UN PRESUME GENOCIDAIRE RWANDAIS DEVANT LA JUSTICE INTERNATIONALE
Il souhaitait être jugé en France mais la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, en a décidé autrement. Arrêté le 16 mai dernier, celui qui est présenté comme le financier du génocide rwandais, Filicien Kabuga, puisque c’est de lui qu’il s’agit, sera remis au Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI) à défaut de le transférer à Kigali. C’est du moins ce que souhaitaient les victimes du génocide qui redoutaient que jugé en France, Félicien Kabuga ne bénéficie, à l’instar de Wenceslas Munyeshyaka, d’un non-lieu. Pour rappel, Félicien Kabuga est poursuivi pour sept chefs d’accusations dont génocide et crimes contre l’humanité. Parti de rien pour devenir l’homme le plus riche du Rwanda à la fin de la décennie 80, Félicien Kabuga avait mis son immense fortune à contribution non pas pour être utile à ses compatriotes, mais plutôt pour désosser son pays déjà plusieurs fois victime de morsures de l’histoire, en s’impliquant activement dans la fondation et le financement de la tristement célèbre Radio des mille collines qui diffusait ad nauseam, l’idéologie suprématiste des extrémistes hutus, selon laquelle les autres ethnies et, en l’occurrence les Tutsis, sont de catégorie inférieure et ne méritent pas autre chose que la mort. Malheureusement, le président rwandais d’alors, Juvénal Habyarimana, avait fini par croire à la réalité des fariboles chantées et dansées par ses flagorneurs jusqu’au-boutistes de la pire espèce, et ce qui devait arriver arriva à partir d’avril 1994, avec la mort de près d’un million de Tutsis et de Hutus modérés, suite à l’attentat qui a coûté la vie au président le 6 avril de la même année.
La France voudrait se donner bonne conscience et solder les comptes…moraux avec le Rwanda
Félicien Kabuga, qui se retrouve aujourd’hui dans les filets de la Justice internationale, aurait importé, quelques mois plutôt, des machettes en quantité suffisante pour équiper un homme hutu sur trois, en vue de la perpétration du pogrom. C’est donc certainement avec un énorme soulagement que les survivants de cette tuerie de masse et les parents des victimes, ont accueilli la nouvelle de l’arrestation de celui dont on se souvient encore du regard goguenard et de la douceur assassine quand il parlait de la situation sur le terrain, même si rien n’indique, au regard de son âge, qu’il va effectivement payer pour ce qu’il a fait. Quoi qu’il arrive, le fait de savoir que l’un des metteurs en scène de la plus grande tragédie de l’histoire contemporaine africaine, est entre les mains de la Justice, est déjà un motif de consolation pour les parties civiles, en attendant que, Augustin Bizimana n’étant plus de ce monde, une autre tête de gondole du génocide qu’est Protais Mpiranya, toujours en fuite, ne prenne, lui aussi, toute la mesure des propos de l’Ecclésiaste selon lesquels « Vanités des vanités, tout est vanité » ici-bas. Avec l’arrestation de son comparse Félicien Kabuga, Protais Mpiranya a désormais le sommeil léger, surtout quand il sait que même la France, qui n’est pas exempte de reproche dans les actes qu’elle a posés avant et pendant le génocide, a décidé, au nom de la réconciliation scellée avec le Rwanda en 2010 après des années de brouille, d’exécuter le mandat d’arrêt international assorti d’une ordonnance de transfert qui enjoint à tous les Etats membres de l’ONU, de rechercher, d’arrêter, de transférer et de traduire tous les accusés de génocide en fuite devant les tribunaux. C’est, en tout état de cause, un pas de plus vers la reddition des comptes pour tous ces présumés assassins qui semblaient trouver en la France, une terre d’asile, malgré les nombreuses notices rouges d’Interpol qui les concernent. Reste à savoir si l’Hexagone est décidée à tourner définitivement la page de la discorde avec le Rwanda par rapport au génocide, car, si Félicien Kabuga a peut-être servi de mouton de sacrifice dans la normalisation en marche des relations entre les deux pays, il ne faudrait pas oublier qu’il y a encore quelques obstacles à lever, notamment la présence sur le sol français, très décriée par Kigali, de la veuve du président Habyarimana qui vit en région parisienne depuis l’assassinat de son mari. Même si l’arrestation de cette dernière et son extradition comme le souhaite le Rwanda, ne sont certainement pas pour demain, des présumés génocidaires toujours terrés en France pourraient, comme Félicien Kabuga en fin de semaine dernière et Pascal Simbikangwa en 2009, passer, eux, à la trappe, non seulement à cause des mandats d’arrêt qui pèsent sur eux, mais aussi et surtout parce que la France voudrait enfin se donner bonne conscience et solder les comptes…moraux avec le Rwanda après son soutien avéré au gouvernement intérimaire qui a organisé et planifié les massacres qui ont ému et révolté le monde entier, au milieu de la décennie 90.
« Le Pays »