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MASSACRES INTERCOMMUNAUTAIRES AU NIGER ET AU MALI


Arrêter la spirale sanglante au plus vite !

La commune nigérienne d’Inatès a été endeuillée vendredi dernier, avec l’attaque massive et sans précédent d’un campement peul par des assaillants venus du Mali voisin. Dix-sept personnes ont été tuées, on devrait dire massacrées, par des hommes lourdement armés et en mission commandée, puisque les victimes devaient être, à ce qu’il paraît, exclusivement des peuls. Selon les premiers témoignages recueillis sur place, cette attaque aurait été perpétrée par des Touaregs maliens, en guise de réponse du berger à la bergère, après l’exécution sommaire et de sang-froid, de dix-sept personnes issues de la communauté touarègue de la commune de Ménaka, par des combattants peuls qui se seraient par la suite évaporés dans la nature. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le retour à la paix et à la sécurité dans cette zone, est des plus improbables, puisqu’en plus des actions pernicieuses des groupes radicaux, on assiste de plus en plus à un cycle infernal de violence du fait du banditisme et surtout des vendetta sur fond de conflits communautaires en latence depuis des décennies. Le pessimisme est d’autant plus grand que ces violences inter-ethniques ne sont pas seulement circonscrites aux régions de Ménaka au Mali et de Tillabéry au Niger, mais elles sont également signalées ailleurs dans ces deux pays, avec comme constante, l’implication de la communauté peule dans les tueries. Si ce ne sont pas les peuls et les bambaras qui s’affrontent à coups de canon dans la zone inondée du Macina au centre du Mali comme ce fut le cas en 2016 et en 2017 avec des dizaines de victimes à la clé, ce sont les dogons et les peuls qui se règlent les comptes avec des fusils mitrailleurs, toujours dans le centre du pays. Plus au Nord et à l’Est, les affrontements et les représailles sont récurrents entre les peuls et les membres des tribus Touaregs de Gao et de Menaka, et plus récemment entre les éleveurs nomades peuls et des Haoussa du Niger voisin, engendrant de nombreuses victimes, le plus souvent innocentes.

C’est pain bénit pour les groupes extrémistes

Pourquoi les peuls sont-ils au centre de toutes ces violences intercommunautaires ? La réponse, pour ce qui est du Mali, en tout cas, est simple : les départs massifs des agents de l’Etat des régions du Centre et du Nord du pays à partir de 2012, ont considérablement affaibli la puissance publique et laissé de vastes territoires à l’abandon et à l’insécurité. C’est sur ce terreau fertile que vont naître des groupes d’auto-défense à base communautaire, notamment chez les éleveurs nomades qui sont de plus en plus gagnés par un sentiment de victimisation ethnique et qui profitent du chaos pour se procurer en armes dans le but non seulement de se défendre contre les brutalités des forces de défense et de sécurité maliennes, mais aussi de remettre en cause les privilèges indûment acquis des élites urbanisées et des anciennes aristocraties locales. Une bonne partie ira rejoindre les groupes radicaux comme le Front de libération du Macina ou le Mujao, plus par opportunisme que par conviction religieuse, et c’est de là qu’est partie l’extrapolation qui fait de toute la communauté peule, l’alliée sinon la complice avérée des djihadistes. Cette stigmatisation a eu pour effet dévastateur de dresser les peuls contre les autres tribus locales, avec l’indifférence sinon la bénédiction tacite des autorités maliennes en panne de stratégies pour lutter contre le terrorisme et plus globalement contre le crime organisé. Les conséquences immédiates de ces amalgames sont la résurgence des vieilles rancœurs entre éleveurs nomades et cultivateurs sédentaires et, plus grave, la confusion totale dans la typologie des crimes perpétrés dans toute la bande sahélienne. On ne sait plus en effet si les attaques meurtrières enregistrées çà et là au Mali, au Niger ou au Burkina Faso, relèvent du terrorisme religieux, du brigandage ou des conflits communautaires liés à l’exploitation des terres et des pâturages. Une chose est sûre en revanche, si la dynamique actuelle de la spirale sanglante n’est pas arrêtée au plus vite, il faudra se préparer à chanter le requiem de toutes les opérations de pacification en cours au Sahel, qu’elles soient sous la bannière des Nations unies ou des organisations sous-régionales, ou menées par les institutions ou les élites locales. Les derniers événements tragiques et aux relents ethnicistes enregistrés au Niger et au Mali, qui pourraient malheureusement en appeler d’autres, sont venus nous édifier sur le pourrissement de la situation sécuritaire dans le Sahel où on ne sait plus véritablement qui fait quoi, avec qui et pourquoi ? C’est naturellement pain bénit pour les groupes extrémistes, qui n’hésitent pas à surfer sur ces antagonismes culturels et ethniques pour étoffer leurs rangs et étendre subséquemment leurs tentacules dans tout le Sahel et même au-delà. Pour espérer former un front solide contre ce terrorisme en pleine expansion, il faudrait compter moins sur les hélicoptères d’attaque ou les bombes à fragmentation que sur la réconciliation et le renforcement des liens entre les populations, à travers des mécanismes traditionnels de résolution des conflits qui mettront à contribution les éléments du capital social du milieu dont sont issus les protagonistes. Il est évident que si les Peuls, les Touaregs, les Bambaras, les Dogons…. se mettent ensemble et ne se laissent pas instrumentaliser par une classe politique aux abois, il n’y aura pas, dans leur espace, un seul centimètre carré de disponible pour les pêcheurs en eau trouble, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur puissance.

Hamadou GADIAGA


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