COTE D’IVOIRE
Une présidentielle croustillante et épique en perspective
Le 26 janvier 2019, le stade Félix Houphouët-Boigny accueillait le premier congrès du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). A cette occasion, la superstar du parti unifié, c’est-à-dire Alassane Dramane Ouattara (ADO), devant près de 100 000 personnes visiblement acquises à sa cause, a tenu le crachoir pendant plus d’une heure. De ce discours, l’on peut s’arrêter sur trois centres d’intérêt. Le premier est que l’enfant de Kong a maintenu le suspense sur sa candidature pour la présidentielle de 2020. En effet, face à la foule surchauffée qui scandait à tout rompre « nouveau mandat », il a laissé entendre ceci : « Je vous donnerai ma réponse l’an prochain ». La question n’est donc plus de savoir si ADO peut se présenter mais s’il va se présenter pour un troisième mandat.
Le trio explosif de 2010 a de fortes chances d’être reconstitué en 2020
Et tout laisse croire que la réponse définitive à cette question, sera tributaire de l’attitude des autres dinosaures de la scène politique ivoirienne. En effet, si Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo se mettent dans les starting-blocks, la probabilité sera très grande que l’enfant de Kong s’y mette également. D’ailleurs, avec le recul, on peut s’apercevoir, aujourd’hui, que le locataire actuel du palais de Cocody avait fait réviser la Constitution en 2016 pour se donner toute la latitude d’apporter la réponse qu’il jugera nécessaire pour mieux faire face à la question lorsqu’elle va se poser.
A un an de l’échéance, l’on peut dire que ADO a su anticiper les choses puisque le Sphinx de Daoukro n’exclut pas, lui non plus, la possibilité de se présenter. La même attitude pourrait être observée par le Christ de Mama dès son retour au pays natal. Le trio explosif de 2010 a donc de fortes chances d’être reconstitué en 2020 et ce d’autant plus que le verrou limitant l’âge pour se présenter à la présidentielle n’est plus à l’ordre du jour dans la Constitution de 2016. Ce sera donc à la guerre comme à la guerre et Alassane Ouattara semble déjà affûter ses armes pour tirer son épingle du jeu dans ce scénario qui se profile à l’horizon. Le deuxième centre d’intérêt du discours d’ADO, au sujet duquel l’on peut dire un mot, est l’allusion faite à Konan Bédié. Le moins que l’on puisse dire est que l’Enfant de Kong n’a pas été tendre à son endroit. Il en a décidément gros sur le cœur contre celui qu’il appelait naguère affectueusement son aîné, l’accusant notamment d’avoir jeté en prison toute la direction du Rassemblement des républicains (RDR) à son avènement au pouvoir, à la mort du père de la Nation en 1993. Et Alassane Ouattara d’enfoncer le clou en allant jusqu’à marteler ceci : « J’ai souffert, une famille a souffert. J’ai tout pardonné, mais je veux qu’on se souvienne qu’il y a eu des moments de honte à cause de certaines personnes ». C’est clair comme l’eau de roche. Alassane Ouattara n’a pas fini de digérer toutes les basses œuvres qu’il a subies « à cause de certaines personnes ». Et l’on n’a pas besoin d’être un démiurge pour savoir que derrière ces personnes qu’il pointe du doigt, se cache notamment Henri Konan Bédié. Et revoilà les rancoeurs enfouies qui remontent à la surface. Et cela n’est pas pour apaiser la Côte d’Ivoire au point de l’engager dans une compétition politique civilisée, où ces deux personnalités se retrouveront face à face.
Il faut souhaiter que les thématiques nauséeuses liées à l’ivoirité, ne fassent pas leur retour
Le troisième et dernier centre d’intérêt du discours d’ADO, est lié à l’allusion faite à Guillaume Soro dont l’absence était fort remarquée le 26 janvier dernier au premier congrès du RHDP. Au sujet justement de l’absence de l’ancien chef rebelle, et sans le nommer, ADO a dit, non sans une certaine dose d’ironie, ceci : « Tout le monde pourra être candidat. Même ceux qui sont absents ». Ainsi donc, peut-on dire, le compagnonnage politique entre les deux hommes semble avoir pris définitivement fin. En tout cas, l’absence de Soro à ce grand moment du RHDP, peut être décryptée de cette façon. De ce point de vue, il ne sera pas étonnant de voir bientôt Guillaume Soro aux côtés de Laurent Gbagbo et de Konan Bédié dans une alliance de circonstance contre l’Enfant de Kong. Car en politique, l’on ne peut jamais jurer de rien, tant les alliances obéissent plus aux intérêts égoïstes du moment qu’à ceux des populations. Le tout sauf ADO pourrait être encore expérimenté. Mais on peut se risquer à dire que l’actuel président a des chances de se faire réélire s’il se présente. D’abord, l’on peut l’aimer ou pas, mais il faut reconnaître que son bilan parle pour lui.
En effet, sous ses deux mandats, ADO a ajouté «de la terre à la terre » en Côte d’Ivoire.
Le deuxième atout est qu’il a réussi l’exploit d’ébranler la forteresse Akan de Bédié jadis imprenable en débauchant des personnalités d’envergure. Le troisième et dernier atout pour lui, est que, c’est en sa qualité de président en activité, qu’il se lancerait dans la course. Et en Afrique, plus qu’ailleurs, cet atout peut peser lourd dans la balance. Cela dit, il ne faut pas non plus perdre de vue que Alassane Ouattara pourrait mettre un point d’honneur à triompher en 2020 ; histoire de rabattre le caquet à tous ceux qui croyaient ou qui croient encore que sa victoire de 2010 a été usurpée. Rien que cet élément peut être une grande source de motivation pour lui. Au regard de ce qui précède, l’on pourrait assister à un remake de 2010 en 2020. Et cela laisse présager une présidentielle croustillante et épique où s’affronteront les trois grands Eléphants de la scène politique ivoirienne. Il faut donc souhaiter que les thématiques nauséeuses liées à l’ethnie et à l’ivoirité, ne fassent pas leur retour. Car, les Ivoiriens et les Ivoiriennes en ont trop souffert. Et toutes les plaies liées à ce traumatisme ne sont pas encore cicatrisées. Loin s’en faut. L’idéal serait donc qu’Alassane Ouattara, Konan Bédié et Laurent Gbagbo aient la sagesse de se retirer pour permettre à une nouvelle génération de prendre le relais. Mais le problème, c’est que pratiquement ces trois personnalités s’apparentent à des divinités. Or, les divinités, surtout sous nos tropiques, ne se reposent jamais.
« Le Pays »