PRESIDENTIELLE MAURITANIENNE:Le jeu trouble de la France
En Mauritanie, alors que l’opposition conteste les résultats de la présidentielle du 22 juin dernier au point de saisir le Conseil constitutionnel aux fins d’annuler ledit scrutin, la France s’est empressée de saluer la victoire du candidat du pouvoir, le Général à la retraite Mohamed Ould Ghazouani, proclamé vainqueur par la Commission electorale nationale indépendante (CENI) dès le premier tour. L’on peut s’interroger sur cette précipitation suspecte de l’Hexagone qui n’en est pas à sa première du genre, à féliciter un candidat dont la victoire est contestée.
En effet, deux candidats de l’opposition ont déposé, le 25 juin devant le Conseil constitutionnel, un recours visant à obtenir l’annulation des procès-verbaux dans beaucoup de bureaux de vote, notamment à Nouakchott et dans plusieurs autres grandes villes du pays.
Cette sortie de la France a pour effet de jeter de l’huile sur le feu
Si l’on ne connaît pas l’agenda caché de la France en Mauritanie à travers cette sortie, l’on sait, en tout cas, que cette dernière protège plus ses intérêts que ceux des populations. En effet, cette sortie a pour effet de jeter de l’huile sur le feu, surtout que le pouvoir a déjà commencé à bander les muscles.
En effet, des arrestations de plusieurs opposants et de manifestants contestant les résultats de l’élection, ont été opérées tandis que la police a mis sous scellés les permanences de quatre candidats, en l’occurrence Birham Dah Abeid et Kane Hamidou Baba qui accusaient les forces de l’ordre d’avoir saccagé leur QG en marge d’échauffourées intervenues dimanche dernier avec des militants mécontents. Internet a même été coupé dans le pays ; toute chose qui n’a pas manqué de susciter des inquiétudes de l’ONG Amnesty International qui estime que « c’est une violation claire du droit à la liberté d’expression » et cela, dans un contexte post-électoral où « il est important, alors que l’opposition conteste les résultats de ces élections, que chacun puisse s’exprimer librement, s’organiser librement et pour cela, il faut qu’il y ait un accès libre à internet». Cette répression révèle la nature réelle du régime mauritanien qui n’est rien d’autre qu’une dictature militaire qui gère le pays depuis 2008.
Par ailleurs, la reconnaissance par Paris, de la victoire du Général Ghazouani, constitue une sorte d’appel à la démobilisation des militants de l’opposition qui, malgré la mise en garde faite par le pouvoir de réprimer toute manifestation, entendent descendre dans la rue pour protester contre les fraudes massives qui ont émaillé l’élection et réclamer par conséquent, son annulation pure et simple.
Cela dit, si les élections, comme on le dit, permettent d’évaluer l’état de santé de la démocratie dans un pays, l’on peut dire que le bilan de santé dressé par le scrutin du 22 juin, est négatif. En effet, nonobstant les fraudes dénoncées par l’opposition, la violence du fait de la répression, n’est qu’une tentative de musellement des populations face au passage en force que veut opérer le pouvoir qui avait déjà préparé les esprits avec l’auto-proclamation de la victoire faite par le dauphin du président sortant au Palais des Congrès à Nouakchott, avant même que la CENI n’annonce les résultats.
Il est grand temps que la France change son fusil d’épaule
En tout état de cause, ce scrutin entaché de fraudes et de violences, vient ternir la beauté de l’alternance démocratique à laquelle s’était soumis le futur ex-président, Mohamed Ould Abdel Aziz et vendanger tout l’héritage démocratique qu’il pouvait laisser à la postérité. L’on ne peut donc que nourrir des inquiétudes pour l’avenir de la démocratie en Mauritanie. Quant au président entrant, l’on peut dire qu’il entame de fort mauvaise manière, son mandat.
Tout autre chose qu’il faut dénoncer dans ce scrutin qui a viré au drame, ce sont les accusations xénophobes faites à l’encontre de certaines communautés étrangères vivant en Mauritanie. En effet, le ministre mauritanien de l’Intérieur, Ahmed Ould Abdallah, a évoqué des « tentatives de déstabilisation du pays » par « une main étrangère venue des pays voisins » et a convoqué, en lien avec ces accusations, les ambassadeurs du Sénégal, de la Gambie et du Mali. Sans balayer du revers de la main ces accusations, l’on ne peut cependant qu’y voir des manœuvres de diversion destinées à détourner l’attention de l’opinion intérieure mauritanienne, d’un scrutin chaotique.
Cela dit, tout en déplorant la fuite de responsabilités des autorités mauritaniennes, qui consiste à rejeter ses propres fautes sur les étrangers, il faut condamner ces accusations qui peuvent compromettre dangereusement la cohésion dans une région déjà en proie à des attaques terroristes et à des conflits communautaires.
Quant à la France, l’on ne peut que lui demander de « quitter dans ça » pour reprendre cette expression bien connue des Ivoiriens. Car, ses prises de position sur les questions intérieures des pays africains, sont très souvent aux antipodes de la promotion de la démocratie. Il est donc grand temps, au regard du sentiment anti-français qui se développe sur le continent, qu’elle change son fusil d’épaule.
« Le Pays »