ATTAQUES DE LA BCEAO EN COTE D’IVOIRE : Bannir toute justice à deux vitesses
Attendu pour le 25 avril dernier, le délibéré de l’affaire de l’attaque de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) dont est accusé le dernier gouvernement de Laurent Gbagbo, avait été reporté au 3 mai. En rappel, fin janvier 2011, au plus fort de la crise postélectorale ivoirienne, l’Agence nationale de la BCEAO avait fait l’objet d’une réquisition du gouvernement de Laurent Gbagbo. Car, pratiquement au bord de l’asphyxie financière en raison de nombreuses sanctions, Laurent Gbagbo et son gouvernement avaient de plus en plus du mal à honorer certains de leurs engagements. Notamment les salaires de près de 140 000 fonctionnaires et autres agents de l’Etat qui souffraient d’anémie financière. Or, ne pas payer les salaires des fonctionnaires contribuait à accentuer la pression sur le pouvoir d’un Laurent Gbagbo déjà acculé par une rébellion qui contrôlait plus de la moitié du territoire. Le problème qui se pose est celui de l’appréciation de la légalité ou pas, de cette mesure de réquisition. En clair, au regard des textes de l’Etat ivoirien, mais aussi de ceux de la BCEAO, Laurent Gbagbo et son gouvernement pouvaient-ils se permettre une telle latitude ? Là est la question. D’autant plus que, pour une certaine opinion, la question même de la légitimité de ce gouvernement se posait à un moment où le pouvoir était âprement disputé par les deux camps qui revendiquaient chacun la victoire à la présidentielle. Quoi qu’il en soit, l’histoire retiendra que c’est pour ces faits que Laurent Gbagbo et son dernier Premier ministre Gilbert Aké N’gbo ainsi que ses ministres Désiré Dallo de l’Economie et des finances, Koné Katinan du Budget et la demi-douzaine de huissiers qui avaient dressé les procès verbaux de constat des agences de la BCEAO après la réquisition, sont poursuivis par le ministère public ivoirien pour « vol en réunion par effraction portant sur des caves à la BCEAO et des numéraires ; complicité de vol en réunion par effraction ; destruction d’une installation appartenant à autrui ; détournement de deniers publics ». Les chiffres parlent d’un montant de 1,7 milliard de F CFA qui aurait été soustrait des caisses de l’institution bancaire, suite à cette réquisition. Mais, en l’absence du président Gbagbo en procès à la Cour pénale internationale et de Koné Katinan en exil au Ghana, Aké N’gbo et Désiré Dallo qui comparaissaient à la barre, ont plaidé non coupables. Les prévenus encourent vingt ans de prison.
La Justice ivoirienne devrait travailler à corriger image de partialité qui lui colle à tort ou à raison à la peau
La confirmation d’un tel verdict pour Laurent Gbagbo sonnerait le glas de tout espoir de libération en même temps qu’il mettrait une croix quasi définitive sur sa carrière politique. En effet, à bientôt 71 ans, l’enfant de Mama peut être sûr que si, par extraordinaire, il venait à se tirer d’affaire à la CPI, les geôles d’Abidjan seraient toujours là pour le recevoir. Et la fin de son bail à la Haye marquerait le début d’un autre bagne à Babi. En tout cas, on le voit mal rebondir à 91 ans, (si Dieu lui prête longue vie) après avoir purgé une telle peine, au cas où d’autres affaires ne viendraient pas entre-temps en rajouter à ses déboires judiciaires. Si ce n’est pas le chant du cygne, cela y ressemble fort. Mais au-delà du verdict final de ce procès, il faudrait travailler à bannir en Côte d’Ivoire toute justice à deux vitesses. En effet, après le spectaculaire hold-up opéré par Sia Popo Prosper à l’agence nationale de cette même banque en août 2002 à Abidjan, affaire qui n’a jamais véritablement livré tous ses secrets, en 2003, la même BCEAO avait vu ses agences de Bouaké et Korhogo subir des casses en bonne et due forme par des individus armés, alors que la zone était entièrement sous contrôle de la rébellion de Guillaume Soro. A l’époque, on parlait d’un pactole de 16 à 20 milliards de F CFA que les braqueurs auraient emportés. Depuis lors, l’on attend toujours l’élucidation de cette affaire.
En tout état de cause, tout acte d’indélicatesse mérite d’être sanctionné. Et si Gbagbo a été un président pistolero, il est normal qu’il réponde de ses actes. Mais en Côte d’Ivoire, l’on a le sentiment que les procès se suivent et se ressemblent, toujours contre les mêmes acteurs. Pendant ce temps, d’autres personnes qui ont aussi des choses à se reprocher, ne sont nullement inquiétés. Pourtant, la Justice ivoirienne devrait travailler à corriger cette image de partialité qui lui colle à tort ou à raison à la peau. C’est dire si, après ce procès du hold-up de la BCEAO dans le « Gbagboland », elle gagnerait, dans un souci d’équité, à mettre un point d’honneur à élucider l’affaire du braquage des agences de cette même institution dans ce qui fut le « Soroland ». Autrement, cela laissera un goût d’inachevé, si ce n’est simplement un sentiment de justice des vainqueurs, dirigée uniquement contre un seul camp. Ce n’est pas de cette manière que les Ivoiriens parviendront à la vraie réconciliation des cœurs. A moins que la véritable raison, celle que l’on n’ose pas vraiment dire, soit que certaines personnes et pas des moindres, ne veuillent tout simplement pas de cette fameuse réconciliation que tout le monde a sur les lèvres, mais dont personne ne semble se soucier véritablement à travers des actes.
Outélé KEITA