LE SOUS-SECRETAIRE D’ETAT AMERICAIN AU CAMEROUN : Le « Monsieur Afrique » pourra-t-il attendrir Paul Biya ?
Le 18 mars dernier, le sous-secrétaire américain chargé des affaires africaines était en visite au Cameroun où il a rencontré le président Paul Biya. Une visite qui intervient dans un contexte où les deux pays sont en froid, Yaoundé ayant exprimé son agacement face aux sorties répétées de Washington qui a maintes fois donné de la voix à son encontre, notamment en ce qui concerne la gestion de la crise anglophone et l’embastillement des opposants politiques. Et comme les deux sujets étaient inscrits au menu des échanges, la question que l’on pourrait se poser est de savoir si la visite du « Monsieur Afrique » de la Maison Blanche, permettra une décrispation des relations entre les deux pays et surtout si l’émissaire de l’Administration Trump pourra attendrir « l’imperator » camerounais dont la réputation de ne pas faire de quartier à ses adversaires, n’est pas surfaite.
Le diplomate américain a du pain sur la planche
Surtout ses opposants politiques dont le sort est d’être invariablement condamnés au bagne, à la moindre occasion. Ce n’est pas Maurice Kamto, le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), qui dira la contraire; lui qui continue de revendiquer la victoire à la présidentielle d’octobre dernier et qui a été, au détour d’une manifestation, interpellé en fin janvier dernier avec certains de ses proches et envoyé au gnouf, en attendant d’être fixé sur son sort devant la Justice de son pays qui l’a formellement inculpé pour « rébellion », « insurrection » et « hostilité contre la patrie ». Quant à la question anglophone, la position de l’homme fort du Cameroun est connue, lui qui n’adhère pas aux idées sécessionnistes de ses compatriotes dont il n’est pas loin de considérer le comportement comme de la subversion qui mérite d’être traitée avec autant de fermeté. C’est dire si le diplomate américain a du pain sur la planche, d’autant que son pays s’est clairement prononcé contre la violence et la restriction des libertés exercées sur les leaders anglophones tout en invitant les parties à « engager un dialogue pour une résolution pacifique et durable » de la crise.
Cela dit, si l’on peut se réjouir que les Américains, connus pour ne pas faire dans la langue de bois, s’intéressent au cas du Cameroun, l’on peut aussi se demander ce que l’on peut attendre de la visite de Tibor Nagy, puisque c’est de lui qu’il s’agit, chez Paul Biya. Qu’est-ce qui va changer dans le quotidien des Camerounais, toujours sous la férule d’un président au pouvoir depuis plus de trois décennies et qui a verrouillé le système au point que l’alternance apparaît aujourd’hui encore comme une ligne d’horizon? Réussira-t-il à faire bouger les lignes dans le sens souhaité par Washington ? L’on attend de voir. Car, autant le pays de l’oncle Sam a la réputation de savoir se donner les moyens de parvenir à ses fins, autant Paul Biya s’est souvent montré égal à lui-même en se donnant les moyens de sa politique vis-à-vis de ses compatriotes qu’il tient visiblement par la barbichette, alors que lui-même est vraisemblablement assis sur une véritable dalle renfermant de mauvaises pratiques, dans un pays où la corruption semble érigée en mode de gouvernance.
On peut se demander si le diplomate américain ne perd pas son temps en voulant discuter de sujets qui fâchent
A la vérité, Paul Biya a su s’imposer en maître absolu à ses compatriotes qui semblent aujourd’hui gagnés par la résignation, en attendant sans nul doute que la nature fasse son œuvre. Et personne, aujourd’hui, ne peut, contre lui, lever le petit doigt dans son pays, sans s’attirer ses foudres.
Cela dit, suite à cette visite du diplomate américain, faut-il s’attendre à un élargissement prochain des prisonniers politiques, dont l’emblématique Maurice Kamto dont le cas suscite de vives réactions jusqu’au-delà des frontières de son pays ? Rien n’est moins sûr. Et en dehors des intérêts de son pays, l’on peut se demander si le diplomate américain ne perd pas son temps en voulant discuter de sujets qui fâchent comme la question anglophone et celle des prisonniers politiques, avec le vieux dirigeant camerounais qui semble avoir déjà son idée arrêtée. Mais comme la diplomatie a ses raisons que la raison du citoyen lambda ignore, il faut espérer qu’en dépit de tout, la visite de l’émissaire de la Maison Blanche permettra de mettre fin à cette brouille qui ne dit pas son nom, entre Washington et Yaoundé et de faire bouger les lignes dans le sens de la décrispation de l’atmosphère sociopolitique viciée, entre autres, par deux ans de crise dans la région anglophone, qui demeure une grosse épine dans le pied du pouvoir de Yaoundé. Une crise qui s’est enlisée au point de se transformer en conflit armé. On croise les doigts car il y va de la paix sociale au Cameroun.
« Le Pays »