LA NOUVELLE DU VENDREDI : Une charge trop lourde pour un fils
C’était un vendredi soir. Il était 16h.
Convalescente, Angèle, une amie étudiante, me demanda de l’apporter de la lecture. Elle habitait chez son oncle, M. Adams, un brillant professeur d’université dans un beau quartier de la capitale burkinabè. Mon amie me guida au téléphone et j’arrivai. Une dizaine de voitures étaient stationnées devant la résidence. Une maison de belle facture. Des voitures rivalisant de luxe et confort. Un vigile sortit, me salua, rangea ma moto et me conduisit à l’aile droite du bâtiment. De la fine musique, des rires et des applaudissements venaient de la gauche.
Angèle m’accueillit avec le sourire et me rassura.
– C’est ma tante Odilia, promue directrice de son agence qui fête l’évènement avec ses amis et collègues triés sur le volet.
– C’est super ça.
– Oui, confirma mon amie avec un léger soupir.
Dans le petit salon, elle me présenta à sa grand-mère. Une vieille dame sur ses béquilles, supportant le lourd poids des saisons sur ses frêles épaules. Une mère dans le bonheur par la réussite de son enfant. Profitant dans l’allégresse des derniers instants de sa vie terrestre, pensai-je.
– Ne te fie pas au beau sourire de mamy, plaisanta Angèle. C’est une demoiselle de 82 ans qui ne se laisse pas faire.
Nous éclatâmes de rire par cette charmante remarque. Et la vieille très accueillante et conviviale discuta un moment avec nous après présentation.
– C’est l’heure de ma prière, je vous laisse ! Nous dit-elle en s’éclipsant par la cadence de ses béquilles sur le beau carrelage.
– Elle est vraiment très sympathique ta grand-mère, dis-je.
Je viendrai souvent lui rendre visite. Elle doit avoir pleines de choses à nous apprendre sur les mystères de la vie.
– Viens quand tu veux. La porte de notre maison t’est grandement ouverte. A part ses genoux qui ne la supportent plus, mamy, à son âge, se maintient. On remercie Dieu !
– Nous discutions pendant une heure. La musique, les rires et les applaudissements à l’autre côté du bâtiment nous parvenaient.
Lorsque je demandai à Angèle la permission de m’en aller, elle m’accompagna à la porte.
– Tu m’excuses, mais je n’ai pas pu t’offrir quelque chose à manger malgré la fête chez nous. Notre frigo est en panne depuis des mois. Comme je vais mieux, je vais me débrouiller pour faire un petit repas pour mamy. Moi j’ai du jus à terminer.
Etonné, je regardai vers la fête à l’autre bout de la résidence et Angèle me dit avec le sourire.
– Je sais ce que tu penses mais ne te fais pas d’illusion. C’est deux familles qui cohabitent dans une même résidence malgré elles, parce que leurs membres ont le même sang.
Je t’en parlerai un peu plus une autre fois. Tu comprendras.
Je m’en allai mais l’image de la vieille femme resta dans mon esprit. De ce que je savais par Angèle. Le propriétaire de la maison, un brillant universitaire de 56 ans, avait fait de grandes études dans des facultés de prestige en Occident. Il occupait une place de référence dans le monde de la formation intellectuelle au Faso. Un riche homme divorcé avec un enfant et remarié avec une dame trentenaire de la haute société du monde de l’entrepreneuriat. Madame est une riche héritière et mère d’une petite fille de deux ans. Une fois mariée, madame s’est débrouillée pour que le premier enfant du mari à l’âge adulte rejoigne sa mère à l’étranger. Sage précaution dans ce monde d’aujourd’hui. Aussi, ça donne de la place. Même dans une vaste résidence comme celle-ci avec des dizaines de chambres spacieuses et confortables, la place vient à manquer quand on ne vous porte pas trop dans le cœur et le regard. Et cette combinaison avec le départ du premier enfant de l’universitaire, mamy ne l’a jamais accepté. Seulement son opinion ne compte pas beaucoup pour tonton.
Les jours passèrent. Angèle récupéra ses forces après la convalescence et me confia un matin.
– Je vis avec mamy ici depuis que j’ai 12 ans, après le décès de ma mère. Aujourd’hui j’ai 26 ans et jamais je n’ai vu mon oncle venir s’asseoir et causer avec grand-mère 30 mn. Juste parfois quelques salutations de convenance une fois par semaine pour donner de quoi vivre. Puis, pressé d’aller au travail après avoir fait sortir sa voiture, les salutations suffisent. Et les rares fois quand on reçoit des visiteurs et que tonton est obligé.
– Et ta tante ? M’inquiétai-je.
– Pour ma tante, nous n’existons même pas depuis sa brouille avec Mamy. C’est après sa sortie de clinique à son accouchement qu’une de ses amies a osé envoyer sa fille dans les bras de mamy. Un scandale. Avec cette amie, elles se sont brouillées pendant des années. Elle n’adresse plus la parole à Mamy depuis longtemps. Depuis cinq ans. Malgré l’intervention de la famille, elle campe sur sa position. C’est une dame de fer, Tantie.
– Une dame de fer avec un cœur en pierre. Je me permis de dire. Nous rions.
– Et c’est dans cette ambiance que nous vivons depuis. Vivre ensemble dans une parfaite ignorance de l’autre.
– Et le fils dans tout cela ?
– Avec mamy, j’ai entendu dire que les choses n’ont jamais collées entre eux, mais depuis l’accrochage avec ma tante, il observe une indifférence… si j’ose le dire… coupable.
– Ton oncle est le seul enfant de ta grand-mère ?
– Il a une grande sœur, ménagère qui se cherche dans un mariage difficile. De peur de se faire couper les vivres, elle préfère se taire. Pleurant à l’occasion avec Mamy.
Angèle m’en bouchait un coin. J’étais très touché. Je ne connaissais pas beaucoup cette vieille femme. Je ne savais rien de son vécu. Je ne savais pas ce qu’elle avait fais à son fils. Mais dans la vie, à partir d’un certain âge et d’un certain niveau, il faut oser se surpasser pour être au-dessus de certaines considérations. Je pensai à cette phrase que notre père nous répétait quand nous étions enfants :
– Quel que soit ce que l’enfant donne à sa mère, ce n’est que le un millième de ce que la mère fit pour l’enfant.
Je me permis de penser. A quoi sert la réussite sociale, de posséder l’or du monde quand on ne peut pas assister avec amour et sensibilité sa propre mère pour ses derniers jours ? Je priai le ciel de m’éloigner d’une telle richesse.
Que peut enseigner pareil homme à la jeunesse ? Quelle éducation un tel fils donnera à ses enfants ? Un fils qui refuse de tenir tendrement la main fatiguée de sa mère pour rencontrer le Seigneur.
Je n’étais pas au bout de ma surprise. Il y a quelques jours, sous la pression de madame, monsieur à fini par acheter un terrain à l’autre bout de la ville pour caser mamy. Louer les services d’une servante afin d’être libre moralement et vivre de la tendresse de madame à son saoul. Se tenir loin des problèmes de vieillesse de Mamy. Pour l’amour de sa femme, l’oncle ne plaisante pas. Afin de leurrer sa conscience, l’oncle n’a rien omis pour le confort de Mamy dans sa nouvelle maison. Douche interne avec le dernier carrelage de marque, nouveau frigo et garni, une télévision écran dernier cri…
Tout y est du moment que mamy soit loin de son amour et son regard.
Mais tout l’or du monde peut-il remplacer la présence et la bonne parole réconfortante d’un enfant auprès de sa mère ?
A la veille du déménagement, mamy, du calme de son sommeil ordinaire, s’est discrètement plongée par la volonté suprême dans l’ultime sommeil de l’Eternel. Pour toujours.
Il y a quelques jours, Mamy disait à Angèle avec le sourire :
– Dieu, je te demande de pardonner à mon fils ! Seigneur, fais que bientôt auprès de Toi, dans ton paisible jardin, je ne sois plus une charge trop lourde pour mon fils… ni pour personne dans ce monde !
Les yeux noyés de larmes en apprenant la triste nouvelle, je priai pour l’âme de Mamy en pensant :
Quel que soit notre amour pour ceci ou cela, pour X ou Y, n’oublions jamais ce que la mère fut pour nous à notre fragile naissance. Une dette i-remboursable !
Ousseni NIKIEMA
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