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KOSSODO/OUAGA


Décédé le 6 avril 2020, Moustapha Laabli Thiombiano, le fondateur des radios Horizon FM, TVZ Africa, a été inhumé le 16 avril dernier dans l’intimité familiale au quartier Kossodo de la ville de Ouagadougou. En attendant les hommages de la Nation, parents, amis et connaissances sont allés lui dire au revoir.

Le précurseur des radios libres en Afrique francophone, Moustapha Laabli Thiombiano, repose désormais à son domicile sis au quartier Kossodo de la ville de Ouagadougou. Il y a été inhumé dans l’intimité familiale, le 16 avril dernier. Et ce, en attendant un dernier hommage qui lui sera rendu après la crise sanitaire que le pays des Hommes intègres traverse. Mais avant, parents, amis, collaborateurs, connaissances lui ont rendu un dernier hommage. Tour à tour, Charlemagne Abissi, au nom des médias, Salifou Guigma au nom des collaborateurs, Seydou Richard Traoré, au nom des acteurs de la culture, Isis Thiombiano, au nom de la famille du défunt, ont salué les qualités humaines, la bravoure, le goût du risque, les talents, les actions de celui que certains appellent affectueusement l’homme aux 1 000 idées. A ce propos, Seydou Richard Traoré, par ailleurs PDG de Seydoni Production, qui l’a connu il y a plus de 40 ans au Etats-Unis d’Amérique, ironise : « Il faudra ajouter l’homme aux 1000 actions ». « PDG, nous voulons te rendre hommage aujourd’hui pour la personne que tu fus et qui a, à jamais, marqué la vie de tes employés. Désormais, tu fais partie de nous, et ton souvenir ne pourra jamais nous quitter. Tu nous as apporté l’amour du travail bien fait, le professionnalisme et le goût du gain sur l’axe du travail. Nous n’avons malheureusement pas eu suffisamment le temps de te dire combien tu as été important, mais nous allons rattraper cela, en nous engageant ardument à perpétuer tes œuvres qui t’immortaliseront à jamais », a laissé entendre Salifou Guigma, directeur général de la radio Horizon FM. Après ces mots sous l’effet de l’émotion, ce fut le tour du Bishop MC Claver Yaméogo de dire la dernière prière avant l’enterrement de celui que certains appellent Boss ». Après prière, lecture de message biblique, il réussit, grâce à l’art de la parole dont il a le secret, à arracher le sourire aux membres de la famille du défunt présents à l’enterrement. Après cette étape, le public est prié de se retirer afin que la famille procède à l’enterrement du « Laabli national». 

Issa SIGUIRE

Portait de Moustapha Laabli Thiombiano

Des idées, il en avait à la pelle et ce n’est pas pour rien que Moustapha Laabli Thiombiano était surnommé, l’homme aux mille idées. Avec son prénom prédestiné Laabli (qui désigne en gulmatchéma, ce qui est mouvant, en constante circulation, qui bouge), le Boss des Boss, un autre de ses surnoms, va beaucoup bouger dans sa vie.

Déjà, gamin, Moustapha Thiombiano vivait chez un oncle, douanier de son Etat. A cette époque, les douaniers étaient mutés dans toute la sous-région. C’est ainsi que le petit Moustapha va suivre son cycle scolaire dans plusieurs pays, au gré des mutations de son oncle : Burkina Faso (Haute-Volta à l’époque), Ghana, Togo, Bénin, Côte d’Ivoire. Il effectue un bref passage à la radio nationale dans les années 1960 où il avait comme directeur Roger Nikiéma, avant de s’exiler aux Etats-Unis où il restera dix-huit années.

A Los Angeles, il fait de petits boulots. Il travaille notamment comme présentateur sur la radio de Stevie Wonder et aussi comme taximan. Parallèlement à sa profession, Thiombiano s’intéresse à la musique. Il devient chanteur et joue à la guitare, la percussion et l’harmonica. Et c’est au titre de musicien africain résidant aux Etats-Unis qu’il est envoyé par le département d’Etat Américain chargé de la Culture pour participer à une tournée en Afrique. Son rôle étant de partager son expérience avec les jeunes Africains.

Le Laabli national, l’homme aux milles idées

A Dakar, il anime une conférence de presse à l’Université Léopold Sédar Senghor. Ensuite, ce fut le retour sur Abidjan où il prononce une communication à l’INA. A Abidjan, il se décharge de ses obligations et s’installe. Il monte avec Jimmy Hyacinthe, les « Djinawourou », groupe populaire de l’époque. Il fait des jingles pour la radio Côte d’Ivoire avec Doh Ouattara, travaille à la télévision ivoirienne avec Djira Youssouf. Il anime même une émission radio (« Allo Africa ») avec Madame Diané, entre 1983 et 1984.

Avec ses amis Jimmy Hyacinthe, François Konian, il enregistre le premier album de Nayanka Bell à Paris. Après, il rentre au pays des hommes intègres pour s’y installer. Fondateur de la première radio libre en Afrique au début des années 1990, puis de la chaîne de télévision TVZ Africa, Moustapha Laabli Thiombiano, qui se présentait comme un grand ami de Thomas Sankara, s’est surtout fait connaître comme un homme doté d’une forte créativité.

Le Groupe de Médias Horizon FM-TVZ Africa, c’est lui!
Miss Burkina, c’est lui!
La soirée hindoue, c’est lui!
Le Rallye des Mobylettes de Ouaga (Ramo), c’est lui!
La Fédération burkinabè d’Aviron, c’est lui!
Ouaga Plage, c’est lui!
La rue marchande du FESPACO, c’est lui!
Le maquis Zaka, c’est lui !

L’homme était un champion de la liberté. Il s’était, par exemple, beaucoup impliqué dans la lutte pour la justice pour Norbert Zongo. En mai 1999, c’est chez Moustapha Thiombiano que les pandores sont allés cueillir pour expulsion Robert Ménard, alors patron de Reporters Sans frontières et venu être membre de la Commission d’enquête indépendante sur la mort du journaliste.

Moustapha, c’est aussi quelques albums de musique parmi lesquels « I Love Abidjan » ou encore « 15 ans après » dont les titres « Lola », « Je m’en fous », ont fait le tour du monde… Egalement connu pour ses coups de gueule, le PDG de Horizon FM ne manquait pas de monter au créneau.

Bon nombre de grands noms du paysage médiatique, ont fait leurs premières armes à l’ombre du baobab Laabli: Aboubakar Zida dit Sidnaaba, Charlemagne Abissi (fondateurs de Savane Fm), Newton Ahmed Barry (devenu par la suite rédacteur en chef du journal L’événement), et Alpha Barry (promoteur de Radio Oméga), pour ne citer que ceux-là.

Comme héritage à la jeune génération, ce beau message du doyen recueilli par nos confrères de Ciné droit libre en mars 2019: « Soyez gentil, respectueux… Vous savez dans la vie, il suffit d’un brin d’allumette pour faire un feu de brousse. Donc, n’ayez pas dans vos poches des brins d’allumettes mais des brins d’intelligence. Je m’adresse à la jeunesse parce que je suis le plus jeune des jeunes et je veux que la jeunesse soit une jeunesse polie. L’homme doit se respecter, la jeunesse doit se respecter, pour un bon monde. Merci! » 

Merci Le Laabli national!

Hyacinthe Sanou

 

Ils ont dit

Hortense Zida, secrétaire générale du ministère de la Communication et des relations avec le Parlement 

« Cet homme a fait de grandes choses pour la presse au Burkina Faso et qui lui a donné ses lettres de noblesse »

« Il fut un homme atypique. Un homme aux grandes idées, l’homme à la générosité débordante. Vous vous souviendrez qu’aux Galian 2017, le ministre de la Communication a tenu à décerner un Galian d’honneur à Moustapha Laabli Thiombiano pour toute son œuvre. Cela traduit toute la considération que le ministère de la Communication a pour cet homme qui a fait de grandes choses pour la presse au Burkina Faso et qui lui a donné ses lettres de noblesse au plan national et au plan international. Nous avons tenu à être là aux côtés de la famille biologique, des médias, pour traduire toute la considération que nous avions pour lui et lui dire un adieu sinon un au revoir. Nous souhaitons beaucoup de courage à la famille, aux enfants qui se sont engagés à perpétuer l’œuvre de leur père. Nous souhaitons beaucoup de courage à son épouse pour qu’elle puisse les accompagner, les orienter et remplacer valablement l’amour que leur papa leur a voué sa vie durant. »

Boureima Ouédraogo du Centre de presse Norbert Zongo 

« C’était un homme très accessible »

« Un doyen de la presse mais qui était accessible, même aux plus jeunes. Nous l’avons connu au moment où nous faisions nos armes au niveau du journal « Le pays ». Depuis lors, nous avons toujours eu de bonnes relations. Il m’appelait mon Yadéga et moi je l’appelais mon Laabli. C’est une grosse perte. Moustapha fait partie de ceux qu’on doit célébrer parce qu’il a laissé des empreintes indélébiles pour le Burkina Faso, pour l’Afrique, pour le monde des médias en particulier. Il a été le premier à oser créer une radio libre en Afrique Francophone. Il avait un pied dans les médias et un autre dans la culture. C’était un homme aux mille idées. Beaucoup de générations d’artistes, de journalistes sont devenues ce qu’ils sont grâce à Moustapha. Il a fait ce qu’il a pu, il a mené le bon combat. Que la terre libre du Burkina Faso lui soit légère afin qu’il repose en paix ».

Mathias Tankoano, président du Conseil supérieur de la communication 

« La dernière semaine avant qu’il n’entre en clinique, il était venu au CSC parce qu’il avait un projet de radio du côté de Dapaong au Togo pour couvrir aussi le Burkina »

« Dans le monde des médias, il a été un grand précurseur jusqu’à son dernier souffle. La dernière semaine avant qu’il n’entre en clinique, il était venu au CSC parce qu’il avait un projet de radio du côté de Dapaong au Togo pour couvrir aussi le Burkina Faso. C’était naturel pour nous d’être aux côtés de la famille biologique mais surtout aux côtés de ses confrères qui ont pris le relais. Grâce au travail d’ensemble qu’ils abattent, depuis deux ans, le Burkina Faso est cité en exemple comme ayant une meilleure presse en Afrique francophone. C’est une fierté de rendre hommage à l’un des pionniers de cette presse en attendant l’hommage national qui sera rendu par ses confrères et le gouvernement après la pandémie du Covid-19. Qu’il repose en paix car ayant terminé son travail sur terre. »

Aboubacar Zida dit Sidnaba, fondateur de Savane médias

«  Moustapha Thiombiano n’est pas mort, vu les actions qu’il a menées sur terre »

« Personnellement, je ne pleure pas parce qu’on pleure pour celui qui est mort. Moustapha Thiombiano n’est pas mort, vu les actions qu’il a menées sur terre. Ce sont des actions qui resterons éternellement. C’est la raison pour laquelle je ne pleure pas. Nous implorons Dieu afin qu’il l’accueille dans son royaume céleste. Si nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui, c’est en partie grâce à Moustapha Thiombiano. Il nous a fouettés et cela nous a rendus service. Quand tu fais une faute, il t’insulte à travers les ondes. Et cette correction nous a permis d’être là où nous sommes aujourd’hui. »

Elise Ilboudo/ Thiombiano, député à l’Assemblée nationale

« Il a été et sera toujours dans nos mémoires »

« Je retiens de lui une fierté. Une fierté du Gulmou, de la Nation, du monde, un homme de culture, un créateur, un homme plein humour et d’humanisme, en un mot, un homme bon. Il a été et sera toujours dans nos mémoires parce qu’on va le sentir et le vivre tous les jours grâce à ce qu’il a laissé comme création, ce qu’il nous a légué comme idées à savoir   la rue marchande du FESPACO, Miss Burkina, la radio, la télévision. Je crois qu’on lui doit beaucoup au Burkina Faso. »

Edouard Ouédraogo, directeur de publication de L’Observateur Paalga

« Il a choisi de s’en aller maintenant, sur la pointe des pieds »

 « Ce fut un pionnier aussi bien pour notre pays que pour l’Afrique Francophone. En matière de radio libre, c’est le tout premier. Comme une espèce d’ironie du sort, il a choisi d’aller sur la pointe des pieds comme Manu Dibango, le franco-sénégalais, Pape Diouf, qui furent de grandes figures emblématiques chacun dans son domaine et qui se sont endormis alors que ce sont des gens qui avaient droit à des hommages officiels populaires ; c’est le cas de Moustapha. Si cet évènement était arrivé à un autre moment, ç’aurait été un déferlement populaire. Malheureusement, il a choisi de s’en aller maintenant, sur la pointe des pieds. Comme toujours, il ne fait pas les choses comme tout le monde. c’est un anti-conformiste , un bohémien à sa manière. De toute façon, le coronavirus va s’en aller et au moment venu, la presse et le peuple lui rendront l’hommage auquel il a droit. En attendant, tout ce que nous pouvons demander, c’est que son âme repose en paix. »

Propos recueillis par Issa SIGUIRE


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