PRESIDENTIELLE BURUNDAISE : Nkurunziza est-il irremplaçable au sein de son parti ?
Après plus d’un mois de crise politique au Burundi, consécutive au troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, le constat reste amer : tous les éléments qui ont conduit à des massacres et à une longue guerre civile au début des années 90 dans ce pays sont réunis. Dans ce contexte, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé, le lundi 8 juin dernier, le nouveau calendrier électoral. Les élections législatives et municipales auront lieu le 26 juin ; le premier tour de la présidentielle, le 15 juillet. Ces dates sont considérées comme des limites à ne pas dépasser par le CNDD-FDD, parti au pouvoir. « Dates rouges », selon Pascal Nyabenda (président du CNDD-FDD, ndlr), que le président de la République devrait entériner dans un bref délai, à moins d’un cataclysme. Du côté de l’Opposition politique, ce nouveau calendrier « est nul et de nul effet ». Elle estime que la CENI, amputée de deux de ses membres, «n’a plus d’existence légale» et voit dans cette manœuvre, le jusqu’au-boutisme de Pierre Nkurunziza dans sa quête d’un troisième mandat.
En effet, les décisions de la CENI sont prises par consensus aux 4/5 des voix. La fuite-démission de Spes Caritas Ndironkeye et Iluminata Ndaba-Haga Miyé paralyse donc techniquement cette institution. Pour noyer le poisson dans l’eau, le gouvernement du Burundi dit avoir « consulté les partis politiques de l’opposition dans le but de combler le vide laissé par le départ » des deux commissaires. On savait que le régime se fabriquerait des « commissaires ». C’est ce à quoi il s’attèle actuellement, avec une alchimie très ridicule. Une alchimie politico-juridique que même Machiavel n’aurait jamais pu imaginer. En attendant de se trouver « deux commissaires accompagnateurs », la CENI a décidé des dates des élections en dehors de toute légalité et légitimité. Ceux qui avaient encore des doutes sur la détermination de Pierre Nkurunziza à tordre le coup aux Accords de paix d’Arusha, doivent désormais se le tenir pour dit : pour son troisième mandat, Nkurunziza est prêt à s’allier au diable, si ce n’est déjà fait. Il est prêt à toutes les manipulations funestes et à tous les brigandages.
Le CNDD-FDD donne l’impression qu’il n’a pas pu sécréter un candidat pour défendre ses couleurs en lieu et place de Pierre Nkurunziza
La fixation des dates des élections, dans ce Burundi aux bords du chaos, suscite des réflexions sur cet empressement et ses motivations à tenir un scrutin marqué par des contradictions très profondes. Pourquoi le régime de Pierre Nkurunziza tient-il à organiser dare-dare « ses » élections aux dates indiquées alors que les questions en débats ne sont pas vidées de leurs controverses? Comme on le voit, le sommet des chefs d’Etat d’Afrique de l’Est du 31 mai dernier, a été pain bénit pour le pouvoir burundais. En occultant le principal point de la controverse, le troisième mandat du président, les chefs d’Etat ont donné carte blanche à Nkurunziza pour organiser les élections, en enjambant les cadavres des Burundais, et loin des regards très tristes de milliers de Burundais en fuite dans les pays voisins.
En fait, le régime fait le forcing pour tenir les élections dans le temps imparti, selon le mandat actuel du président. En fait, il tient à éviter un pouvoir de transition.
Jamais, on ne devrait accepter que ces élections se tiennent tant que le régime totalitaire ne libère pas les manifestants emprisonnés, ne restaure pas la liberté d’expression et d’information, ne concède pas à l’opposition le droit de se réunir, et ne crée pas les conditions pour un retour des refugiés et exilés. Une élection dans ce climat politique et sécuritaire extrêmement délétère serait une mascarade. Une des bêtises dans cette crise burundaise, est l’attitude du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Celle de penser que la candidature de Pierre Nkurunziza est « non négociable ». Cette attitude rappelle l’histoire récente du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) au Burkina Faso. Le CDP a toujours pensé qu’il ne pouvait y avoir de candidature à la présidentielle de 2015 que celle de Blaise Compaoré. Un candidat naturel. La suite, on la connaît. Blaise parti, des candidats à la présidentielle sont sortis de toutes parts.
Dans le cas burundais, le CNDD-FDD donne l’impression qu’il n’a pas pu sécréter un candidat pour défendre ses couleurs en lieu et place de Pierre Nkurunziza, condamné par les dispositions constitutionnelles. Il a plutôt aidé le président sortant à torpiller la Constitution, à massacrer la population burundaise, à remettre en cause les acquis démocratiques, politiques et sécuritaires, pour conserver le pouvoir. A moins que le CNDD-FDD ne reconnaisse qu’il est la propriété exclusive de Nkurunziza qui en dispose comme il veut. Il est inconvenable d’admettre qu’en dehors de ce satrape, personne, à l’intérieur du parti, n’est digne de porter l’étendard de cette formation politique pour l’élection présidentielle.
Cette situation pose deux problématiques majeures. La première est d’ordre psychoculturel : dans les partis politiques en Afrique, quand le chef est là, personne ne parle de sa succession, même quand il est grabataire. La seconde relève des textes qui régissent le fonctionnement des partis politiques. L’alternance et la question de succession ont besoin d’être codifiées au sein des partis. Autrement, nos partis politiques continueront de fabriquer des présidents « énergumènes » ou des individus paranoïaques qui se croiront « indispensables » et « irremplaçables ». Et, c’est là que commencent les dérives et les drames.
Michel NANA