AN II DU « JEUDI NOIR » AU TCHAD : Tout ça pour le pouvoir
Il y a deux ans quasiment, jour pour jour, qu’un linceul de deuil enveloppait le Tchad, avec un bilan officiel effroyable d’une cinquantaine de morts enregistrés suite à la violente répression de la manifestation organisée par l’opposition pour dénoncer le refus de la junte dirigée par Mahamat Deby Itno, de respecter la durée de la Transition initialement fixée à 18 mois. Au Tchad, ce jeudi 20 octobre 2022 passera à la postérité comme le jour où le Peul (parenté à plaisanterie) a pété au marché du village : inoubliable ! Pour mémoire, des centaines de personnes ont été, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, soit criblées de balles, soit blessées, soit arrêtées et déportées au bagne sordidement célèbre de Koro Toro, en plein désert, où elles ont été jugées à huis clos et sans avocat, puis condamnées à la prison ferme pour la majorité d’entre elles. Pendant ce temps, dans la capitale Ndjamena, une battue avait été organisée par les forces de l’ordre pour retrouver et appréhender les leaders de l’opposition dont les quartiers généraux avaient été vandalisés et incendiés. Le plus illustre des pourfendeurs du régime de la Transition, Succès Masra, avait, lui, réussi étonnamment à passer entre les mailles du filet en sortant du pays par la fenêtre, avant d’y revenir quelques mois plus tard par la grande porte avec sa nomination au poste de Premier ministre, chef du gouvernement. Cette promotion, qui est le fruit de tractations souterraines pour calmer la tension politique, n’effacera pas pour autant les taches sanglantes et indélébiles laissées au sol ce « jeudi noir », dont les auteurs (policiers et militaires) ont été amnistiés par celui à qui le crime a profité, Mahamat Deby en l’occurrence. Tout ça pour le pouvoir ! Est-on tenté de s’exclamer ?
Ce n’est pas sur le président actuel seul qu’il faudra compter pour remettre le pays sur les rails de la démocratie.
Ce Tartarin de Tarascon qui, à sa prise du pouvoir, promettait de garantir les libertés individuelles et collectives indispensables au bon exercice de la démocratie, s’est révélé être d’une brutalité à vous glacer le sang, et d’une extraordinaire aptitude à duper la communauté internationale afin d’obtenir son indulgence et de pouvoir ainsi couvrir de légitimité, sa nudité de putschiste. En clair, on a là plusieurs catastrophes en une, et même si la situation du Tchad n’est pas encore comparable à la Corée du Nord, il est évident que ce n’est pas sur le président actuel seul qu’il faudra compter pour remettre le pays sur les rails de la démocratie libérale. Malheureusement, le risque est grand de voir la lassitude des Tchadiens, couplée à la lâcheté des leaders de l’opposition politique, ouvrir, si ce n’est déjà fait, le boulevard de la dictature à Mahamat Deby, qui semble suivre, pas à pas, le chemin tracé par son prédécesseur et défunt père. De toute façon, rien, a priori, ne va l’en empêcher, d’autant qu’il n’a même plus besoin de sortir l’artillerie lourde pour contraindre ses opposants à baisser la tête depuis que le plus emblématique d’entre eux, a passé le sacrifice de ses militants par pertes et profits, pour ne pas dire depuis qu’il s’en est servi pour construire les marches de l’escalier qui l’ont mené au Premier ministère. Le fait que l’opposition a dénoncé les irrégularités de la dernière présidentielle et la façon dont le président élu dirige le pays, n’enlève rien au fracas honteux de la culpabilité que ses leaders devraient ressentir, après la traque et les rafles dont ses militants ont été victimes depuis le début de la Transition. Et comme justice ne leur a pas été rendue, on peut dire sans risque de se tromper que chez beaucoup de militants de cette opposition, c’est la bérézina et le désespoir de voir la situation politique de leur pays, évoluer, dans le bon sens du terme. Faut-il pour autant baisser les bras et laisser le champ libre aux dirigeants actuels pour gérer le Tchad comme ils l’entendent ? La réponse est évidemment non, et tous les Tchadiens doivent resserrer les coudes, pas pour renverser le régime élu, mais pour que chacun joue sa partition en apportant sa pierre à la construction d’un pays débarrassé des tares politiques, des violences meurtrières et des pratiques déviantes vis-à-vis de la fortune publique.
Hamadou GADIAGA