MACRON CHEZ LE ROI DU MAROC : Une visite pour raffermir les liens de mariage
Les relations entre la France et le Maroc sont d’ordre historique et affectif. A l’époque coloniale, elles ont été notamment marquées par la méfiance de l’ancienne puissance coloniale à l’égard de la famille royale. Le point culminant de cet épisode de l’histoire avait été, on se souvient, la déposition et l’exil forcé du Sultan Mohamed V, grand père de l’actuel Roi. Sous l’ère de Hassan II, géniteur de Mohamed VI, c’était le parfait amour entre les deux pays. Certains observateurs avisés avaient même parlé de mariage entre les deux nations. La forte personnalité et l’attachement de Hassan II à la culture française avaient apporté une touche particulière à ces liens de mariage, au point que tous les présidents qui se sont succédé à la tête de l’Hexagone ont toujours eu pour souci de caresser le Maroc dans le sens du poil. C’est cette tradition que le nouveau président français, Emmanuel Macron, est en train de respecter de manière dogmatique, si l’on peut le dire ainsi, en réservant à Rabat l’un de ses premiers déplacements à l’étranger. Et le Roi n’a pas masqué sa joie que son pays ait été le premier du Maghreb à recevoir cet honneur. En effet, à son arrivée, le 14 juin dernier à Rabat, le Maroc s’est revêtu de tous les attributs royaux pour accueillir l’hôte de marque et ce, bien que le pays traverse actuellement une zone de turbulences liées à la poussée de fièvre dans le Rif. Le caractère somptueux qui a entouré cette visite a atteint son point culminant lors du dîner de rupture du jeûne que le couple Macron a partagé avec Mohamed VI et sa famille dans la résidence personnelle du Roi.
Le nouveau chef des Blancs est venu saluer les efforts inlassables d’un grand pays musulman
Et le fait que les choses se soient passées dans un cadre éminemment intime, vient renforcer le caractère affectif de la rencontre. Autre aspect à relever de cette rencontre, car il vaut son pesant d’or, c’est le moment de rupture du jeûne que le couple présidentiel français a partagé avec le Roi et sa famille. En effet, cela a ceci de symbolique qu’il peut être décrypté comme un appel à la tolérance et au respect de la différence. Cette image du président de la fille aînée de l’Eglise (la France) et du Commandeur des croyants rompant ensemble le jeûne, véhicule, et c’est le moins que l’on puisse dire, ce message. Et par ces temps qui courent, où la démarcation physique avec les non-musulmans est prônée entre autres par les tenants de l’idéologie djihadiste, cette image peut contribuer à déconstruire en partie le discours islamiste ambiant. Cette image, loin d’être anecdotique, est d’abord pédagogique. Et le fait qu’elle ait eu lieu au Maroc, n’est pas étonnant. En effet, le pays de Hassan II a la renommée historique de pratiquer un islam qui est aux antipodes de celui que prônent les extrémistes. Et le Maroc s’est toujours investi chez lui comme partout ailleurs, en termes de formation des imams, pour faire barrage au discours ravageur des tenants de l’idéologie de la haine et de l’intolérance. Au-delà donc du déplacement de Macron, présenté d’abord et avant tout comme étant d’ordre personnel, l’on peut dire que le tout nouveau chef des Blancs est venu chez Mohamed VI pour louer et saluer les efforts inlassables d’un grand pays musulman qui passe pour être un exemple en matière de pratique de l’islam. Macron a également fait ce déplacement, peut-on dire, pour solliciter davantage l’engagement du royaume, pour non seulement aider l’Hexagone à promouvoir ce que l’on appelle là-bas « l’Islam de France », mais aussi lui demander d’user de son influence et de son aura pour extirper le virus djihadiste du Sahel africain, où la France semble être aujourd’hui à bout de souffle.
La diplomatie française au Maghreb est faite d’un jeu subtil d’équilibre
Mais, ces dimensions du voyage du président français ne doivent pas pour autant en faire oublier la dimension économique. Car, en la matière, bien que le royaume ne recèle pas de ressources pétrolières et gazières, comme son grand et rival voisin algérien, il n’en demeure pas moins un centre d’intérêt économique pour la France. La preuve, c’est que bien des entreprises françaises sont implantées sur le territoire chérifien. Mieux, le Maroc accueille aujourd’hui sur son sol, l’un des fleurons de l’industrie automobile française. Et à partir de là, l’Hexagone entend aller à la conquête de l’immense marché maghrébin. Le Maroc n’est donc pas un morceau sur lequel la France peut cracher, tant les deux pays ont d’énormes intérêts d’ordre sécuritaire, culturel et économique à partager. De ce point de vue, l’on peut percevoir le déplacement de Macron à Rabat, le premier dans l’espace maghrébin, comme un signe du raffermissement des liens de mariage entre les deux pays. Et ce mariage est loin d’être monogamique. En effet, en plus du Maroc, la France entretient pratiquement les mêmes types de liens avec l’Algérie et la Tunisie, à la différence qu’avec le pays de Ben Bella, le passif colonial de la France n’est pas encore soldé. Pour apaiser les choses avec ce pays, le candidat Macron, alors en visite en Algérie, n’avait pas craint de qualifier l’œuvre coloniale française de crime contre l’humanité, avant d’opérer une gymnastique sémantique, sous la pression probablement d’une partie de l’opinion de son pays, pour requalifier les choses de crime contre l’humain. De manière générale, la diplomatie française au Maghreb est faite d’un jeu subtil d’équilibre, si fait qu’elle ne laisse jamais percevoir la préférence pour l’un des trois principaux pays qui le constituent, c’est-à-dire, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc. Pendant la campagne présidentielle, Macron avait foulé le sol des deux premiers cités. Mais il avait vite fait la promesse, certainement pour ne pas frustrer le Maroc, de lui réserver sa première visite s’il était élu. C’est chose désormais faite depuis hier. Toujours dans le souci de la recherche de l’équilibre, pendant qu’il est à Rabat, son ministre des Affaires étrangères, Le Drian, est à Alger. Et cela semble ne pas suffire pour éviter d’égratigner la susceptibilité de l’Algérie suite au fait que Macron a réservé sa première visite en tant que président, à l’ennemi de toujours qu’est le Maroc. C’est pour rattraper, peut-on dire, cela que très bientôt, le président Macron va accorder à l’Algérie une visite. Mais, que ce soit au Maroc ou en Algérie, s’il y a un sujet qui pourrait soigneusement être esquivé par le président Macron, c’est certainement celui des droits humains. Là-dessus, personne ne doit se faire la moindre illusion.
« Le Pays »