30 ANS DE POUVOIR DU PRESIDENT TCHADIEN
Le 1er décembre dernier, le Maréchal-président Idriss Deby Itno a fêté ses 30 ans de règne au Tchad. On aurait cru à un conte pour enfant si l’on n’était pas en Afrique centrale, la mare aux dictatures du continent où se prélassent encore de vieux sauriens comme Paul Biya, Yoweri Museveni ou Denis Sassou Nguesso. Parvenu au pouvoir en 1990 en renversant le régime de Hissène Habré, il s’est successivement fait élire à la tête de l’Etat en 1996, 2001, 2006, 2011 et 2016 où il obtiendra le score soviétique de 88 %. Mais si l’homme a fait preuve d’un génie politique exceptionnel en s’accrochant 30 ans durant au fauteuil présidentiel, il n’en est pas de même pour sa gouvernance du pays. En effet, sans verser dans le nihilisme, l’on peut qualifier de chaotique son bilan de 30 ans de pouvoir. Sur le plan politique, la stabilité politique que laissait espérer la prise du pouvoir d’Idriss Deby, n’a pas été au rendez-vous.
La démocratie est un vain mot dans cet Etat policier
Confronté depuis son accession au pouvoir à de fréquentes attaques de nombreux mouvements rebelles issus des ethnies du Nord et utilisant soit le Soudan ou la Libye comme bases-arrières, l’homme qui s’est affublé du titre, à la limite ubuesque, de Maréchal à l’occasion de la célébration du 61e anniversaire de l’indépendance du Tchad, verra le tableau de l’instabilité politique de son pays s’assombrir davantage avec les attaques terroristes de Boko Haram qui se sont élargies progressivement à partir du Nigeria pour englober tout le bassin du lac Tchad. Ces menaces extérieures sont venues conforter le caractère impitoyable de cet homme qui, comme un ogre, s’est repu du sang de ses opposants politiques dont celui d’ lbni Oumar Mahamat Saleh dont la disparition au lendemain de l’attaque rebelle sur N’Djamena, reste à ce jour inexpliquée. Dans un tel contexte, la démocratie est un vain mot dans cet Etat policier où toutes les manettes du pouvoir sont tenues par les membres du clan Deby dont le rêve politique n’est autre que de fonder une dynastie. Sur le plan de la gouvernance économique, la principale caractéristique de ces 30 ans de règne du dictateur, aura été le manque de vision politique enveloppé dans un épais brouillard de détournements de deniers publics, de corruption et de népotisme. La preuve de cette myopie du régime Deby dans la gouvernance économique du pays, est que le Tchad a peiné, ces dernières années-ci, à payer ses fonctionnaires et ce malgré la manne pétrolière qui a embelli pendant longtemps les recettes de l’Etat. La conséquence en est que la plupart des Tchadiens croupissent dans la misère en plus de subir les frasques à répétition d’une aristocratie sclérosée au pouvoir et dont les mœurs se sont dépravées au fil du temps ; en témoigne l’affaire Zouhoura, du nom cette lycéenne violée par deux des fils des dignitaires du régime au pouvoir. Mais Idriss Deby n’est pas le seul coupable de ce sombre bilan. Il a bénéficié de nombreuses complicités parmi lesquelles figure en pôle position la France. Malgré les distances prises avec les libertés démocratiques, le Maréchal-président a toujours eu l’appui de l’Hexagone dont les troupes ont toujours volé à son secours.
Le dictateur est encore candidat à sa propre succession
La dernière illustration en date, est l’intervention de la force Barkhane pour stopper la menace de la colonne de pick-ups venant du Sud libyen en février 2019. Au nombre aussi des complicités, il faut citer l’élite intellectuelle tchadienne qui a totalement abdiqué de ses responsabilités pour s’inféoder au régime et pressurer les Tchadiens déjà éprouvés par les conditions naturelles de leur pays. C’est en raison de tout cela, qu’il y a lieu de croire qu’il faut désespérer du Tchad dont les populations asphyxiées ne montrent malheureusement plus aucun signe de résistance face à l’oppression du régime Deby. Le pire reste cependant la ligne incertaine de l’avenir. L’on sait, en effet, que le dictateur dont le rêve est de mourir au pouvoir, est encore candidat à sa propre succession à l’occasion de la prochaine élection présidentielle d’avril 2021. Même si, officiellement, il ne l’a pas encore annoncé, l’agitation que l’on remarque dans son environnement, ne trompe guère puisque le même schéma a été vu ailleurs à maintes reprises. En effet, des formations politiques et des associations de la société civile appellent l’homme fort de N’Djamena à se représenter, estimant qu’il est le seul Tchadien capable de réunir ses compatriotes et que c’est grâce à lui que le « Tchad s’est hissé en pays respecté et respectable dans le monde avec une diplomatie florissante et dynamique ». Ce n’est donc pas demain la fin de la descente aux enfers des Tchadiens. En plus de souffrir déjà le martyre, il faut désormais vivre avec l’angoisse de l’inévitable chaos qui accompagne la fin des longs règnes. Et au Tchad, la menace de cette fin apocalyptique est plus que réelle car la genèse de cet Etat s’est déroulée à l’ombre de la guerre civile. Le pays, en un peu plus de 60 ans, a connu pas moins de deux guerres civiles et il faut craindre que les vieux démons qui ne sommeillent que d’un seul œil dans le désert, ne refassent, à l’occasion, leur réapparition.
« Le Pays »