demande de l’eau à boire, c’est de lui offrir de l’eau à boire. Donner de quoi se vêtir à ceux qui sont dans la nudité. Très souvent, les malades mentaux dans la rue, sont nus et on ne pense pas du tout à leur donner de quoi se vêtir en nous disant que même si nous leur apportons des vêtements, ils vont toujours rester dans cet état-là. Il n’y a pas que ceux-là. Il y a aussi les enfants vivant dans la rue, qui ont besoin de se vêtir alors que nous avons beaucoup d’habits et de chaussures dans nos magasins, que nous n’utilisons plus. C’est aider ces personnes qui n’ont pas de quoi se vêtir à en avoir. Accueillir les étrangers, rendre visite aux malades, aux prisonniers. C’est très important pendant le carême. Et enfin ensevelir les morts.

Et les œuvres de miséricorde spirituelle ?

Les œuvres de miséricorde spirituelle sont sept également. Ce sont : conseiller ceux qui sont dans le doute. Etre un bon conseiller, c’est faire œuvre de miséricorde spirituelle. Enseigner les ignorants, ceux qui ne connaissent pas, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses. Le pardon est une importante œuvre de miséricorde spirituelle, surtout pendant le carême. Supporter patiemment les personnes ennuyeuses. Dans la vie quotidienne, on a du mal à supporter les autres. Pourtant, la patience est d’une importance capitale pour le chrétien. C’est aussi de prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

Qui est habilité au jeûne catholique ?

Selon le Code de droit canonique, tous les fidèles, baptisés et catéchumènes, sont tenus par la loi divine de faire pénitence chacun à sa façon (cf. canon 1249). Toute personne qui se reconnaît fidèle du Christ doit respecter la discipline du jeûne et de l’abstinence. Cependant, du point de vue de l’âge, seuls les fidèles ayant 14 ans et plus, sont tenus par la loi de l’abstinence, et le canon 1252 ajoute que tous les fidèles majeurs jusqu’à la soixantaine commencée, sont liés par la loi du jeûne. Les fidèles de moins de 14 ans et ceux de plus de 60 ans ne sont pas obligés de jeûner.

Comment doit-on jeûner ?

Conformément toujours au droit de l’Eglise, le fidèle doit s’abstenir de viande, d’alcool ou d’une autre nourriture chaque vendredi de l’année non pas seulement les vendredis du mois de carême. Chaque vendredi de l’année, le chrétien doit s’abstenir de viande, d’alcool et de nourriture dans la mesure du possible, sauf les jours où nous fêtons solennité. L’abstinence et le jeûne sont obligatoires le mercredi des Cendres et le vendredi de la passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Ce sont ces jours qui sont obligatoires pour ceux qui sont habilités à jeûner.

« Une variété de manières de jeûner dans l’Eglise »

Dans l’Eglise, il existe une variété de manières de jeûner selon ce que nous visons. Il demeure cependant que quelle que soit la forme du jeûne, il est caractérisé par une privation alimentaire ou matérielle. Ce dont le fidèle se prive en jeûnant, il doit le redistribuer aux plus démunis, conformément à la loi de charité voulue par le Christ.

S’abstenir de viande et d’alcool pendant le carême renvoie à quelle symbolique dans l’Eglise ?

En disant à ses fidèles de s’abstenir de la viande et de l’alcool, c’est une manière pour l’Eglise d’amener ses fils à s’abstenir de ce qui peut leur procurer un certain plaisir. « Le vin réjouit le cœur de l’homme », dit-on. C’est une manière d’aider les chrétiens à réduire le plaisir que leur procurent ces aliments qui sont prisés. Cette disposition de la conférence épiscopale et de l’Eglise vise essentiellement à favoriser la prière des chrétiens et à les aider à s’identifier aux plus pauvres qui n’ont quoi manger. L’abstinence de viande et de vin symbolise donc notre désir de maîtriser nos passions et de vivre l’esprit de pauvreté. La viande et l’alcool sont des denrées alimentaires répandues dans notre pays. Contrairement à d’autres pays, les chrétiens vont faire l’abstinence sur d’autres nourritures.

Quel comportement le fidèle catholique doit-il avoir pendant ce temps de carême ?

En plus de la prière régulière, du jeûne et de l’aumône qui sont les attitudes essentielles du carême, les fidèles doivent adopter des attitudes de conversion de vie. Des attitudes qui les rendent plus chrétiens. Le Christ-Jésus, dans l’Evangile selon Saint Mathieu du chapitre 5 au chapitre 8, enseigne à tous les fidèles comment devenir chrétien. Les béatitudes sont les manières d’être qui siéent le mieux pendant le temps de carême, pendant toute la vie chrétienne. Ces béatitudes sont : l’humilité, la douceur, reconnaître et pleurer ses fautes, être artisan de justice et de paix, savoir pardonner, rechercher la pureté et tant d’autres bonnes actions qui sont des comportements que les fidèles peuvent et doivent avoir durant le carême.

De plus en plus, les lieux de culte sont attaqués. Quelles sont les dispositions que l’Eglise catholique prend en interne pour se protéger ?

Effectivement, de plus en plus des églises catholiques, protestantes et des mosquées sont attaquées par des groupes armés dont les actions sont de plus en plus inquiétantes et endeuillantes. Sous réserve de ce que nos autorités religieuses ont pu décider et dont je ne suis pas au courant, les dispositions sont celles que les Evêques du Burkina et du Niger nous proposent et nous recommandent. Il s’agit, entre autres, de la prudence et de la discrétion dans nos propos et dans nos enseignements. Là où la situation est très défavorable, c’est de déplacer les agents pastoraux vers des lieux de mission plus favorables. Encourager les fidèles de ces milieux à trouver de nouvelles stratégies pour vivre leur foi. Par-dessus toutes ces dispositions, l’Eglise encourage tous les fidèles à prier pour la paix.

Etes-vous pour la sécurisation des lieux de culte comme le réclame l’opposition politique ?

Après l’attaque d’une église protestante le 16 février 2020, j’ai appris que le Chef de file de l’opposition politique burkinabè (CFOP) a préconisé de sécuriser les lieux de culte. Si cette sécurisation consiste, en accord avec les autorités ecclésiastiques, à former les services d’ordre ecclésiaux, les responsables de communautés et les fidèles sur les techniques de survie, de sécurité, sur les dispositions de vigilance, de collaboration et d’alerte, alors elle est très souhaitable. Cependant, s’il s’agit d’envoi d’unités suffisamment armés pour riposter à d’éventuelles attaques lors des célébrations du culte, nous estimons cela irréaliste au regard du grand nombre de nos lieux de culte, comparativement aux effectifs de nos Forces de défense et de sécurité. Nous estimons, dans ce cas, qu’il est plus convenable de sécuriser tous les départements, les communes et les villages plutôt que de vouloir sécuriser simplement quelques lieux de culte. Il sied mieux de veiller à la sécurité de tout le peuple plutôt qu’à la sécurité d’une partie du peuple.

Quelles sont les conséquences des attaques terroristes sur la pratique religieuse ?

La réponse que je vais donner est vraiment personnelle. Elle s’inspire de ma foi et de mon jugement qui est bien limité. Pour moi, les conséquences négatives de ces attaques sont que les fidèles chrétiens ont peur comme tous les hommes. Les fidèles sont tentés d’arrêter de prier et de se cacher. Il y a la fermeture de certains lieux de culte. Ce sont là, entre autres, des conséquences négatives des attaques terroristes sur la pratique religieuse.

« Prier pour la paix dans le monde »

Toujours personnellement, il y aurait des conséquences « positives » en ce sens qu’il y a la prise de conscience de la nécessité de prier encore plus pour la paix. Nous prions toujours pour la paix, mais l’on se rend compte aujourd’hui qu’il y a nécessité de prier encore pour la paix, pour notre conversion, et pour que les hommes puissent se regarder en frères plutôt qu’en ennemis. C’est aussi une opportunité de vivre la loi chrétienne de la charité à travers le soutien et l’accompagnement des personnes déplacées internes. Et aussi l’ouverture à la confiance en Dieu. Voilà, selon moi, ce qu’on pourrait considérer comme conséquences « positives » des attaques terroristes sur la pratique religieuse.

Certains proposent de fermer les lieux de culte dans les localités attaquées. Que répondez-vous ?

Naïvement, je répondrai que l’Eglise est plus qu’un lieu, elle est un peuple. Par voie de conséquence, là où deux ou trois fidèles sont réunis pour prier, il y a l’Eglise et il y a lieu de culte. On ne ferme pas l’église, on se déplace là où les fidèles peuvent se réunir. Cependant, pour répondre à la question, nous estimons qu’il appartient aux autorités des communautés religieuses de prendre les mesures qui siéent au bien-être de leurs fidèles. Un aîné a dit que « fermer les lieux de culte serait manifester ouvertement l’impuissance de notre Etat et de nos autorités ». Je partage entièrement son point de vue.

Votre mot de fin pour ceux qui nous lisent ?

Mon mot de fin serait de souhaiter un bon mois de carême à tous les fidèles chrétiens du monde entier. Je les invite à profiter de ce temps favorable offert par l’Eglise pour se sanctifier, pour vivre davantage la charité et pour devenir plus chrétien. Je leur demande aussi de prier pour la paix parce que le monde en a besoin. Il est important que nous priions tous pour la paix. J’encourage tous nos citoyens à garder la foi en Dieu pour la paix dans notre pays parce que celui qui espère ne se trompe jamais et l’espérance ne déçoit pas.

Propos recueillis par Kiswendsida Fidèle KONSIAMBO

 


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