MUNICIPALES AU TOGO
Le 30 juin, les Togolais se sont rendus aux urnes dans le cadre des élections municipales. L’enjeu est de choisir les hommes et les femmes qui auront en charge la gestion des exécutifs locaux. 117 communes sont à pourvoir et 177 adjoints sont à élire. Pour un scrutin historique, c’en est véritablement un. En effet, depuis 1987, date à laquelle le Togo a opté pour la démocratie multipartite, aucune élection municipale n’a été tenue dans ce pays, qui traîne la réputation d’être une dictature. En tout cas, ce genre de scrutin était le cadet des soucis de Gnassingbé père. Et le fils qui est aux affaires du pays depuis 2005 et qui entend y rester jusqu’en 2025, au moins, puisqu’il a tripatouillé la Constitution dans ce sens, n’est pas loin de s’inscrire dans le paradigme politique de son géniteur. La seule différence est que le fils, après 14 ans de règne, vient de permettre à ses concitoyens de se choisir des représentants dans les urnes pour asseoir les exécutifs locaux. Pour un pays comme le Togo, véritable cancre de la démocratie en Afrique de l’Ouest, ces élections sont, en soi, peut-on dire, une petite avancée démocratique. Mais l’on peut se demander pourquoi c’est maintenant que le pouvoir togolais a décidé de traduire dans les faits, la démocratie multipartite au niveau des municipales. L’on peut se risquer à avancer quelques éléments de réponse. D’abord, Faure Gnassingbé veut donner l’impression, en organisant ce scrutin, qu’il est en phase avec les dernières réformes politiques et constitutionnelles. Et tout le monde sait que celles-ci ont été taillées à sa mesure. La preuve, parmi tant d’autres, est que ces réformes ouvrent, entre autres, un boulevard pour lui pour se maintenir au pouvoir jusqu’en 2025 et même au-delà. Dès lors, rien ne lui coûte de concéder à l’opposition, la gestion de quelques municipalités. Faure peut d’autant plus lui concéder cela qu’il a déjà, dans son escarcelle, l’écrasante majorité des députés à l’Assemblée nationale.
L’union sacrée qui prévalait dans l’opposition et qui l’avait conduite à boycotter les législatives, a volé en éclats
Bref, ces municipales se tiennent à un moment où Faure peut se permettre le luxe de voir des mairies sous le contrôle de l’opposition. La deuxième raison qui peut expliquer pourquoi c’est maintenant que le pouvoir togolais a décidé de la tenue des municipales, est la suivante : Faure est aujourd’hui sous la pression de la communauté internationale et de celle de ses pairs des pays de la sous-régions. Ces derniers, en particulier, ont dû peser de leur poids pour le convaincre de jouer à l’apaisement. Et les municipales peuvent être un des moyens pour atteindre cet objectif. Ce but est en passe d’être atteint puisque tous les partis de l’opposition ou presque, prennent part au scrutin. Dès lors, Faure Gnassingbé peut boire son petit lait. La troisième et dernière raison peut relever d’une stratégie de sa part, pour diviser l’opposition. Et là aussi, on peut dire qu’il a réussi son coup. En effet, l’union sacrée qui prévalait dans l’opposition et qui l’avait conduite à boycotter les législatives, a volé en éclats à l’occasion de ces municipales. Le PNP (Pari national panafricain) de Tikpi Atchadam, figure de proue du soulèvement populaire qui secoue le pays depuis plus d’un an, persiste et signe dans sa volonté de ne pas prendre part aux élections tant que le président Faure, au pouvoir depuis 2005, ne se décidera pas à débarrasser le plancher en 2020. Cette exigence est loin d’être partagée par ses camarades de la C-14, du nom de la coalition politique qui s’était dressée pendant plus d’un an pour mettre un terme au règne des Gnassingbé. Désormais, on peut dire que Tikpé Atchadam mène un combat solitaire. En tout cas, Jean-Pierre Fabre, pour avoir pris part à ces municipales, semble, lui, avoir mis de l’eau dans son vin. Car, le fait même que son parti participe au scrutin, peut être décrypté comme une façon pour lui de valider les recommandations des réformes politiques et institutionnelles qui viennent d’être opérées.
L’un des moyens les plus utilisés au Togo, est la fraude électorale
Et une de ces recommandations est justement l’organisation des municipales. L’autre recommandation est que Faure Gnassingbé peut demeurer à son poste jusqu’en 2025, voire 2030. De ce point de vue, l’homme le plus heureux aujourd’hui au Togo, est le président Faure. Et quels que soient les résultats qui sortiront des urnes à l’occasion de ces municipales, Faure ne tremblera pas. Car, ce qui l’intéresse le plus, c’est la présidentielle qui se profile à l’horizon. Mais de là à croire qu’il peut cracher sur le contrôle des principales communes du pays, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. En effet, les pouvoiristes sont ainsi faits qu’ils ont l’art de tout accaparer dans leur pays. Et pour atteindre leur objectif, tous les moyens sont bons. L’un des moyens les plus utilisés au Togo, est la fraude électorale. Et c’est pour cette raison, on peut dire, que l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), et la Commission épiscopale nationale justice et paix, n’ont pas été autorisées à prendre part à l’observation du scrutin. Et le motif invoqué pour les récuser peuvent faire sourire. En effet, pour le ministre de l’Administration territoriale, leurs sources de financement pour mobiliser 300 observateurs, ne sont pas connues. Le ministre leur reproche par ailleurs de rouler pour l’opposition. La réalité est que le pouvoir redoute l’œil de l’Eglise. Et ce qui vient de se passer en RDC, est suffisamment édifiant pour que Faure refuse de voir les hommes de Dieu chercher à voir clair dans le déroulement des municipales. Par contre, il peut s’accommoder des autres observateurs. Car, la plupart d’entre eux ont d’autres chats à fouetter que de s’occuper de la transparence du scrutin. En tout cas, en renvoyant l’Eglise catholique à ses ouailles, Faure prend le risque de jeter un discrédit sur ces municipales. Déjà, on peut les considérer comme une sorte de vernis démocratique. On peut, en effet, les lire comme une tentative de rattrapage et de séduction du pouvoir vis-à-vis de l’opposition et de la communauté internationale. Certes, les municipales sont importantes dans un pays, mais dans le cas du Togo, elles ne suffiront pas pour donner un satisfécit démocratique à l’opinion internationale. Et l’on peut prendre rendez-vous pour la présidentielle de 2020 pour davantage apporter la preuve que Faure est loin d’être un démocrate.
« Le Pays »