MANIFS POUR DES REFORMES POLITIQUES AU TOGO : Faure est-il toujours aussi fort ?
Réunie en session extraordinaire ce 12 septembre 2017, l’Assemblée nationale du Togo n’a pas délibéré, comme on pouvait s’y attendre, sur l’avant-projet de loi sur les réformes adopté en Conseil des ministres, la semaine passée. Ledit texte n’étant pas inscrit à l’ordre du jour, au grand dam de l’opposition qui pensait qu’il pouvait être inscrit en procédure d’urgence et qui a demandé la suspension immédiate de cette session qui abordait des questions budgétaires. Mais, pourrait-on dire, peu importe puisque l’appétit venant en mangeant, la lutte de l’opposition initialement focalisée sur ces réformes, est en train de tourner à la demande pure et simple du départ du chef de l’Etat. En témoigne son appel, la veille de l’ouverture de ladite session extraordinaire, à une manifestation devant le parlement, pour mettre la pression sur le pouvoir, en attendant d’en remettre une autre couche, le 15 septembre prochain.
L’opposition togolaise est désormais sur ses grands chevaux
Mais c’était sans compter avec le pouvoir qui, arguant de l’illégalité de la manifestation, avait pris les devants en déployant les grands moyens sécuritaires pour la tenue de la session, obligeant quelque peu l’opposition à battre en retraite en échouant à mobiliser ses partisans devant la représentation nationale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’opposition togolaise, forte du soutien de la rue, est désormais sur ses grands chevaux et semble en mesure d’amener le pouvoir, de gré ou de force, à aller dans le sens de ses revendications. La preuve vient d’en être donnée hier, 12 septembre 2017, avec la suspension de la séance parlementaire. Toutefois, elle doit éviter, par précipitation ou pour toute autre raison, de compromettre sa lutte par manque de claivoyance. A cet effet, malgré la gravité de l’heure, elle doit garder toute sa lucidité pour ne pas se tromper d’objectif. Car, le pire serait de prendre l’ombre pour la proie en voulant aller trop vite en besogne au point de se mettre en porte-à-faux avec la loi. Elle se doit donc, autant que faire se peut, d’éviter de prêter le flanc à un pouvoir visiblement acculé, qui n’attend que la moindre erreur pour justifier la répression féroce qu’elle brûle d’impatience d’abattre sur les manifestants, espérant ainsi briser définitivement un mouvement dont il n’est plus permis de douter qu’il a pris beaucoup l’ampleur. En adoptant systématiquement la réponse du berger à la bergère, l’on peut craindre que sa stratégie ne soit à la longue contre-productive. Car, autant l’opposition peut se targuer d’avoir la rue avec elle, autant le président Faure Gnassingbé semble pouvoir encore compter sur le soutien de la soldatesque. Et il y a lieu de croire que c’est la Grande muette qui sera l’ultime arbitre du bras de fer engagé entre les deux parties. En effet, si l’armée prend le parti du peuple, les Togolais qui ne jurent aujourd’hui que par le changement, pourraient voir leur printemps arriver, peut-être même plus tôt que prévu. Par contre, si elle prend le parti du dictateur, le rêve de changement des Togolais pourrait bien se transformer en un terrible cauchemar ou une véritable désillusion, comme on l’a vu par exemple au Burundi de Pierre Nkurunziza. C’est pourquoi il est impératif pour l’opposition togolaise d’inscrire son combat dans une stratégie visionnaire en ne misant pas tout sur le court terme. Car, rien ne dit que la décision ne se jouera pas sur le moyen voire le long terme. Ignorer ou feindre d’ignorer cela, pourrait être rédhibitoire face à un pouvoir aux abois, qui joue manifestement la montre pour espérer desserrer l’étreinte de l’opposition qui semble l’avoir pris à la gorge.
L’opposition doit mener la lutte de façon intelligente
Clairement, le pouvoir ne joue pas franc jeu. Et l’on peut comprendre le ras-le-bol voire l’impatience des militants de l’opposition qui sont pressés de voir Faure débarrasser le plancher. Mais si l’opposition rate le coche par manque de lucidité, elle pourrait bien se mordre les doigts. C’est pourquoi elle gagnerait à inscrire toutes ses actions dans le cadre de la légalité républicaine, pour éviter de prêter le flanc ou de mettre éventuellement dans l’embarras, bien de ses sympathisants ou soutiens déclarés ou tapis dans l’ombre. Toutefois, l’on peut aisément comprendre que si elle s’est quelque peu radicalisée, c’est en raison de l’attitude du pouvoir qui ne lui donne pas d’autre choix en n’offrant pas des gages suffisants de bonne foi. Et connaissant bien son vis-à-vis, on ne peut pas lui en vouloir de monter les enchères en demandant le maximum pour espérer obtenir au moins le minimum. C’est à la guerre comme à la guerre, dit-on. Mais dans les conditions actuelles, l’opposition togolaise est-elle suffisamment préparée pour jouer son va-tout dans ce bras de fer en tablant uniquement sur le ça passe ou ça casse ? Rien n’est moins sûr. C’est pourquoi elle se doit de mener sa lutte de façon intelligente. Car, autant elle peut légitimement rêver d’un scénario à la burkinabè, qui verrait le destin lui offrir la tête de Faure plus tôt qu’elle ne l’espérait, autant elle ne devrait pas perdre de vue que son succès pourrait tenir à un fil et que la moindre erreur pourrait au contraire lui être fatale.
En tout état de cause, à la lecture des événements, il n’est plus permis de douter que les couteaux sont définitivement tirés entre le pouvoir togolais et l’opposition. Et la question que l’on pourrait se poser, est la suivante : Faure est-il toujours aussi fort qu’il l’a montré jusque-là ? Pourra-t-il une fois de plus se tirer d’affaire sans laisser des plumes ? L’histoire nous le dira.
« Le Pays »