COTE D’IVOIRE
S’il y a une question politique majeure aujourd’hui en Côte d’Ivoire et dont la réponse ne peut être apportée que par Alassane Dramane Ouattara (ADO), c’est celle de savoir si oui ou non ce dernier briguera un troisième mandat en 2020. Eh bien, depuis ce 30 novembre, l’homme a bien voulu lever un coin du voile sur la question. Il sera candidat si et seulement si ceux de « sa génération » le sont aussi. Ces propos ont été tenus lors de son voyage d’Etat dans la région du Hambol (à Katiola à 55 km au Nord de Bouaké) et repris en des termes à peine voilés à Dakar, à l’occasion du sommet extraordinaire de l’UEMOA. Le message ne souffre d’aucune ambiguïté ! Si ses traditionnels rivaux, pour ne pas dire ennemis, que sont Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo se positionnent pour la reconquête du palais de Cocody, l’enfant de Kong en fera pareillement. Et revoici la Côte d’Ivoire suspendue à la seule volonté des trois illustres papys. Le scénario de 2010 se profile à l’horizon, puisque tous sont convaincus que sans eux, la Côte d’Ivoire n’existerait pas ou du moins s’écroulerait. Et dans cette conviction digne de l’époque des pères fondateurs, ils sont hélas, encouragés, de manière dogmatique, par leurs partisans respectifs.
Quand la lutte politique devient une lutte de personnes, la Nation court le risque d’en payer l’addition
En effet, les militants du RDR (Rassemblement des Républicains) ne jurent que par leur champion Ouattara. Au PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire), seule la parole du Sphynx de Daoukro, est digne d’écoute. Le FPI (Front populaire ivoirien) n’est pas en reste, puisqu’au sein de ce parti aussi, seul l’évangile selon Saint Laurent, est recevable. Et depuis que Houphouët Boigny n’est plus de ce monde, la Côte d’Ivoire ne respire que par les narines des trois. Et quand leurs intérêts sont en jeu, ils sont capables d’opérer des alliances et autres pirouettes susceptibles de provoquer des migraines chez les analystes politiques. Ainsi a-t-on d’abord assisté à l’alliance Gbagbo-Ouattara contre Bédié, puis à l’alliance Ouattara-Bédié contre Gbagbo. Aujourd’hui, c’est Bédié et Gbagbo qui convolent en justes noces, unis par le seul désir de déloger Ouattara du palais de Cocody. De ce point de vue, l’on peut dire que l’alternance en Côte d’Ivoire est piégée par les ego de ces trois papys. Et pour revenir aux propos tenus par Alassane Ouattara, l’on peut s’arrêter sur trois points. Le premier est le fait de conditionner sa candidature à celles de ses deux rivaux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette conditionnalité est malsaine. Il aurait été plus élégant s’il avait raisonné en termes de projet de société et de programme politique pour la Côte d’Ivoire plutôt qu’en termes d’individus. En personnalisant ainsi une question aussi capitale que celle liée à sa propre succession, Ouattara donne raison à tous ceux qui pensent que son souci majeur est d’user de tous les moyens pour empêcher ses deux rivaux de reconquérir le palais de Cocody. Mais de quoi a peur ADO ? En tout cas, quand la lutte politique devient une lutte de personnes, la Nation court le risque d’en payer l’addition. La Côte d’Ivoire en a tellement souffert de par le passé, qu’elle doit avoir l’intelligence et la sagesse de tourner cette page. En réalité, ADO a aujourd’hui la rancune tenace à la fois contre Gbagbo et contre Bédié. Ces derniers sont également dans cette logique. Pour ceux du gbagboland, il s’agit de faire payer à l’enfant de Kong, son « imposture » de 2010 et le fait qu’il a humilié à leurs yeux, leur mentor en le traînant devant la CPI (Cour pénale internationale).
On peut se demander ce que vaut la légalité sans la légitimité
Et chaque jour que Dieu fait, ils le martèlent à qui veut les entendre dans l’attente du « match retour » pour se venger. Quant aux partisans de Bédié, ils ne décolèrent pas du fait qu’Alassane Ouattara ne leur à pas retourné l’ascenseur en faisant en sorte qu’un des leurs accède au palais de Cocody en 2020. Et l’on peut avoir l’impression que c’est pour cette raison essentielle que Bédié veut redescendre dans l’arène pour croiser le fer contre son ancien et ingrat allié. Le deuxième point du discours de Ouattara sur lequel on peut s’arrêter, est le suivant : Ouattara a reconnu lui-même que son temps ainsi que celui de ses deux rivaux sont passés. Et de suggérer, de ce fait, qu’ils se mettent tous les trois de « côté ». On peut lui rendre hommage pour cet aveu. Seulement, l’on peut lui faire le reproche de n’avoir rien fait pour éviter cela. Il aurait fallu pour cela qu’il ne sautât pas le verrou de la limitation d’âge dans la nouvelle Constitution. C’est pourquoi l’on peut dire qu’il est le seul responsable du retour des papys sur le devant de la scène politique ivoirienne. Qu’il assume donc toutes les conséquences politiques de son acte.Le troisième et dernier point qui découle de ses propos, se rapporte à la légitimité de sa candidature. Au plan de la légalité, il est dans son bon droit. Mais l’on peut se demander ce que vaut la légalité sans la légitimité. Et ce sera vraiment dommage de voir la Côte d’Ivoire succomber à la tentation du 3e mandat, après la Guinée de Alpha Condé alors que la tendance générale en Afrique de l’Ouest est à la limitation des mandats présidentiels à deux. Le malheur n’arrive pas qu’aux autres. De ce point de vue, et pour autant qu’il veuille que ses compatriotes retiennent de lui l’image d’un bâtisseur et d’un républicain, ADO doit être capable aujourd’hui de sublimation. Et cela passe d’abord par un renoncement solennel de sa part à un troisième mandat. C’est seulement à ce prix qu’il apportera la preuve qu’il n’est pas un pouvoiriste et que le temps des papys est passé.
« Le Pays »