RENE BAGORO, MINISTRE DE LA JUSTICE : « Je n’ai pas de carte politique »
C’est un ministre de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, Garde des Sceaux, tout décontracté qui reçoit notre équipe dans son bureau. Notre équipe qui a échappé de justesse au piège de se retrouver prisonnière dans l’ascenseur du bâtiment abritant le ministère, du fait d’une coupure d’électricité. Bref, René Bagoro n’est pas du genre à se débiner : à nos questions, nos préoccupations, il a répondu. Dossier du coup d’Etat manqué, le cas de Djibrill Bassolé, le pacte pour le renouveau de la Justice,…Nous en avons parlé avec le ministre dont nous vous proposons de lire ici les propos.
« Le Pays » : Dans quel état d’esprit avez-vous commémoré l’an II du coup d’Etat manqué ? D’abord, en tant que victime et ensuite, en tant que ministre de la Justice ?
René Bagoro : Je voudrais d’abord vous remercier pour l’opportunité que vous me donnez de m’adresser, à travers votre journal, au peuple burkinabè. Je voudrais aussi, avec votre permission, m’incliner devant la mémoire de toutes les victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ainsi que les victimes de la résistance du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. Cela dit, je voudrais plutôt m’exprimer en tant que ministre en charge de la Justice. Parce qu’à partir du moment où j’exerce des fonctions gouvernementales, je crois que mon statut de victime ne compte plus beaucoup. Donc, en tant que
ministre de la Justice, je dirais que c’est un sentiment, à la fois de tristesse, mais aussi d’espoir qui m’anime. Tristesse parce que lorsque vous êtes au cœur de la gestion de ces dossiers, vous vous rendez compte de la souffrance que les uns et les autres ont dû endurer, eux qui attendent, depuis deux ans, la justice. Un sentiment d’espoir parce que je sais que les magistrats travaillent d’arrache-pied sur les dossiers. On sait les procédures très complexes, mais je reste serein, en tant que ministre de la Justice, que justice sera rendue.
Vous dites que les magistrats travaillent d’arrache-pied sur ces dossiers, mais les parents des victimes trouvent que les choses traînent. Que leur répondez-vous ?
Je comprends l’attitude des parents des victimes ainsi que celle de certaines victimes. C’est légitime parce qu’ils ont souffert dans leur peau et attendent que justice soit rendue. Il faut également dire qu’au-delà des parents des victimes et des victimes elles-mêmes, c’est tout le peuple burkinabè qui a souffert de ces évènements et qui attend que les responsabilités soient situées et que les coupables puissent être châtiés. Si des gens ne sont pas aussi reconnus coupables, qu’ils puissent être libérés. Mais, ceci étant, remarquez avec moi que cela fera bientôt deux ans que le dossier est en cours. C’est une longue bataille judiciaire entre les avocats des parties et le procureur militaire. Si on peut estimer que cette bataille judiciaire qui a pour but, surtout pour les avocats, de travailler à ce que leurs clients puissent obtenir un procès équitable, la conséquence immédiate, c’est l’allongement du délai pour obtenir un procès. C’est pour cela que je dis aux citoyens burkinabè que la Justice travaille. Elle travaille, mais il faut que toutes les étapes de la procédure puissent être respectées pour que lorsqu’un verdict sera rendu, il ne puisse pas être contesté sur la forme. Donc, je réaffirme que le gouvernement met les moyens qu’il faut pour que les juges travaillent d’arrache-pied. Mais, compte tenu de la complexité des dossiers, il peut y avoir une impression de lenteur mais, c’est le souci de bien faire. Je profite de cette occasion pour dire que ce sont des dossiers criminels. Même s’il y a des délits, il y a des crimes. Cela, parce qu’on lit souvent dans certains écrits que les intéressés ont reconnu les faits, donc on ne comprend pas pourquoi la procédure traîne. J’ai même entendu quelqu’un dire qu’on voit des voleurs de poulets qu’on prend et qu’on juge dès le lendemain. Je voulais donc lever ces amalgames qui sont distillés de façon erronée, soit par ignorance, soit délibérément par certains juristes et certains citoyens, qui consistent à dire que même celui qu’on peut considérer comme le cerveau a reconnu les faits. Cela n’est pas le cas. Dans notre procédure, lorsque quelqu’un est arrêté pour ce qu’on appelle des crimes, infractions dont la peine maximale peut-être la peine de mort, la saisine du juge d’instruction est obligatoire. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’évidence en la matière. Même si vous voyez quelqu’un en train d’assassiner et que vous le prenez, à partir du moment où notre loi dit que c’est un crime, vous ne pouvez pas le prendre directement et aller le juger. Vous êtes obligés d’ouvrir une information devant le juge d’instruction. C’est cela qui donne l’impression qu’on ne veut pas juger le dossier. Non ! Ce sont nos procédures qui prévoient ces règles et qu’il faut respecter. Je voudrais réaffirmer aux parents des victimes et à tout le peuple burkinabè qu’il ne s’agit pas d’un manque de volonté de juger les dossiers, mais ce sont les procédures. Peut-être qu’après ces procès, il va falloir réfléchir pour voir comment nous pouvons trouver des procédures plus rapides pour pouvoir, en pareille situation, aller plus vite.
Dans un Etat de droit qui se respecte, on ne saurait parler de justice expéditive
En 2004, il y a eu procès sur un coup d’Etat. En son temps, les auteurs étaient connus. Ce procès est allé de façon expéditive. Pourquoi, dans ce cas précis, il faut attendre des années pour juger des gens qu’on a pris sur les faits.
J’aime bien votre expression. Vous avez dit que c’est allé de façon expéditive. Je suppose que ce n’est pas un lapsus ; je suppose que c’est ce que vous avez ressenti. Les gens font la comparaison, mais la rupture que nous avons entamée depuis l’insurrection, doit aller dans tous les sens. Même les personnes qui sont arrêtées, doivent être jugées conformément aux règles. Parce qu’une justice expéditive va violer les droits de la défense. Donc, il faut que nous alliions la rapidité et le respect des droits de la défense. Mais, comme je vous le dis, la conduite d’un procès est fonction de l’attitude des parties. Actuellement, vous verrez qu’il y a beaucoup de recours qui sont faits. C’est normal parce que le droit le prévoit. Nous ne voulons pas d’une justice expéditive. Dans un Etat de droit qui se respecte, on ne saurait parler de justice expéditive. Oui, il faut sanctionner ceux qui ont commis des erreurs et des fautes, mais il faut le faire dans le respect des règles. Dans le cas du putsch, je le répète, ce n’est pas tant une lenteur due à l’inaction des juges. Si lenteur il y a, elle se justifie par la bataille judiciaire qui fait que lorsqu’un acte est posé, il y a des appels, des recours… Il faut attendre que le juge saisi pour le recours ou pour l’appel, puisse statuer avant de reprendre la procédure. C’est pourquoi je suis surpris quand j’entends certains dire que c’est un procès politique. Parce que dans un procès politique, on aurait expéditivement jugé et condamné des gens. Mais, quand on prend le temps et que souvent des gens font des recours qu’on pourrait qualifier de dilatoires, quand on prend le temps d’analyser, je crois qu’on devrait se réjouir de l’avancée en ce qui concerne la justice.
« Des personnes ont été prises en charge dans certains de nos hôpitaux et après, on s’est rendu compte que ce n’étaient des blessés, ni de l’insurrection ni de la résistance au coup d’Etat »
Pourrait-on s’attendre à la tenue du procès d’ici à la fin de l’année ?
Je profite de votre micro pour dire que depuis l’insurrection populaire, il y a une déconnection entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Le ministre de la Justice n’a pas son mot à dire dans la conduite d’un procès. Ce qu’il peut faire, c’est veiller à ce que les textes soient respectés et mettre les moyens à la disposition des juges. De ce point de vue, nous souhaitons, en tant que membre de l’Exécutif, que ces dossiers puissent être gérés rapidement pour que tous ceux qui souffrent encore dans leur cœur ou dans leur corps, puissent faire le deuil de leurs parents disparus et que cela aide les gens à guérir leurs douleurs. Mais, il est difficile, pour le ministre de la Justice que je suis, de dire que le procès va se tenir à telle ou telle date. Notre souhait est qu’avant la fin de l’année, le procès puisse se tenir.
Lors de l’une de vos sorties, vous demandiez aux parents des victimes de vous apporter la liste des victimes du putsch manqué. Est-ce à dire que jusqu’à présent, l’Etat n’a pas la liste exhaustive de ces victimes ?
C’est vrai que j’ai entendu beaucoup de commentaires sur ce cas. Mais, je crois qu’il faut comprendre l’idée que j’ai voulu exprimer. Le gouvernement a, aujourd’hui, une liste des victimes. Que ce soit les personnes décédées ou les blessés. Mais, vous savez qu’il y a des associations des parents des victimes et des associations des blessés, tant de l’insurrection que de la résistance au coup d’Etat. Il se trouve que souvent, entre les structures, elles ne s’entendent pas sur les chiffres. Nous avons eu des situations où des personnes ont été prises en charge dans certains de nos hôpitaux et après, on s’est rendu compte que ce n’étaient des blessés, ni de l’insurrection ni de la résistance au coup d’Etat. Donc, ce n’est pas parce que le gouvernement n’a pas une idée précise du nombre des blessés ou des victimes. Mais, à partir du moment où vous êtes dans une situation où des personnes ont été blessées et d’autres ont perdu leurs parents et qu’on vous dit qu’il y a des gens qui n’ont pas été pris en compte, le souci d’un gouvernement responsable, c’est de dire à ces personnes de se signaler. Ce que le gouvernement veut dire, c’est qu’il est prêt, et que c’est son obligation de s’occuper de tous ceux qui ont été touchés par les événements. Pour ceux dont la liste est entre les mains du gouvernement, des mesures sont en train d’être prises. Donc, cela ne veut pas dire que nous n’avons pas une idée de ce que nous faisons, mais nous pensons que pour ne pas en rajouter à la douleur de ces gens, il faut faire en sorte qu’à un moment donné, ils nous disent que la liste est bonne. Pour les personnes décédées, nous avons, en son temps, construit des tombes au cimetière de Gounghin, mais il se trouve qu’il y a des personnes qui ont été enterrées dans d’autres localités, souvent à l’insu de l’autorité. Il a fallu refaire des recherches, contacter les parents pour qu’on puisse recenser les tombes de ces personnes. Il y a des personnes qui ont été blessées en province et qui n’ont pas été référées tout de suite aux autorités. Donc, si on veut ne pas créer une injustice dans cette situation, la meilleure façon, c’est de dire que nous avons notre liste, mais comme vous dites qu’il y en a qu’on a laissé de côté, organisez-vous et donnez-nous une liste définitive. Voilà l’idée que j’ai voulu exprimer et qui est la position du gouvernement. Nous ne voulons pas travailler en mettant à l’écart des parents de victimes et des personnes blessées.
Mais ne pensez-vous pas que l’Etat a failli quelque part, étant donné que chaque fois que l’on commémore l’anniversaire de ces évènements, les parents des victimes se plaignent ?
Vous savez, je ne souhaiterais pas émettre une quelconque analyse vis-à-vis du comportement des parents des victimes. Mais, je dois vous dire que parmi tous ceux que vous entendez crier, il y en a qui ne sont pas de bonne foi. C’est aussi ce qu’il faut savoir. Je veux tout simplement dire qu’il ne faut pas toujours voir tout ce qui se fait comme bruit sans revenir vers le gouvernement avant de prendre position. Donc, je ne crois pas que le gouvernement a failli, car des mesures sont prises. Maintenant, il arrive que des mesures soient prises et que les parents des victimes demandent encore qu’on en rajoute et le gouvernement travaille là-dessus. Mon collègue de l’Action sociale est en train de travailler sur cet aspect. Le gouvernement n’a pas failli. Le gouvernement ne veut pas se substituer aux parents des victimes. Il veut être sûr que tout acte qui est posé, que toute action qui est menée et que toute prise en charge faite, ne va pas créer plus de problèmes qu’il n’en résoudra.
D’aucuns disent également ne pas comprendre pourquoi, dans le cadre du putsch manqué, des libertés provisoires ont été accordées à certaines personnes qui passent pour être les meneurs du coup d’Etat.
Je ne pense pas que j’ai quelque chose à dire sur cette question. Vous savez que les libertés provisoires relèvent de la compétence du juge qui est en charge du dossier. C’est lui qui, au regard des éléments qu’il a en sa possession et qui fondent sa conviction, peut décider d’accorder la liberté provisoire ou de la refuser. Il lui appartient et à lui seul, de justifier l’octroi ou le refus d’une liberté provisoire de sorte que je ne voudrais pas opiner sur ces questions.
« Je n’ai pas d’éléments pour dire que ces libertés provisoires accordées sont des actes de sabotage »
Pour certains, ce serait du sabotage de la part de membres du monde judiciaire de concert avec des partis politiques pour mettre le gouvernement en difficulté. Qu’en dites-vous ?
Nous pensons que le gouvernement a travaillé à ce que la Justice ait réellement son indépendance tant du point de vue de son fonctionnement que dans la volonté de mettre les acteurs du monde judiciaire dans des meilleures conditions pour travailler. L’indépendance n’est pas là pour profiter au gouvernement. C’est un attribut du pouvoir judiciaire qui est au service du citoyen burkinabè. Jusqu’à présent, nous pensons que les juges prennent les décisions en connaissance de cause, après avoir mûri leurs analyses. Moi je n’ai pas d’éléments pour dire que ces libertés provisoires accordées sont des actes de sabotage. Je m’en tiens à ce que j’ai dit. Il s’agit de décisions de justice que je me dois de respecter.
Le Burkina a été récemment interpellé par le Groupe de travail de l’ONU sur la détention de Djibrill Bassolé. Entre-temps, le gouvernent a fait une sortie pour y répondre. Là-dessus, pensez-vous que le gouvernement pourra convaincre le Groupe ?
Sachez que le gouvernement a convaincu le Groupe de travail lorsqu’il avait été saisi par les avocats de M. Djibrill Bassolé. A tous les arguments que les avocats ont développés, nous avons répondu et ils ont reconnu que c’était juste. Mais qu’est-ce qui s’est passé et qui a justifié que nous puissions renvoyer ce recours ? Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, après avoir admis que tous les arguments que nous avons invoqués étaient fondés, a sorti une motivation qui consistait à dire, pour faire simple, que le général Djibrill Bassolé était civil au moment où on engageait les procédures parce qu’il était en disponibilité et que l’acte qui a consisté à le réintégrer dans l’armée, était juste pour lui permettre d’avoir la qualité de pouvoir comparaître devant les tribunaux militaires. Cet argument avait été invoqué par les avocats de M. Bassolé, mais c’était pour dire qu’on l’a réintégré dans l’armée pour qu’il ne puisse pas être éligible dans la mesure où les militaires ne pouvaient pas prendre part aux élections. Ce à quoi nous avions répondu en disant que cela n’était pas exact, puisqu’au moment où il a été mis sous mandat de dépôt, sa candidature avait déjà été rejetée au niveau du Conseil constitutionnel. Donc, il n’y avait pas de lien entre sa réintégration et sa candidature. Nous croyons avoir répondu à cette question. Mais lorsque nous avons reçu l’avis, on nous dit, c’est vrai, vous l’avez réintégré pour lui permettre d’avoir la qualité pour qu’il puisse être justiciable devant les tribunaux militaires. Nous pensons que cette motivation, en pur droit, a péché à trois niveaux. D’abord, sur le plan de la forme. En matière de procédures, il y a ce qu’on appelle le principe du contradictoire. Cela veut dire que le juge de tout organe de décision, ne peut pas se baser sur un argument invoqué par une partie pour fonder sa décision sans avoir au préalable permis à l’autre partie de discuter de cette question. La question de statut de Djibrill Bassolé avait été invoquée, mais pas pour dire qu’il ne peut pas comparaître devant le tribunal militaire, mais pour l’éliminer des élections. Ce à quoi nous avions répondu. Mais l’avis a été notifié pour dire qu’il a été réintégré pour qu’il ait la qualité de militaire pour qu’on le juge devant le tribunal militaire. Nous n’avions jamais connu de cet argument, donc nous n’avons pas pu le discuter. En vertu donc du principe du contradictoire, un tel motif ne peut pas fonder l’avis. Au fond, il y a deux dimensions qui nous posent problème sur cette question. Le statut de civil ou de militaire ressortissant d’un Etat, n’est pas une question de droit international. Cela veut dire qu’il n’appartient pas à une instance internationale de venir dans un Etat pour dire qui a le statut de militaire et qui ne l’a pas. Cela se définit au regard des textes nationaux. Or, dans nos textes, un militaire, même en disponibilité, est toujours régi par le code de justice militaire et c’est écrit noir sur blanc. Donc, cela veut dire que même étant en disponibilité, Djibrill Bassolé n’a jamais cessé d’être un militaire au regard du Code de justice militaire. Deuxième élément de fond, au jour d’aujourd’hui -et cela n’a pas commencé maintenant, c’est depuis le temps où Djibrill Bassolé était ministre-, le tribunal militaire a toujours jugé des civils et continue de juger des civils. Tout simplement parce qu’il y a deux situations. Il y a des militaires qui commettent des infractions et il y a ce qu’on appelle des infractions militaires. Et, lorsque vous êtes auteur, co-auteur ou complice d’une infraction militaire, peu importe votre statut, vous êtes justiciable devant les tribunaux militaires. C’est ce qui justifie que dans le cadre du coup d’Etat, il y a des civils impliqués. Nous, nous avons avancé nos arguments qu’ils ont acceptés. Mais, on a l’impression que, comme il fallait coûte que coûte prendre une décision pour faire plaisir, on est allé sortir un argument caché quelque part. Ce qui ne se fait pas en matière de procédures. Les textes relatifs aux méthodes du Groupe de travail disent que lorsque vous avez reçu notification d’un avis, vous avez 60 jours pour demander la révision. C’est ce que nous avons fait. Nous restons confiants que si le droit doit être dit, nous aurons raison.
Pensez-vous qu’il y a des pressions derrière ce Groupe de travail de l’ONU ?
Je n’en sais rien mais ce que je constate, c’est que cette décision me paraît moins motivée en droit que par tout autre motif. Parce que vous ne pouvez pas prendre un argument qu’un Etat n’a pas pu discuter, pour motiver votre décision et vous fonder sur des arguments qui vont à l’encontre des textes au niveau national. Le Groupe de travail peut ne pas être d’accord avec nos textes, mais la question qui leur est posée n’est pas une question de nos textes pour le moment. C’est une question casuistique, c’est-à-dire qui concerne un cas précis. Est- ce que ce cas viole nos textes ? Non, je ne crois pas. Maintenant, si vous analysez à l’aune de ce que vous souhaiteriez que ça soit, là vous faites plus un raisonnement, à mon avis, pragmatique. Vous êtes en train de faire un cours comme si vous étiez dans une université. Mais moi, je constate en tout cas que nous avons été surpris par cette argumentation qui nous paraît avoir péché en la forme et au fond.
« Le tribunal militaire a toujours jugé des civils et continue de juger des civils »
Sur cette question, les partisans de Djibrill Bassolé utilisent les résultats du Groupe de travail de l’ONU pour dire que sa détention est arbitraire et que par conséquent, il faut le libérer. Il y a des manifestations à ce propos un peu partout dans le pays. Qu’en pensez-vous ?
Je voudrais d’abord dire que lorsqu’on parle de détention arbitraire, cela veut dire que quelqu’un est détenu sans fondement. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, parce que l’infraction qui est reprochée au Général Djibrill Bassolé, est réprimée par nos textes. Maintenant, que ses partisans puissent manifester, c’est leur droit et leur liberté. Mais, ce que nous volons dire, c’est que s’ils sont respectueux des règles, ils doivent savoir que lorsqu’une décision est rendue et qu’il y a des voies de recours et que ces voies de recours ont été exercées, la décision ne peut pas être considérée comme définitive. C’est comme lorsque le TGI rend une décision et qu’on fait appel, les parties repartent de zéro. En l’état actuel, les avocats de Djibrill Bassolé et nous, Etat burkinabè, nous sommes repartis de zéro sur cette question puisque nous avons usé d’une voie de recours que leurs textes nous permettent. Il faut attendre qu’ils rendent une autre décision sur la voie du recours. Donc, si j’ai un mot à dire, c’est de les exhorter à être conséquents et logiques avec eux-mêmes. Autant ils veulent qu’on applique cet avis, autant ils doivent savoir que ceux qui ont rendu l’avis, avec les textes qu’ils appliquent, nous autorisent à faire des recours et quand ces recours sont faits, on reprend la procédure à zero. Nous avons fait notre recours et l’avis dont ils se prévalent, n’est pas aujourd’hui valable parce que nous avons demandé de le réviser et c’est la décision qui va sortir de la révision qui va être maintenant la décision définitive à appliquer.
Pour terminer avec l’affaire du putsch manqué, on se rappelle, suite à votre libération après quelques jours de séquestration par l’ex-RSP, que vous aviez dit que vous alliez déposer une plainte contre X. Où en est-on avec cette procédure ?
En ce qui me concerne, j’ai déposé une plainte à travers mes avocats contre X. Comme toutes les autres victimes, j’attends que justice me soit rendue. J’ai été auditionné ; donc j’attends.
Sous la Transition, il y a eu la signature du pacte pour le renouveau de la justice. Où en est-on avec sa mise en œuvre.
Je voudrais profiter de cette opportunité pour dire que le pacte n’est pas un élément isolé de la politique du ministère de la Justice. Ensuite, le pacte n’est pas venu avec une nouvelle situation. Le pacte a eu l’avantage de réunir tous les Burkinabè pour déceler ce qui ne va pas et prendre des engagements pour y remédier. Ces engagements qui ont été pris, sont les actions que le ministère menait de façon quotidienne. L’avantage du pacte a été de donner plus de visibilité et plus de solennité. Ceci étant, nous avons la politique nationale de justice et la politique nationale des droits humains et de la promotion civique qui sont, en réalité, en quelque sorte les deux bréviaires de notre action ministérielle qui, bien évidemment, sont en symbiose avec le pacte pour le renouveau de la justice. En tant que ministre, nous avons reçu une lettre de mission du Premier ministre, qui a des orientations et qui prend en compte la mise en œuvre du pacte pour le renouveau de la justice. Si vous avez suivi la toute première déclaration de politique générale du Premier ministre, il a pris l’engagement de poursuivre la mise œuvre du
pacte. Cette mise en œuvre se déroule très bien. Il y a plusieurs axes. D’abord, en ce qui concerne l’axe de l’indépendance, mon
prédécesseur a commencé le travail, nous avons poursuivi et le statut a été révisé. Nous avons fait adopter les textes relatifs au statut de la magistrature qui ont permis de revaloriser les conditions de vie et de travail du magistrat. Aujourd’hui, vous savez que ni le président du Faso, ni le ministre de la Justice ne sont membres du Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons opérationnalisé le secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature qui est l’organe exécutif du Conseil supérieur de la magistrature. Il y a donc aujourd’hui, une déconnexion réelle du pouvoir exécutif avec le pouvoir judiciaire. Les organes qui devraient permettre au pouvoir judiciaire de fonctionner, sont en place. Sur le plan du renforcement de l’accessibilité à la justice, un certain nombre d’actions ont été posées. Vous vous rappelez qu’il y a eu l’ouverture de la Cour d’appel de Fada, l’ouverture du Tribunal de grande instance de Koupéla et il y a aussi eu l’ouverture du bureau de guichet de renseignement au Tribunal de grande instance de Ouagadougou et à Koudougou et nous sommes en train de poursuivre la construction d’un certain nombre d’infrastructures qui nous permettront d’assurer l’accès à la justice. Il faut souligner que nous avons opérationnalisé, depuis juin 2016, le fonds d’assistance judiciaire qui permet aux citoyens burkinabè qui n’ont pas les moyens de pouvoir aller vers ce fonds, de prendre un avocat lorsqu’ils ont un dossier en justice. Tout ceci contribue au renforcement de l’accès à la justice. Nous avons, au niveau des réformes, pris d’autres textes, notamment la loi sur la Commission nationale des droits humains. Cette loi a été votée et permet d’avoir une Commission nationale qui répond aux standards internationaux. Sur ce point, nous sommes en train d’opérationnaliser la commission. Un comité a déjà été mis en place et a procédé à une sélection des membres qui doivent composer cette commission. Il nous reste deux entités qui se préparent à entrer dans le processus. Au niveau de l’humanisation des lieux de détention, nous avons d’abord fait prendre la loi sur le régime pénitentiaire, qui permet de définir les rôles des différents acteurs de sorte qu’on sache, entre autres, quelles sont les responsabilités des éléments de la sécurité pénitentiaire, quels sont les droits et devoirs des détenus avec tout ce que cela comporte comme prise en charge. Donc, il y a beaucoup de choses qui se font. Le pacte national pour le renouveau de la justice est en bonne marche et en symbiose avec la politique du gouvernement.
En ce qui concerne l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, pour certaines personnes, cette mesure est assez précipitée et il aurait fallu 2 ou 3 ans avant de l’opérationnaliser. Que leur répondez-vous ?
Je ne sais pas s’il y a un moment T pour donner l’indépendance. Je crois qu’il faut profiter des occasions favorables pour permettre le renforcement de l’Etat de droit. Ce qu’il faut voir dans cela, c’est que donner l’indépendance à la Justice, c’est renforcer l’Etat de droit. Si l’occasion se présente, il faut saluer cela. Le Président du Faso s’était engagé, alors qu’il était chef d’un parti politique, à respecter le pacte national pour le renouveau de la Justice ; pour ce pacte qui demande de renforcer l’indépendance de la justice, une fois élu, il a respecté sa parole. Au niveau du gouvernement, nous ne pensons pas que cela est intervenu tôt. Ce que nous demandons, c’est que les acteurs judiciaires sachent utiliser cette indépendance pour l’intérêt du peuple burkinabè.
« Il y a aujourd’hui, une déconnexion réelle du pouvoir exécutif avec le pouvoir judiciaire »
Avez-vous le sentiment que les acteurs judiciaires utilisent à bon escient cette indépendance ?
Toute liberté et tout droit sont des conquêtes. Quand on les conquiert, il peut y avoir des balbutiements au début. Mais je pense que les acteurs judiciaires sont conscients que c’est une lourde responsabilité et qu’aujourd’hui, ils ne peuvent plus se cacher derrière le manque d’indépendance pour ne pas travailler ou pour mal faire les choses. Je leur fais confiance et je crois qu’ils sauront être à la hauteur de cette indépendance de sorte à ne pas l’utiliser de façon abusive.
La commission d’enquête du Conseil supérieur de la magistrature a récemment épinglé 37 magistrats pour des faits d’atteinte à l’éthique et à la déontologie du corps. Où en est-on avec cette affaire ?
Le dossier sera transmis au Conseil supérieur de la magistrature en sa session disciplinaire, après la rentrée judiciaire. Nous avons le dossier et nous devons le transmettre. Si, jusque-là, il n’a pas été transmis, c’est
parce que nous l’avons reçu pendant les vacances judiciaires. Nous avons donc estimé qu’il était nécessaire d’attendre que tous les magistrats reprennent le service avec la chance de pouvoir réunir le Conseil supérieur de la magistrature en sa session disciplinaire, pour agir. Le dossier sera transmis dans son entièreté au conseil de discipline qui va prendre les décisions qui s’imposent, après avoir mené toutes les auditions nécessaires.
Dans la même veine, dites-nous : comment avez-vous accueilli l’arrestation de Nathalie Somé, la présidente du CSC qui, quoi qu’on dise, est une première sous la IVe république parce qu’elle était en exercice au moment de son arrestation ?
C’est une décision de justice et je souhaite ne pas me prononcer là-dessus.
Certains ont estimé que c’est du deux poids deux mesures parce qu’il y a ces 37 magistrats dont on a parlé, qui continuent de circuler librement alors que dans le cas de Nathalie Somé, elle a été arrêtée tout de suite et incarcérée.
Il y a un amalgame que les gens font. Il y a une commission d’enquête interne qui a été mise en place au niveau du Conseil supérieur de la magistrature, qui a produit un rapport. Dans les normes, lorsque ce rapport est produit, il doit être transmis au conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature. Le ministre qui est compétent pour recevoir ce rapport et qui l’a reçu, vous rassure qu’il sera transmis. Maintenant, il appartiendra au conseil de statuer. S’il y a des suites judiciaires, les autorités compétentes vont s’y intéresser. Pour notre part, nous travaillons à ce que personne ne soit protégé. Nous allons veiller à ce que la procédure suive correctement son cours. Si le Conseil supérieur de la magistrature prend une décision en sa session disciplinaire, nous allons l’appliquer. Mais, rassurez-vous, personne ne sera protégé dans cette situation.
Vous êtes magistrat et ministre de la Justice. Selon vous, quel impact cette affaire peut-elle avoir sur la Justice de façon générale ?
Il est clair que si des faits de corruption sont avérés, cela joue sur l’indépendance du juge. Parce qu’un juge corrompu, ne peut pas rendre une décision indépendante. Si vous êtes corrompu, cela suppose que vous avez pris de l’argent pour rendre une décision. Or, le juge indépendant, c’est celui qui n’a que le droit comme boussole. Il est clair, comme le disait l’un de nos aînés, qu’on ne devrait pas parler de corruption dans la Justice. On devrait plutôt parler de corruption devant la Justice. La corruption est une infraction, ce sont les juges qui jugent ces faits. Si on retrouve des magistrats dans la corruption, cela pose problème. Depuis que nous sommes arrivé, nous avons redynamisé l’expression des services judiciaires qui mènent un travail intéressant de sorte à ce que le corps puisse être assaini. Mais, il est clair que quand on parle de la corruption dans la Justice, cela a de lourdes conséquences sur la qualité des décisions, sur l’indépendance du juge et sur la jouissance effective, par les justiciables, de leur droit.
Dans un rapport publié par le Centre pour la qualité du droit et la justice (CQDJ), il est ressorti que plus de la moitié des personnes en détention préventives, le sont de façon irrégulière. Comment expliquez-vous cette situation ?
Je dois avouer que lorsque j’ai lu ce communiqué, je suis tombé des nues. Je me suis demandé s’il s’agissait de nos prisons dont on parle. La détention irrégulière suppose que des personnes sont dans les maisons d’arrêt et de correction sans titre. C’est-à-dire sans mandat d’arrêt ou encore sans mandat de dépôt. En plus, on nous dit que c’est plus de la moitié. Je ne sais pas quelles sont les sources d’information de cette structure, mais c’est loin de la réalité. C’est vrai que par le passé, on a vu ce qu’on appelle les Ordres de mises à la disposition (OMD) qui étaient des actes que le procureur délivrait lorsqu’il n’avait pas le temps de pouvoir auditionner tout le monde. Une fois délivré, on pouvait amener quelqu’un dans une maison d’arrêt pour l’auditionner le lendemain. Mais, je dois vous rappeler que nous avons fait voter la loi sur le régime pénitentiaire et depuis l’adoption de cette loi, les titres en vertu desquels quelqu’un peut être détenu, ont été cités. L’OMD en a été exclu. Nous avons sorti une circulaire, il y a une semaine environ, pour nous adresser aux procureurs généraux, au procureur du Faso, aux directeurs des maisons d’arrêt et de correction pour leur dire que personne ne peut être reçu en dehors des actes que la loi cite. Je suis donc surpris que l’on me dise que dans les maisons d’arrêt et de correction, plus de la moitié de ceux qui sont en détention préventive le sont de façon abusive. Ce n’est pas vrai et cela ne correspond pas à la réalité. Une telle affirmation m’amène à me poser des questions sur le sérieux de l’analyse de la structure en question. Dans tous les cas, je suis prêt, en tant que ministre de la Justice, à discuter ouvertement avec cette structure, même dans un débat ouvert. Peut-être qu’il
y a une nouvelle notion de détention irrégulière ou abusive que nos connaissances en droit ne nous permettent pas d’avoir. Parce que quand on dit détention irrégulière, cela suppose que c’est sans titre. Quand on parle de détention abusive, cela veut dire qu’il peut y avoir des titres, mais on trouve que la détention est exagérée. Mais, à ce moment, l’appréciation devient subjective et je ne vais pas entrer dans ce débat. Ce que je peux dire, c’est que cette affirmation est totalement infondée et ne correspond pas à la réalité dans nos maisons d’arrêt et de correction.
Peut-être voudrait-elle dire qu’il y a des gens qui sont dans les prisons et qui attendent en vain d’être jugés… !
A ce moment, ce n’est pas une détention irrégulière abusive. Il faut trouver une autre expression. J’ai vu que la structure s’appelle Centre pour la qualité du droit et la justice. Je suppose qu’elle est composée de spécialistes. Vous savez, en droit, toute expression a un sens précis. Parce que lorsque vous parlez de détention irrégulière abusive, cela a un sens. Peut-être qu’il faut qu’ils changent d’expression. Mais je confirme et réaffirme que nous n’avons pas des gens détenus de façon abusive ou irrégulière dans nos maisons d’arrêt et de correction a fortiori, plus de la moitié.
Le 2 octobre dernier, a eu lieu la rentrée judiciaire pour l’année 2017. Sous quel signe placez-vous cette année judiciaire ?
Il faut dire qu’après 3 mois de ralentissement des activités judiciaires, l’ensemble des magistrats, des greffiers ont repris le chemin des palais et vont travailler à temps plein. C’est une année de défis et j’invite l’ensemble des acteurs judiciaires à en prendre conscience. Nous serons à la deuxième année judiciaire après l’indépendance acquise de la magistrature. La première année a pu être une année de mise en jambe pour opérationnaliser toutes les structures. Cette année 2017-2018, à mon avis, devrait être une année où les acteurs judiciaires devraient travailler davantage pour faire sortir des dossiers, aller plus vite, trouver des stratégies pour que des dossiers ne traînent pas. On ne leur demande pas de faire une justice expéditive, mais qu’ils tiennent compte de la soif de justice des populations et trouvent des moyens pour accélérer. Au niveau de l’Exécutif, nous sommes prêts à les accompagner dans ce sens.
Comment expliquez-vous les évasions à répétition à la MACO alors qu’elle est censée être mieux sécurisée ?
Quand vous parlez d’évasions répétées, qu’est-ce que vous voulez dire ? Avez-vous une idée de ces évasions ?
A l’échelle des années, il y a eu quand même des évasions. Régulièrement, il y a des gens qui arrivent à se faire la malle. En juillet dernier, un des détenus a pu s’enfuir alors qu’on l’accompagnait pour des soins dans une clinique de la place.
J’aime bien discuter avec vous les journalistes. Parce que lors des échanges, vous arrivez à recadrer certaines choses. Si on prend les statistiques, pour l’année
2016, nous sommes à environ 7 évasions. Pour l’année 2017, nous sommes à 3 évasions. Quand on parle d’évasion, il faut faire attention. Ce qui est très grave dans une évasion, c’est que quelqu’un, de sa cellule, puisse s’échapper. Mais, dans les cas que nous avons connus, pour la plupart, ce sont des détenus qui étaient en permission et qui ont profité pour prendre la clé des champs. De ce point de vue, c’est un fait grave, mais on ne peut pas remettre en cause la sécurité de la MACO, parce que ces gens ne sont pas partis directement de leurs lieux de détention. C’est vrai, quelle que soit la manière dont un détenu a pu s’évader, ce n’est pas bon, car cela dénote d’un manque de vigilance quelque part. Mais, fondamentalement parlant, il n’y a pas d’évasion au jour d’aujourd’hui, d’une cellule de prison. En 2017, il y a un seul détenu qui s’est échappé de la maison d’arrêt et de correction, alors qu’il était en corvée. Les autres, ce sont des gens qui partaient pour des soins médicaux et qui ont pu s’échapper. Ceci étant, nous ne disons pas que ces situations ne sont pas graves. C’est grave parce qu’en aucun cas, un détenu ne devrait pouvoir s’échapper. Nous avons pris un certain nombre de mesures depuis que nous sommes arrivé, pour renforcer les capacités de la garde de sécurité pénitentiaire, pour normaliser l’ensemble de nos maisons d’arrêt et de correction. Ce travail a considérablement pu permettre de réduire les cas d’évasions et nous poursuivons ce cap. C’est vrai que l’évasion zéro n’existe nulle part, car les détenus qui sont privés de leur liberté, comme tel, leur souhait, c’est de pouvoir se retrouver dehors et à la moindre occasion, ils vont en profiter. Cela dit, je profite pour féliciter la Garde de sécurité pénitentiaire pour le travail qui est fait malgré la modicité de ses moyens et la rassurer que nous travaillons à renforcer leurs capacités et à trouver de plus en plus de moyens pour leur permettre de faire leur travail avec plus d’aisance.
Vous êtes le seul ministre de la Transition qui reste toujours ministre. C’est quoi le secret de votre performance ?
Je ne pense pas qu’il faille parler de performance ou qu’il faut lier ma présence au gouvernement, à ma qualité d’ancien ministre de la Transition. J’ai été appelé par le Premier ministre pour m’occuper du volet justice et droits humains de son programme politique, en tant que citoyen qu’il a estimé à même de pouvoir faire ce travail. Je le fais avec abnégation. Donc, je ne pense pas que c’est lié à une quelconque qualité de membre du gouvernement de la Transition. Je voudrais aussi dire que le poste de ministre n’est pas le seul poste où l’on peut servir son pays. Vous retrouverez des anciens membres de la Transition, soit du gouvernement, soit du CNT ou qui ont occupé d’autres postes, qui sont actuellement à des postes de responsabilités. Ceux qui y étaient d’ailleurs avaient eu l’onction du peuple burkinabè et on peut toujours les appeler pour servir ailleurs. Je ne pense pas que j’ai un mérite personnel qui fait que je suis toujours au gouvernement. C’est une mission que j’accomplis avec tout le sérieux possible.
« Nous n’avons pas de gens détenus de façon abusive ou irrégulière dans nos maisons d’arrêt et de correction »
A la base, êtes-vous allé dans la Transition sous la bannière du Balai citoyen ?
J’ai déjà eu l’occasion de répondre à cette question. D’abord, en son temps, le Balai citoyen avait fait une déclaration pour dire qu’il n’était ni au gouvernement, ni au CNT. Maintenant, si vous ne croyez pas à ce qu’ils ont dit, allez-y leur poser la question. Je peux vous affirmer que je n’ai été au gouvernement de la Transition sous aucune structure associative ni politique. J’ai été appelé au gouvernement comme citoyen qu’on a considéré qu’il pouvait apporter sa contribution. Cela peut faire sourire certains mais, je le redis, je n’étais au gouvernement de la Transition sous aucun parrainage, ni sur proposition d’aucune structure associative ou politique.
Est- ce que la situation a changé, ou bien est-ce que vous avez une carte de parti politique actuellement ?
Je suis magistrat et en cette qualité, mon statut m’interdit de faire de la politique. Je n’ai pas de carte politique.
Vous ne faites donc pas la politique ?
Vous ne pouvez pas être ministre sans faire de la politique. Même vous, lorsque vous écrivez pour critiquer ou analyser, vous faites de la politique. Maintenant, s’il s’agit de dire si je fais la politique qui est l’art de gérer la cité, oui. En tant que ministre de la Justice, c’est moi qui conduis la politique du gouvernement en ce qui concerne la justice et les droits humains. Mais, faire la politique au sens où je conduis une activité gouvernementale, c’est différent de la question que vous avez posée qui consiste à savoir si j’ai une carte politique. Je pense que lorsque le président Roch Marc Christian Kaboré a été élu, il a été clair. Il a exprimé sa volonté de conduire son programme en faisant appel à des gens de plusieurs tendances et de plusieurs origines. Donc, vous verrez qu’au niveau du gouvernement, il n’y a pas que des politiques. Donc, je crois qu’il ne faut pas toujours chercher à me rattacher à une quelconque structure pour comprendre pourquoi je suis au gouvernement.
Qu’en est-il de votre poste en tant que contrôleur d’Etat au niveau de l’ASCE/LC ? D’autres disent que vous l’avez mis au frais…
Mettre au frais, c’est-à-dire… ?
C’est dire que vous l’avez conservé aux fins de le récupérer après !
Ce n’est pas moi qui le garde. Je tiens à dire que le poste de contrôleur d’Etat, ce n’est pas quelque chose que l’on m’a donné. J’ai fait un test auquel j’ai été admis. C’est suite à cette admission qu’on m’a nommé contrôleur d’Etat. Donc, ce n’est pas une nomination de complaisance. Le décret de nomination dit qu’il prend effet pour compter de la date de prise de service des intéressés. J’ai été au gouvernement de la Transition et cela ne m’a pas permis d’y aller. Lorsque j’ai fini la mission, j’ai eu la chance d’être appelé au gouvernement pour occuper le poste de ministre de la Justice. Il est clair que ce n’est pas moi qui l’ai mis au frais. Je vais y aller le jour où je quitterai mon poste de ministre pour demander à prendre service conformément au décret qui me nomme à la suite de mon admission au test de recrutement.
Est-ce à dire qu’il n’y a pas de liste d’attente là-bas ?
La liste d’attende suppose que celui qui est admis est défaillant. Même ceux qui sont là-bas en fonction, peuvent prendre des disponibilités. J’ai été admis et je n’ai pas démissionné et je suis appelé à servir mon pays en attendant…
Quel intérêt avez-vous à aller à l’ASCE/LC ?
Je suis magistrat et en tant que tel, j’ai fait de la lutte contre la corruption, un de mes chevaux de bataille. La mission qui est menée par l’ASCE/LC correspond à une vision que j’ai et peut me permettre de mieux m’épanouir en faisant valoir certaines de mes compétences. S’il y a une motivation, c’est vraiment cela. Je pense pouvoir donner mes compétences là-bas pour servir mon pays, comme je l’ai fait en étant magistrat en juridiction.
Dans une récente sortie, François Compaoré a indiqué n’avoir pas trouvé de « trace » d’un mandat d’arrêt international lancé contre lui. Qu’en dites-vous ?
Ce que je peux vous dire, c’est que lorsqu’on prend un mandat d’arrêt, on ne va pas le notifier à celui contre qui il est pris ni à ses avocats. Le mandat d’arrêt suppose que le juge n’a pas encore mis la main sur vous. Il faut faire la différence entre les avocats qui nous conseillent permanemment comme pour le cas des médecins que nous avons, et l’avocat que vous avez dans le cadre d’une procédure. Je ne veux pas faire de commentaire sur les propos de François Compaoré. Je vais seulement dire que parlant pur droit, un mandat d’arrêt n’est pas fait pour être notifié à la personne qu’on cherche parce que souvent, on ne sait pas où se trouve l’intéressé. Quand on émet un mandat d’arrêt, c’est qu’on n’arrive pas à mettre la main sur la personne. Donc, si on savait où se trouvait la personne, on ferait peut-être un mandat d’amener.
Donc, en clair, il y a un mandat d’arrêt contre François Compaoré ?
Je ne dis pas qu’il y a un mandat d’arrêt, mais je dis seulement qu’un mandat d’arrêt n’est pas fait pour être notifié à celui contre qui il est pris.
L’opinion était convaincue qu’il y avait un mandat d’arrêt contre François Compaoré. Avec cette sortie, ce dernier indique qu’il n’y a pas de mandat d’arrêt contre lui. De façon formelle, y a-il un mandat d’arrêt ou pas ?
François Compaoré a dit qu’il n’a pas eu de « trace » d’un mandat d’arrêt. Moi, je vous dis que lorsqu’on prend un mandat d’arrêt, celui contre qui le mandat doit s’exercer, n’en a trace que le jour où on met la main sur lui. Le fait de dire qu’on n’a pas reçu le mandat d’arrêt, ou que ses avocats n’ont pas reçu le mandat d’arrêt ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mandat d’arrêt.
« Le fait de vouloir faire des marches, de faire des déclarations pour demander à la Justice de libérer des personnes inculpées, est une forme de pression sur la Justice et ce sont des actes condamnables»
Il a même affirmé qu’il est entre Paris et Abidjan. Alors, s’il y avait un mandat d’arrêt, on devrait normalement l’interpeller. N’est-ce pas ?
Je pense que les autorités de ce pays ont certainement lu son interview et elles vont en tirer toutes les conséquences.
Avez-vous un dernier mot ?
Je voudrais, tout en vous renouvelant mes remerciements, rassurer les populations. Contrairement à ce qui se dit par des officines politiques, le dossier du coup d’Etat n’est pas un dossier politique. Je crois qu’il faut respecter la mémoire de nos frères et sœurs qui sont tombés et de nos frères et sœurs qui ont été blessés et qui continuent de vivre avec des séquelles. Je voudrais dire aussi qu’il faut éviter d’utiliser cette situation pour en faire un fonds de commerce, car il y a beaucoup de citoyens qui en font un fonds de commerce et, en réalité, ils ne se foutent pas mal des règles de droit. Aussi, je voudrais interpeller les populations que le fait de vouloir faire des marches, de faire des déclarations pour demander à la Justice de libérer des personnes inculpées, est une forme de pression sur la Justice et ce sont des actes condamnables. C’est vrai, pour des questions d’apaisement, on laisse les gens faire, mais chaque fois qu’ils sortent et qu’ils manifestent pour demander à la Justice de libérer des gens, ils commettent des fautes et je ne suis pas sûr que nous continuerons à tolérer ce genre d’actes. Parce qu’autant ils réclament l’indépendance de la Justice, autant ils doivent savoir que leurs actes sont des atteintes à une bonne conduite de ces dossiers. Je voudrais donc appeler les uns et les autres à savoir raison garder et à faire confiance à la Justice, surtout qu’il y a des voies de recours. Vous voyez des gens qui font des recours. Mais pendant ce temps, quand d’autres font des recours, ils se plaignent alors que le principe d’égalité, dans un Etat de droit, doit valoir pour tout le monde. Je voudrais rassurer les uns et les autres qu’il n’est jamais venu à l’esprit du ministre de la Justice que je suis, ni du Premier ministre, encore moins du Président du Faso, de donner des instructions à la Justice. La preuve, c’est que tantôt on nous dit qu’on pose tel acte pour arranger le régime, tantôt on nous dit qu’on le pose pour mettre le régime en difficulté. Comprenez que c’est parce que nous avons laissé la Justice dans toute son indépendance. Moi qui me suis battu pendant longtemps pour l’indépendance de la Justice, je pense que je ne serai pas celui-là qui va constituer le fossoyeur de cette indépendance acquise de la magistrature. Mon souhait est que les acteurs judiciaires sachent poser des actes qui soient à la hauteur des attentes des populations. Les attentes des populations peuvent ne pas forcément être comprises par les acteurs judiciaires, comme les décisions des acteurs judiciaires peuvent ne pas être comprises. Mais, c’est un processus et nous sommes engagés à mener le chemin ensemble, avec tous les citoyens et l’ensemble des acteurs pour qu’on puisse aboutir à une Justice qui soit respectueuse des règles de droit.
Propos recueillis par Michel NANA et Adama SIGUE