PYRRHUS OUEDRAOGO, DOYEN DES BURKINABE DE MOSCOU : « La Russie offre de belles opportunités pour nos hommes d’affaires »
Le 16 février 2017, le Burkina Faso et la Russie fêtaient le 50e anniversaire de leur coopération. 4 jours plus tard, dans le cadre de ce cinquantenaire et dans l’objectif de redynamiser la coopération entre les deux Etats, le chef de la diplomatie burkinabè, Alpha Barry, se rendait à Moscou sur invitation de son homologue Sergueï Lavrov. De la rencontre entre les deux hommes est né un accord- cadre qui va permettre aux Administrations des deux pays de collaborer de manière formelle. Toute chose que les ressortissants burkinabè à Moscou ont fortement appréciée et cela, pour plusieurs raisons. Présents à Moscou dans ce cadre, nous avons rencontré Pyrrhus Ouédraogo, l’un des ressortissants burkinabè résidant en Russie, pour recueillir son avis. Docteur en sciences économiques, celui que ses compatriotes appellent affectueusement « doyen » du fait de ses 43 ans passés en Russie, n’a pas hésité à nous dire ce que pourrait représenter la signature du mémorandum pour eux, mais aussi pour l’ensemble des Burkinabè.
« Le Pays » : Comment êtes-vous arrivé à Moscou ?
Pyrrhus Ouédraogo : Je suis d’abord venu ici en tant qu’étudiant. A l’époque, c’étaient le gouvernement et l’Association de l’amitié entre les peuples qui offraient des bourses d’Etat. J’ai été le premier administrateur du centre culturel soviétique du Burkina. C’est par le biais de l’association de l’amitié que j’ai été envoyé en URSS pour continuer mes études. C’était en 1974. J’ai d’abord été inscrit à l’Institut des finances de Moscou. Après cela, j’ai poursuivi mes études en relations économiques internationales et j’ai pu décrocher un doctorat en sciences économiques avec une spécialisation en coopération monétaire africaine pour la zone F CFA. Cela m’a conduit à faire des stages aux Nations unies à Genève. Après cet épisode, je suis rentré au Burkina Faso en 1989 avant de revenir m’installer définitivement à Moscou en tant qu’homme d’affaires.
Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir et à y rester ?
Je suivais avec intérêt les réformes de Gorbatchev à l’époque qui m’ont beaucoup intéressé. J’ai voulu donc en profiter et je suis venu créer ma première entreprise, « Ouédraogo consulting ». Cela, dans le but de participer à la relance de la coopération économique avec l’Afrique de manière générale et particulièrement avec le Burkina Faso. C’est également dans ce cadre que j’ai eu à représenter les intérêts de « Frets Faso » et d’autres sociétés françaises. C’est donc plus tard que j’ai créé un bureau de tourisme, de traduction et d’interprétariat.
Comment avez-vous vécu la fermeture de l’ambassade du Burkina à Moscou en 1996 ?
C’était difficile. Avec l’éclatement de l’URSS, nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Moscou était comme Chigaco aux Etats-Unis. Pour dire que chacun devait se battre de son côté. Le business n’était pas facile. Les Russes, eux-mêmes se cherchaient. C’est pendant cet éclatement qu’ils ont travaillé par exemple à rénover leur technologie pour faire face à la situation. Bien que nous vivions dans le monde de l’informatique, les premiers ordinateurs sont parvenus ici seulement en 1987. Lorsque l’ambassade fermait ses portes, nous avons créé l’association des Burkinabè de Russie sur la base des statuts du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE). J’en étais le président et je coordonnais les activités avec la représentation du Burkina en Allemagne car, à l’époque, c’est Berlin qui couvrait Moscou. J’ai apporté mon soutien. Ensuite, l’ambassade a rouvert ses portes en 2013 pour redynamiser la coopération bilatérale. La même année, Antoine Somdah a été nommé ambassadeur du Burkina à Moscou. C’était une bonne chose pour nous car, ce dernier parlait bien la langue et avait fait ses études ici. Avec le peu de moyens dont il disposait, il a pu mettre sur pied l’ambassade et relancer la coopération bilatérale. Nous avons récréé l’association sur de nouvelles bases et le flambeau a été transmis aux jeunes.
En tant que Burkinabè vivant à Moscou, quelle appréciation faites-vous de la démarche des autorités pour la relance de la coopération avec la Fédération de Russie, notamment avec la signature de l’accord-cadre par le ministre Alpha Barry ?
Cela est très important dans la mesure où on pourra désormais avoir des relations économiques et diplomatiques de haut niveau entre les deux pays. J’espère que très bientôt, cet accord sera concrétisé. C’est vrai, l’ambassadeur a déjà fait le maximum mais, avec cette signature, nous passons à une autre étape des relations russo-burkinabè. Au niveau de l’enseignement, la Russie offre plusieurs bourses d’études également. Je sais qu’il y a beaucoup de jeunes au Burkina qui les attendent et ce sera une aubaine pour eux. Avec les réformes au niveau du ministère de l’Education de la Russie, le domaine de l’enseignement est plus ouvert. Ils ont même des professeurs qui viennent de l’Europe et des Etats-Unis. Les diplômes sont reconnus par plusieurs pays de l’Occident. Je sais que ceux qui sont titulaires des diplômes russes n’ont plus besoin de faire de test pour continuer leurs études en France. Ce qui n’était pas le cas avant. Donc, ce serait une bonne chose que nos jeunes puissent venir étudier en Russie. Seulement, il y a un hic. Le coût de la vie en Russie est très élevé. Donc, il sera souhaitable aussi que l’Etat accompagne ceux qui auront les bourses.
Vous qui êtes économiste de formation, dites-nous ce que les Burkinabè peuvent tirer de bon de cet accord sur le plan économique ?
Avec cette signature, il faudra que le patronat burkinabè soit très bientôt à Moscou. Il faut que nos Hommes d’affaires bougent et l’occasion leur est donnée. Le Cameroun a lancé un forum économique courant mai dernier. Ils sont venus avec tous les hommes d’affaires de leur pays signer des accords et cela marche bien. Pour le Burkina, il serait aussi souhaitable que dans les supermarchés russes, on voit nos produits comme les mangues et aussi notre haricot vert qui est très prisé à l’international. En attendant, plusieurs personnes sont tournées vers la Chine et autres pays, mais la Russie offre également de belles opportunités pour nos Hommes d’affaires.
Vous qui êtes à Moscou depuis 1974, quelle différence fondamentale faites-vous de la vie sous l’URSS et celle sous la Fédération de Russie ?
Je vais commencer par vous dire qu’au temps de l’URSS, pour les étudiants, si vous finissez vos études, le lendemain, on vous remettait votre visa pour que vous rentriez chez vous. Vous n’aviez pas à l’époque droit de rester à Moscou à l’époque. Depuis l’éclatement, du pays beaucoup de choses ont changé. Sur le plan économique, ils sont rentrés dans le marché international. Donc, si vous finissez vos études et que vous voulez y faire des affaires, cela ne pose plus de problème. D’une manière générale, c’est vrai qu’il y a eu l’éclatement mais, ce n’est pas aussi facile surtout avec les sanctions. Donc, ce qui se passe actuellement, c’est que la fédération compte beaucoup sur ses propres ressources. Elle a beaucoup investi, en guise d’exemple, sur le plan agricole pour faire face à la demande. En outre, il faut le reconnaître, il y a maintenant en Russie une large ouverture dans le monde des Affaires. La plupart des grandes entreprises occidentales et américaines sont représentées à Moscou. Nos Hommes d’affaires gagneraient également à être présents ici car, il y a de belles opportunités.
Qu’en est-il des jeunes qui viennent « se chercher » comme on le dit ?
Pour l’immigration, c’est tout un problème. Au départ, quand vous arrivez ici, c’est très difficile pour vous de trouver du boulot. Normalement, pour travailler légalement ici, il vous faut une carte de séjour. Sans elle, aucune société ne peut vous engager. Donc, il faut être en règle et pour cela, dans un premier temps, l’on vous livre un permis temporaire de 3 ans. Ensuite, la carte de séjour. Et après 5 ans de résidence en Russie, vous pouvez obtenir la nationalité russe. Même avec cela, c’est comme partout ailleurs, trouver du boulot n’est pas aussi simple.
En tant qu’économiste, quelle appréciation faites-vous du débat qu’il y a autour du F CFA de nos jours ?
Il y a plusieurs pays qui sont membres de la zone CFA. Certaines voix s’élèvent, en effet, pour que ces pays créent leur propre monnaie. D’accord. Mais, les contextes économiques et les problématiques diffèrent selon les pays. Il faudra d’abord que ces pays aient une économie forte. Pour moi, il s’agit d’abord de travailler à cela. Tant qu’on n’arrivera pas à relever ce défi, ces débats sur le F CFA vont se poursuivre. C’est vrai, certains pays qui possèdent leur propre monnaie arrivent à s’en sortir. Mais, pour d’autres pays, c’est toujours la catastrophe. Pour terminer, je pense que disposer de sa propre monnaie est le meilleur souhait que l’on puisse formuler pour nos pays mais pour le moment, il faut surtout travailler d’abord à être prêt à le faire.
Interview réalisée par Adama SIGUE