VIOLENCES EN RCA : Un exorciste nommé Sant’Egidio
Depuis que la Centrafrique a basculé à nouveau dans la guerre civile il y a de cela quatre ans, les initiatives se multiplient pour ramener le pays à la paix. Mais force est de constater que ce conflit qui cristallisait à un moment donné la haine interethnique et religieuse, notamment entre Séléka musulmans et anti-balaka chrétiens, s’est aujourd’hui mué en affrontements entre groupes armés avoisinant la quinzaine, dont on ne saurait véritablement distinguer qui est le mal et qui est le bien. Mais les efforts conjugués de la communauté internationale avaient permis de ramener le conflit à des proportions qui avaient fait naître l’espoir d’un retour à la normale, avec l’organisation des élections présidentielle et législatives, qui ont vu l’accession de Faustin Archange Touadéra à la tête du Pays. Cependant, après une relative période d’accalmie, les violences ont repris, avec leur lot de morts et de déplacés. Et les médiations succédant les unes aux autres, sans véritablement réussir à faire fumer le calumet de la paix aux frères ennemis centrafricains, la communauté catholique Sant’Egidio s’est invitée dans la danse, en offrant ses services de bons offices, dans le but de réconcilier les Centrafricains avec eux-mêmes.
La mission d’explications vaut son pesant de paix
C’est ainsi qu’elle a réussi à arracher, le 19 juin dernier à Rome, un accord, au terme d’une rencontre de négociations qui a réuni groupes armés et gouvernement centrafricain, en présence d’un représentant des Nations unies. Mais très vite, les espoirs suscités par la signature de cet accord censé ramener la paix dans l’ex-Oubangui Chari, et dont l’un des points majeurs était « la mise en place immédiate d’un cessez-le-feu sur tout le territoire national », seront douchés par la reprise, dès le lendemain, des affrontements, notamment à Bria où une soixantaine de personnes ont perdu la vie suite à ces événements, puis à Zemio et Kaga Bandoro quelques jours plus tard, où les démons de la violence ont aussi pris possession des habitants de ces localités, rendant la situation sécuritaire encore plus volatile. Mais loin de baisser les bras et de se laisser aller au découragement, l’instance de médiation catholique a entrepris d’envoyer une délégation à Bangui, pour une mission d’explications, en vue de mieux faire comprendre sa démarche et espérer remettre le processus sur les rails. C’est dans ces conditions que son représentant, Mauro Garofalo, a fait le déplacement de la capitale centrafricaine, en véritable exorciste si on peut le dire, car certaines voix et pas des moindres s’élevaient pour dénoncer l’accord ou s’en désolidariser, comme c’est le cas du Cardinal Nzapalainga qui soutient n’avoir envoyé aucun émissaire à Rome pour participer aux négociations, alors que figure parmi les signataires de l’accord, le nom d’un participant présenté comme étant son représentant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette mission d’explications vaut son pesant de paix, si tant est qu’elle puisse permettre d’aplanir les difficultés et de « mettre en place les mécanismes prévus par l’accord », comme l’a expliqué M. Garofalo. Car, les Centrafricains ont suffisamment souffert des affres de cette guerre, et si rien n’est fait pour recoller les morceaux, il n’est pas sûr que le mandat du président Touadéra, tout Archange qu’il est, survivra à cette crise et que ce dernier trouvera à lui tout seul la formule magique pour tirer son pays du bourbier dans lequel il est empêtré. C’est pourquoi le déplacement de la délégation romaine en terre centrafricaine a toute son importance, car il est impératif d’éclairer la lanterne de tous les protagonistes sur les tenants et les aboutissants de cet accord qui se présente, à bien des égards, comme celui de la dernière chance. D’autant plus que depuis un certain temps, la communauté internationale est devenue peu audible sur la question centrafricaine, au point que l’on se demande si elle n’est pas en passe de jeter l’éponge, surtout après le retrait de la force Sangaris.
Il est temps que Bangui la roquette redevienne Bangui la coquette
C’est pourquoi il faut soutenir la démarche de Sant’Egidio pour ne pas abandonner complètement les Centrafricains à leur sort. Cela dit, à la lumière des difficultés que rencontre cet accord de paix malmené dès le lendemain de sa signature par le crépitement des armes, l’une des leçons que l’on pourrait tirer est que quelle que soit la beauté des textes en matière d’accord de paix, si les protagonistes n’y mettent pas le cœur, il est quasi certain que les efforts et autres initiatives seront toujours voués à l’échec. Et dans le cas d’espèce, les Centrafricains sont en train de faire la preuve qu’ils n’ont pas encore désarmé leurs cœurs, rongés qu’ils sont par les rancœurs. Or, tant qu’il en sera ainsi, il serait illusoire d’espérer sortir du cycle des violences actuelles. Car, la violence appelle la violence. Et là où domine le langage des armes, il y a peu de place pour la raison. C’est pourquoi, au-delà des divergences de vues, il faut aider cette communauté que d’aucuns qualifient de pilier discret de la diplomatie africaine du Vatican, à réussir sa médiation. Autrement, ce sont les Centrafricains eux-mêmes qui en paieront les pots cassés. Car, si tout le monde venait à se détourner de leur guerre par lassitude, par impuissance ou pour toute autre raison, c’en sera fini des espoirs de paix dans ce pays qui fut jadis la perle de l’Afrique et dont la réputation de coquetterie de la capitale avait largement dépassé les frontières. Il est vraiment temps que Bangui la roquette redevienne Bangui la coquette.
« Le Pays »