ECHEC DES NEGOCIATIONS DE GENEVE SUR LA LIBYE
D’où viendra le salut du peuple libyen ? Bien malin qui saurait répondre à cette question, tant de Paris à Genève en passant par Moscou, Berlin, Brazzaville et Munich, les rencontres se multiplient, à la recherche d’une hypothétique solution de sortie de crise sans que la situation de belligérance sur le terrain n’évolue vers un dépôt des armes. Le dernier rebondissement en date est la suspension, le 18 février dernier, de la participation aux discussions de la capitale helvétique, du Gouvernement d’union nationale basé à Tripoli, qui accuse le maréchal Haftar, l’homme fort de l’Est, de violation répétée de la trêve. En rappel, suite à de nombreux appels dont celui de l’ONU, un cessez-le-feu était entré en vigueur en janvier dernier, mais il est peu respecté par les parties au conflit. Comment pouvait-il en être autrement quand ceux-là qui appellent à une accalmie, sont les mêmes qui continuent de fournir des armes et des combattants aux belligérants, en violation flagrante de l’embargo qui frappe le pays ?
Moins que la volonté des protagonistes, ce sont les intérêts en jeu des grandes puissances qui constituent un frein au retour de la paix
Comment aussi expliquer l’impuissance apparente de l’ONU, incapable de taper fermement du poing sur la table face à cette violation de l’embargo si ce n’est que ceux qui y ont le plus voix au chapitre, sont les mêmes qui rivalisent d’influence en Libye par belligérants interposés ? Au passage, on peut se demander ce que vaut aujourd’hui la voix de l’ONU dans ce conflit libyen, quand on voit comment elle peine aussi à se faire entendre des belligérants. C’est pourquoi l’on est porté à croire que tant que perdurera cette hypocrisie des grandes puissances, la paix, en Libye, restera un mirage. Car, tout laisse penser que le crépitement des armes au pays de Kadhafi dont les Occidentaux continuent de porter la mort sur la conscience, arrange bien des affaires. Ce n’est pas pour rien que des Etats-Unis à la France en passant, entre autres, par la Russie, chacune des grandes puissances a pris partie pour l’un ou l’autre des camps et que la Turquie de Erdogan a récemment joué des coudes pour se faire une place autour de la table dans le but d’avoir aussi sa part du gâteau. C’est à se demander même si l’intrusion d’Ankara n’a pas contribué à complexifier davantage l’équation et à aggraver la situation. En tout cas, il était difficile d’imaginer le maréchal Haftar rester les bras croisés face à l’activisme du maître d’Ankara qui, après avoir obtenu, en un tour de main, le feu vert de son Parlement pour justifier une intervention en Libye, s’est empressé de matérialiser son soutien au Gouvernement de Tripoli par l’envoi de combattants. C’est dire si dans cette crise libyenne, il y a des raisons de croire que moins que la volonté des protagonistes, ce sont les intérêts en jeu des grandes puissances qui constituent un frein au retour de la paix. Autrement, comment comprendre que face à une telle situation d’urgence, qui appelle logiquement à une solution d’urgence, on se perde en réunions de conciliation qui ne font véritablement pas bouger les lignes ? Pendant ce temps, des accords sont signés mais le cessez-le-feu est constamment violé par les belligérants et l’embargo n’est pas respecté par leurs parrains.
On peut regretter que Haftar et Sarraj n’aient pas pu s’asseoir à deux autour d’une table pour se parler directement
C’est dire si dans ce conflit libyen où le manque de sincérité des protagonistes le dispute à l’hypocrisie des grandes puissances, l’on est bien parti pour ne pas trouver de solution à court ou moyen terme. Déjà, on ne parle même plus d’élections, et cela ne semble gêner personne. De quoi être gagné par le pessimisme quant à l’aboutissement d’une solution négociée, tant que la situation se traduira par un équilibre des forces sur le terrain. Mais à qui profite le fait que la Libye soit aujourd’hui dans l’impasse ? Certainement pas au peuple libyen qui souffre le martyre d’une guerre fratricide qui n’en finit pas de se prolonger et de faire des victimes au sein des populations.
En tout état de cause, ce qui arrive n’est pas vraiment surprenant. Mais maintenant que l’une des parties au conflit, en l’occurrence le Gouvernement de Tripoli, a claqué la porte des discussions, l’on peut s’interroger sur les conséquences d’une telle défection. Faut-il s’attendre à une recrudescence des hostilités sur le terrain ? Que va faire la communauté internationale face à la nouvelle donne, pour éviter l’enlisement, pour autant qu’elle n’agisse pas seulement pour se donner bonne conscience ? L’histoire le dira. En attendant, on peut regretter que le maréchal Haftar et le Premier ministre Sarraj-El-Fayez n’aient pas pu, jusqu’ici, s’asseoir à deux autour d’une table pour se parler directement. Peut-être la solution viendra-t-elle des Libyens eux-mêmes !
« Le Pays »