HomeA la uneABDOUL KARIM SANGO, PRESIDENT DU PAREN

ABDOUL KARIM SANGO, PRESIDENT DU PAREN


Abdoul Karim Sango, l’ex-ministre de la Culture, des arts et du tourisme, vient d’être élu à la tête du Parti pour la renaissance nationale (PAREN). Il a pour mission principale de refonder et de relancer le parti créé par le Pr Laurent Bado. Pour réussir sa mission, l’homme a ses idées. Du moins, c’est ce que l’intéressé nous a confié dans cette interview qu’il nous a accordée dans le cadre de notre rubrique « Mardi Politique ».

 

« Le Pays » :   Vous venez d’être élu président du PAREN. Avez-vous été préparé à porter cette charge ?

 

Abdoul Karim Sango : Je dois dire quand même que je suis militant depuis la création du PAREN. Dès l’an 2000, j’étais déjà le premier président de la cellule estudiantine du parti que nous avons montée à l’échelle avec l’actuel président du MCR, Tahirou Barry qui, d’ailleurs à cette date, était mon vice-président, et bien d’autres camarades, cadres de l’administration publique et privée aujourd’hui. Aussi, j’ai occupé pendant longtemps le prestigieux poste de Secrétaire en charge de l’orientation et de la formation politique avant de m’éclipser. Car, les circonstances de la vie ont voulu que je me retrouve, à partir de 2006, comme membre de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Le statut de commissaire à la CENI, oblige les commissaires à ne plus figurer dans les instances de leurs partis politiques. Ce qui m’a pris 10 bonnes années et ce, jusqu’à 2016, au point où mes sorties médiatiques et dans l’espace public se faisaient beaucoup plus dans le cadre de ce qu’on appelle aujourd’hui, la société civile. Durant ces 10 ans, j’étais l’un des experts les plus sollicités pour animer des conférences, pour donner des formations sur divers sujets. Avec ce parcours donc, on ne peut pas dire que je ne suis pas suffisamment préparé. Je ne sais pas si c’est suffisant tout ce qui vient d’être dit mais je pense avoir les compétences intellectuelles et morales qui me paraissent deux conditions importantes pour diriger toute organisation.  

 

Le thème de votre congrès a parlé de la refondation du Burkinabè. Qu’est-ce que cela veut dire ?

    

Lorsque vous observez la marche de notre peuple et un certain nombre de phénomènes dont le principal (l’incivisme, ndlr) est constaté de visu en circulant dans les rues de Ouagadougou, on peut dire qu’il y a un sérieux problème de rapport aux valeurs. Quand j’étais ministre en charge de la culture, j’avais initié, avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), un colloque sur la contribution de la culture dans la lutte contre l’extrémisme violent. A la suite de ce colloque, nous avons initié 13 séries de conférences régionales afin d’interpeller les Burkinabè sur l’impérieuse nécessité de retourner en nous-mêmes pour chercher des réponses à des phénomènes comme le « djihadisme ». Je le disais le plus souvent aux jeunes qui étaient le public le plus nombreux à ces conférences régionales, qu’être Burkinabè, cela doit avoir une signification assez particulière. Comme le dirait quelqu’un, on n’est pas Burkinabè par hasard. On n’est pas Burkinabè simplement parce qu’on a la nationalité burkinabè ou parce qu’on est simplement l’enfant de parents eux-mêmes burkinabè. Non ! Le président Thomas Sankara a fait ce choix de rebaptiser notre pays parce que, pour lui, le concept Haute-Volta ne révélait pas un pan de notre identité. A Koudougou, on m’a expliqué qu’il y a un quartier qu’on appelle « Burkina », dont les populations avaient une très forte tradition d’intégrité. Et selon l’explication qui m’a été donnée, c’est en référence à leur caractère que le président Thomas Sankara aurait rebaptisé le nom de notre pays. A y voir de près, les peuples qui habitent notre territoire ont de tout temps  développé un type de comportement qui, jusqu’à une date récente, était fait d’ardeur au travail, de sobriété dans la vie, d’humilité et de tolérance. Quelqu’un comme moi qui suis né dans les forêts ivoiriennes, je dois dire que nous étions tellement brillants dans les classes parce qu’on travaillait dur, que certains de nos amis ivoiriens disaient qu’il y avait un canari de fétiches dans la case du vieux Sango. En effet, que ce soit mes aînés ou mes cadets, tous avaient des résultats brillants dans leur cursus. Cela intriguait plus d’une personne. Mais, je pense que ce fut le cas pour beaucoup d’autres amis nés en terre ivoirienne. Nous avons grandi avec l’esprit qu’il  faut travailler dur pour réussir dans la vie. Etre  Burkinabè,  c’est être un Homme intègre qui reflète l’ardeur au travail, la sobriété et l’humilité qui frise souvent même l’exagération et cela nous est reproché dans certains milieux. Hélas, depuis 30 ans, on ne reconnait plus le Burkinabè. Je pense qu’il faut être objectif. Si cette mauvaise trajectoire opérée depuis 30 ans, est maintenue, il faut simplement changer l’appellation de notre pays, car nous n’en sommes pas dignes. Voilà pourquoi nous avons voulu interpeller et appeler les Burkinabè à une véritable introspection. Comme l’a bien dit Jean Marc Palm, président de la Haute cour du dialogue social (HCDS) dans un passage de son ouvrage « Centenaire du Burkina », nous avons sacrifié 4 générations de Burkinabè dans des attitudes et des comportements qui compromettent la marche radieuse de notre pays pour reprendre la formule du «Ditanyé » vers le progrès. Aujourd’hui (2 juin 2021, ndlr), nous célébrons les 30 ans de l’adoption de la Constitution du 2 juin 1991. Depuis le renouveau démocratique, le Burkinabè n’est plus cette personne qui porte des valeurs. C’est donc une génération qui a été sacrifiée. Une génération qui, pour diverses raisons, ne croit plus au travail, au mérite ni au sens du sacrifice. Notre ambition, au PAREN, c’est de faire renaître un Burkinabè-nouveau, le vrai. Les gens se demandent si on n’est pas fou d’avoir une telle ambition. Mais je dois dire qu’il a fallu des fous pour changer beaucoup de choses dans le monde. Sans passion, on ne réalise rien de grand ! Il faut agir et c’est même un impératif catégorique, pour parler comme le philosophe. Si nous ne le faisons pas, les choses vont se complexifier dans ce pays. Je ne vais pas être un prophète de malheur mais il n’y a pas de magie en la matière.

 

Quelle est la passerelle entre le « tiercerisme » promu entretemps par le Pr Laurent Bado et le «  développement endogène » que vous entendez implémenter ?

 

Ce sont des concepts synonymes parce que le « tiercerisme » est l’idée d’une troisième voie. Ce modèle de société a quasiment disparu de la planète de nos jours.  Allez- y dans les ex-pays de l’URSS, ce qu’on a appelé le bloc de l’Est : la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, etc. Aujourd’hui, même Cuba a fait le basculement, la Chine plus ou moins. A part la Corée du Nord, il y a très peu de pays qui parlent de communisme. C’est un système qui portait gravement atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme car je le dis toujours, le premier bien naturel de l’être humain, c’est la liberté. Historiquement, dans toutes les sociétés où on a voulu comprimer la liberté, la société a fini par imploser. Déjà, le fondateur du PAREN (Pr Laurent Bado, ndlr), il y a une quarantaine d’années, a rejeté ce modèle. Ce qui ne veut pas dire que la thèse de Karl Max qui consiste à dire que le Capitalisme où l’employé est exploité par l’employeur, est un système injuste et inique, est bien. Sur cette thèse de Marx, nous sommes d’accord. Et nous le disons. J’en viens au capitalisme ou au Libéralisme qui a deux mamelles, les libertés politiques et la liberté économique qui met l’individu au centre suprême des préoccupations de la société. Le tiercerisme, c’était de dire, non aussi à cela. J’avais lu, quand j’étais étudiant, un ouvrage autobiographique de Martin Luther King. Il avait déjà prononcé, dans les années 60, cette formule : «  Le bonheur de l’homme ne se trouve ni dans le socialisme ni dans le libéralisme ». Pour lui, il faut un système qui fait la synthèse des deux systèmes. Le tiercerisme, c’est un peu cet appel dont nous parlons dans notre discours (prononcé le jour du congrès du PAREN, le 29 mai, ndlr) où on a fait un clin d’œil à Ouézzin Coulibaly, le Lion. L’homme dont on a décrit les qualités et dont on parle très peu aux nouvelles générations. C’est pour cela que nous insistons là-dessus. Car, « si le passé n’éclaire pas le présent, l’esprit marche dans les ténèbres ». C’est une philosophe politique brillante, Hannah Arendt, juive d’origine, qui l’avait dit dans un de ses ouvrages « La crise de la culture ». Ouézzin Coulibaly disait donc que nous revendiquons le droit de penser par nous- même ou même les voies et moyens pour accéder au développement dans le calme. C’est en cela que le Pr Joseph Ki-Zerbo qui est un des grands historiens  à  qui ce mélange a été consacré (sur sa table à côté du lieu où en enregistrait l’interview), revient sur la question du développement endogène. Vous voyez ce gros livre (en nous l’indiquant et que nous avons touché à l’issue de l’interview), c’est toute sa théorie qui a été synthétisée par d’éminents intellectuels africains. C’est simple. Tiercerisme et développement endogène, c’est pratiquement la même chose. Le  tiercerisme fait un peu trop latin ou un peu savant. Et comme nous sommes en politique, on fait aussi de la communication politique. Donc, il faut de plus en plus utiliser des concepts accessibles, et qui n’embrouillent pas les gens et ne les obligent pas à trop réfléchir. C’est ce qui a été  fait avec d’ailleurs  la bénédiction du fondateur du parti. 

 

« Pensez- vous qu’on puisse laisser les zones non-loties prospérer autour de la capitale et vouloir vivre en paix ? »

 

 

Lors de son intervention à la clôture du congrès, le Pr Bado a parlé d’une catastrophe dans 9 ans  si certains paradigmes dans la gouvernance du pays, ne sont pas changés. Qu’est-ce que cela vous inspire comme commentaire ?

 

Le Pr Bado a le secret des formules et cela le caractérise. Il s’est donné pour mission de choquer les consciences mais il reste ce qu’il est. On n’est pas obligé d’être magicien pour savoir que si vous réunissez les conditions objectives et subjectives d’une implosion sociale, elle va se produire. C’est de l’analyse prospective, une science développée chez les autres, les pays dit développés. Laurent Bado a une grande expérience. Il a une grande connaissance théorique et pratique des sociétés humaines. Lorsqu’il met en lien un certain nombre de phénomènes, on  ne peut qu’aboutir à ce qu’il a prédit. Pensez- vous que le degré d’incivisme, d’indiscipline que l’on a par exemple dans une ville comme Ouagadougou, préfigure de lendemains meilleurs ? Pensez- vous qu’on puisse laisser les zones non-loties prospérer autour de la capitale et vouloir vivre en paix ? Si vous prenez une ville comme Ouagadougou, nous sommes en phase d’étouffement. Le rôle de l’homme politique donc, c’est d’anticiper sur tous ces phénomènes. Car, comme on le dit, il n’y a rien de nouveau sur la terre. En 2005, Monseigneur Anselme Titianma Sanou avait dit presqu’en des termes paraboliques, qu’il y aurait une insurrection. Je synthétise sa pensée. On lui avait demandé (une interview dans Sidwaya)  ce qu’il pense de ce que le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) était en train de faire en voulant remettre en cause la limitation des mandats. Il a été président du Collège de sages. Le doyen Anselme a dit qu’en fait, c’est l’image de quelqu’un qui est dans un puits, asphyxié et qui nous appelle au secours. Ce que vous faites, vous lui tendez une corde simplement par amour. Dès que vous le sortez du puits, vous allez simplement lui dire qu’il ne s’amuse plus autour de la margelle du puits. Mais vous ne pouvez pas l’en empêcher. Cependant, s’il vient s’amuser là encore, il va retomber dans le puits. Il dit ce que lui (Anselme Titianma Sanou)  il sait, c’est  que, eux, ils ont travaillé pour apaiser le pays. Et un des mécanismes qu’ils ont inventés, c’est dire qu’il faut consacrer la limitation des mandats et la respecter. Car, trop de pouvoir nuit à celui qui en a. Et pour lui, en regardant le comportement des gens, c’est comme s’ils (ceux de l’ancien régime) avaient oublié d’où ils venaient.  Mais selon lui, les Burkinabè ne sont pas des ressorts amortis. Les savants du CDP à l’époque et leurs hommes politiques, en ont ri. Les mêmes causes produisant les mêmes effets,  ce qui devait arriver, arriva. Ce n’est donc pas une affaire de Bado est un prophète apocalyptique. Vous pouvez faire toutes les prières possibles du monde mais un Etat fonctionne sur la base de principes consensuellement acceptés dans la société. Si vous commencez à ruser avec les principes, vous le ferez pour un temps et non tout le temps.

 

Après le congrès des 28 et 29 mai derniers, quels sont les futurs défis du PAREN ?

 

Je pense que le principal défi, capital et à gros enjeu pour nous, c’est la réimplantation territoriale du parti. Comme je l’ai dit dans mon discours lors du congrès, un parti politique ne peut pas être le parti d’un quartier ou d’une ville ; cela ne sert à rien. C’est vrai que le PAREN est un parti qui n’a pas beaucoup de ressources mais son avantage, c’est que c’est un parti d’idées, qui a un programme. C’est un parti dont le fondateur était suffisamment connu sur l’ensemble du territoire. Cela nous donne un avantage qui fait qu’au moins, si vous partez dans les 8000 villages du Burkina, et vous dites le PAREN, les gens savent à peu près qui c’est. Ils vous diront toute suite, c’est le parti de Laurent Bado. A partir de ce moment, ce qu’il faut faire, c’est d’aller vers les gens pour mieux leur expliquer notre projet. Et dire en quoi nous sommes différents des autres partis politiques qui n’apparaissent pour la plupart, que le temps d’une élection. Ils rentrent en hibernation et ils reviennent plus tard. Les partis ont quand même un devoir constitutionnel d’éducation  des peuples. On parle d’incivisme et on croit que c’est la seule  faute du pouvoir. Quels sont les partis qui éduquent le peuple sur ce que c’est que l’Etat, la démocratie et les obligations du citoyen ? C’est cela aussi la responsabilité d’un parti. Nous allons donc travailler à une meilleure structuration du parti. Nous irons à la rencontre des populations. Je vais, avec mon équipe, élaborer un plan de sortie de terrain dans les 45 provinces, que nous allons décliner progressivement. Cela va prendre très souvent la forme de grandes conférences publiques où nous irons expliquer notre vision du monde.  Comment nous entendons développer le Burkina ? Qu’est-ce qui fait notre différence ? Mais aussi les alerter sur les grands enjeux du monde parce que si vous savez comment le monde fonctionne, les grands égoïsmes, les complots contre l’Afrique, il y a des comportements que vous ne pouvez pas avoir dans la vie. J’ai un ami en France qui m’a envoyé un documentaire ce matin (le 2 juin, ndlr) où un occidental explique qu’ils ont été envoyés pour inoculer le virus du SIDA dans certaines parties de l’Afrique. Je me suis dit intérieurement, est- ce que ce n’est pas le jeu de la manipulation ? J’avais déjà entendu ce genre de thèses.  Je savais aussi qu’il y a des complots faits par des courants extrémistes en Occident, qui pensent que le Noir est un problème, donc il faut trouver un moyen de le faire disparaître. C’est pour tout cela d’ailleurs que ces histoires de vaccins contre la Covid-19, nos populations sont un peu réticentes. Comme le disait Henry Lopez dans « Tribaliques », « nous sommes là, à chanter, à danser tout le temps, alors que les autres réfléchissent sur comment ils continueront à nous dominer ». C’est cela le problème. Il faut l’expliquer. Il faut dire aux Burkinabè que la Chine qui est une puissance aujourd’hui, il y a 40 ans seulement, le revenu d’un Voltaïque était plus élevé que celui d’un Chinois. En moins de 50 ans, la Chine est devenue la première puissance mondiale. Dans l’ouvrage de Yuval Noah Harari, l’un des intellectuels les plus lus aujourd’hui dans le monde, est l’un des brillants savants de Harvard. Dans son ouvrage «  21 leçons pour le 21e siècle »,  l’auteur explique que les élites chinoises sous Mao, qui pensaient que le communisme pouvait les sauver, ont compris que ce système n’étais pas fait pour eux. Car, les conditions historiques de cette pensée politique n’existaient pas chez eux. C’est comme cela qu’autour des années 70, Mao a prôné la révolution culturelle qui a préparé la Chine à être aujourd’hui, l’Etat le plus développé. C’est le seul pays au monde qui a éradiqué la pauvreté selon les standards internationaux. Les élites chinoises ont dit qu’on ne peut pas se développer dans la pensée intellectuelle, philosophique des autres. Ils ont donc regardé vers leurs ancêtres. Ils ont donc regardé vers eux-mêmes, à savoir aller dans un processus endogène parce qu’ils étaient différents des autres. Leur postulat est génial !  Dans un autre article que j’ai lu, il y a un intellectuel chinois qui nous enseigne que depuis 4000 ans, on enseigne en Chine, qu’il ne peut pas y avoir de paix dans un pays où le peuple vit dans la gêne. Autrement dit, il ne peut  jamais y avoir la paix si le peuple est dans la misère. Pour les Chinois, la seule légitimité qui vaille aux dirigeants, est de travailler tous les jours pour que le peuple ne soit pas dans la gêne. Vous comprenez pourquoi la Chine a fait attention à cette prétendue démocratie libérale. Ils ont créé les conditions du progrès économique et social de leur peuple. Vous comprenez pourquoi notre frère Kagame fait attention. Aujourd’hui, son pays se porte beaucoup mieux que la plupart des Etats africains. Je n’ai pas dit que la démocratie est une mauvaise chose. Et là-dessus, il faut qu’on se comprenne.  Il faut que les Africains regardent leurs problèmes par eux-mêmes. Il faut arrêter avec ces prétendus experts qui nous viennent de l’Occident et ne comprennent rien à notre histoire et à notre sociologie. Moi, je suis malade de voir des gens sur des chaines internationales, qui ne savent même pas de quoi il s’agit. Ils s’asseyent là-bas et racontent leur vie. Et ils influencent négativement  nos jeunes.  

 

Abdoul Karim Sango est aujourd’hui à la tête du parti. Peut-on dire que vous avez la popularité qu’il faut pour mobiliser les gens en faveur du parti ?

 

Je pense quand même que mon nom aussi veut dire quelque chose. Je n’ai certainement pas la notoriété du Pr Bado mais je pense que ces 20 dernières années, si on cite dans ma génération dix Burkinabè qui ont apporté leur contribution à l’avancée de la démocratie, à l’avancée de l’Etat de droit, je pense que je peux me retrouver quelque part dans ce groupe. J’ai aussi formé même si je suis jeune, pas mal de cadres de ce pays. J’ai contribué à construire leur imaginaire. Mais   le pays est composé à 90% de personnes vivant en zone rurale. C’est une autre dimension des choses. Je pense avoir une popularité relative qui doit me permettre de mieux réorganiser le parti pour les dix prochaines années si Dieu m’en donne la force, l’intelligence et la sagesse.

 

« Si c’est pour acheter les consciences des populations pour se faire élire, si c’est cela avoir des fiefs électoraux, moi, je n’en ai pas. Je n’ai pas cet argent »

 

 

Bien des Hommes politiques de ce pays ont des fiefs électoraux. En avez-vous un ?

 

Les fiefs électoraux, c’est relatif. Comment on obtient un fief électoral ? Si c’est pour acheter les consciences des populations pour se faire élire, si c’est cela avoir des fiefs électoraux, moi, je n’en ai pas. Je n’ai pas cet argent. Même si j’en avais, je n’achèterais pas. Il y a un étudiant qui est venu me convaincre en me disant qu’il faut que moi et le PAREN changions nos paradigmes. Il me dit : « Cherchez l’argent, achetez les gens, faites-vous élire et quand vous aurez le pouvoir, vous allez faire changer les choses. Ne vous faites pas d’illusions M. le ministre, vous ne changerez rien ici. C’est le principe ». C’est immoral et amoral. Quand moi, j’avais l’âge de cet étudiant, je rêvais de transformer le monde. Et ils sont nombreux ces jeunes. C’est cela que les gens appellent fiefs électoraux. Quand il y a des décès, des baptêmes, je rends visite mais je n’ai pas les moyens pour aller construire des forages, des Centres de santé et ce n’est pas mon rôle. C’est le rôle premier de l’Etat qui a, avec lui, l’ensemble des ressources du pays. Si j’ai des relations dans des sociétés, dans des ONG, je peux en faire profiter. Ce qu’on appelle fief ici, c’est souvent fait sur la base du clientélisme. Sinon, on va dire que le fief électoral d’un parti comme le PAREN, c’est Ouagadougou parce que notre public cible, ce sont les étudiants, les élites…Depuis que le PAREN existe, là où on a toujours eu un élu, c’est le Kadiogo à part ces dernières élections et cela est lié à nos propres défauts. Moi, je n’ai pas d’argent pour entretenir des gens sauf si on veut me transformer en voleur. Je ne peux pas. Il faut redonner à la politique ses lettres de noblesses.

 

Comment comptez-vous relancer la machine politique au niveau du PAREN, surtout que vous  dites ne pas avoir d’argent ?

 

Nous n’avons pas d’argent mais nous avons ce qui donne de l’argent, ce sont les idées. Ce sont les idées qui font développer le monde. Et c’est quand le monde est développé qu’il y a de l’argent. Nous irons partager nos idées. Il y a beaucoup de gens qui pensent comme nous mais qui avaient aussi été embêtés par tous les problèmes que le parti vivait. Je suis d’accord avec eux. Les crises répétitives donnent l’impression que vous ne savez pas ce qui vous voulez. Cela donne l’impression que vous n’êtes pas des gens sérieux, même si vous avez des idées. C’est ce que nous allons simplement et purement reprendre. Nous travaillons sur la durée. Ce pays est composé à plus de 70% de jeunes pour lesquels des perspectives ne sont pas sûres. Il faut qu’on leur permettre de rêver sérieusement que demain, les choses vont s’améliorer à leur profit. Mais, nous sommes conscients que seuls, nous ne pourrons pas. C’est pour cela que nous avons lancé l’idée de grands regroupements. Nous avons 200 partis. Le professeur Maurice Duverger dit que ce n’est pas du multipartisme, c’est la préhistoire du multipartisme quand vous êtes dans ces conditions. On ne va nulle part avec ça.

 

Peut-on s’attendre à une fusion du PAREN avec d’autres partis tels que le MCR de Tahirou Barry ?

 

J’ai eu à dire que Tahirou est mon frère et d’ailleurs, les gens disent que nous sommes les deux fils spirituels du Pr Bado. Je dois vous dire qu’un peu avant la campagne, j’avais personnellement rencontré Tahirou Barry dans un espace privé. Je lui avais dit de revenir à la maison. Je lui ai dit que lui et moi, rien ne nous oppose. Nos familles se connaissent, nos épouses, nos enfants. Il y a eu des erreurs comme cela se fait dans la vie. Mais seul, il ne sera rien, moi seul, je ne serai rien. Et les dernières élections l’on démontré. Mais ensemble, avec d’autres personnes, nous pouvons commencer à donner de l’espoir aux gens. Il y a eu beaucoup de choses, donc il faut un peu de temps. A priori, nous allons y travailler. C’est un des éléments de notre programme de gouvernement, à savoir travailler au regroupement, aux fusions, à des unions. Il y a de nouveaux acteurs sur la scène politique. Mais si vous remontez 10 ans en arrière, ce sont des gens avec qui nous étions tout le temps ensemble. Le Pr Loada, Me Kam,  Me Farama Ambroise, le Pr Soma et bien d’autres, il faut qu’on essaie de voir. Même avec le parti au pouvoir, ce n’est pas exclu car la jeune génération du parti est composée de personnes avec qui on a partagé beaucoup de choses. On peut aller à des regroupements mais sur la base de programmes, de valeurs. Ce qui nous a poussé à faire l’insurrection, il faut que les gens acceptent qu’on ne revienne pas à cela.  On a dit que plus rien ne serait comme avant. C’est vrai que les choses ne peuvent pas se régler en un coup de baguette magique. Mais il faut que dans notre comportement au quotidien, dans nos idées, dans nos pensées, nous ayons tous à l’esprit que des Burkinabè ont perdu la vie et qu’ils sont au cimetière de Gounghin. Ils se sont élevés contre une forme de gouvernance que nous devons travailler progressivement à faire oublier. C’est la seule solution. Celui qui ne se met pas dans cette philosophie, c’est clair, on peut rire ensemble, mais on ne peut pas être des amis.

 

Bien des personnes ont été étonnées de voir votre camarade Tahirou Barry à votre congrès. Quel a été votre secret pour amener l’homme à être présent aux côtés du Pr Laurent Bado ?

 

Il n’y a pas de secret. J’ai été à son congrès. Le bon sens quand même veut que si j’ai mon congrès, il puisse aussi venir. Tahirou n’a pas rompu ses relations avec le Pr Bado. D’ailleurs,  il le dit à chaque fois. Mais, il faut que mon frère et moi, nous nous retrouvions dans la même maison. Nous avons des amis communs qui sont très préoccupés par cette situation. Je suis sûr que si on est ensemble, on peut constituer une force. On peut vraiment reconstituer le PAREN d’antan, surtout que nous sommes à l’ère de la réconciliation. Si on veut faire une réconciliation nationale, il faut qu’il y ait une réconciliation familiale, clanique, dans les partis. Vous ne pouvez pas traîner des rancœurs dans  les partis et croire que vous allez parler de réconciliation.

 

Ceux qui ont dirigé le parti avant vous, ont fini tous par démissionner pour des mésententes avec le fondateur Laurent Bado. Ne craignez-vous pas de subir le même sort ?

 

Moi, je ne crains rien. Je ne vais pas me prononcer sur les motifs qui ont fait que d’autres sont partis. Je connais le Pr Bado. Effectivement, beaucoup de gens m’ont dit, est-ce que cela vaut la peine ? Mais, je dois dire que dans l’environnement de Laurent Bado, je suis un peu comme son premier fils. Nos relations ont dépassé la dimension politique. Je connais l’homme dans ses convictions et dans ses valeurs. Laurent Bado est un homme profondément humaniste. N’oubliez pas que c’est un catholique qui ne s’en cache pas. Il dit toujours que lui, il veut gagner le combat pour accéder au paradis. Nombreux sont ceux qui le prennent au premier degré et ces derniers ne sont pas sincères. Dans tout ce que Laurent Bado dit, il n’y a aucune méchanceté. Je vais vous faire une confidence. Quand le parti a connu des problèmes, notamment avec notre liste invalidée aux dernières législatives, il en a été malade. Il a dit que lui dans son parti de fraternité, on en arrive à des extrémités de ce genre. Il nous a toujours dit, vous pouvez vous insulter pour atteindre la vérité mais sachez que c’est dans l’intérêt supérieur du parti. Il m’a dit, tu sais Sango, autour de nous, ce sont des monstres. Moi (Laurent Bado), je pense que le mieux à faire, dissolvons le parti. Il m’a dit, tu vas te donner de la peine inutile et tu vas subir des méchancetés. Et chaque fois que tu seras malheureux, je le serai avec toi. Il me dit donc, laisse tomber cette affaire. Je lui ai dit qu’on ne peut pas le faire parce que c’est un parti qui porte des idées, des valeurs et qui porte un projet. Cette voix, le Burkina et l’Afrique en ont besoin. La preuve, c’est que le Pr Bado, en Afrique centrale, dans d’autres pays africains, sur Internet, des gens ne jurent que par lui, pour ses idées. Nul n’est prophète chez soi. L’ancien porte-parole de Laurent Gbagbo, Gervais Coulibaly, mon ami et grand frère qui était à notre congrès, m’a dit qu’il veut avoir des heures d’entretien avec le Pr Bado car il a toujours entendu parler de lui mais il ne l’a jamais rencontré. J’ai donc dit au Pr Bado qu’on ne peut pas dissoudre le parti car c’est une solution de facilité qui ne va pas résoudre le problème. Notre engagement politique, ce n’est pas à cause de notre personne. On ne se rend pas compte mais nous sommes en train de faire avancer un peu un peu les choses. C’est notre passage au gouvernement qui a permis la relance de l’Institut des peuples noirs. Notre passage au gouvernement a permis de remettre dans le discours, la question des valeurs culturelles. Partout on en parle. C’est cela.  Le tout ce n’est pas d’occuper des postes. Ce n’est pas cela être Homme politique. Le délit d’apparence, le nomadisme politique, c’est notre passage au Parlement qui a favorisé cela. Un jour ou un autre, si ce n’est pas nous, des plus jeunes arriveront. Nous avons des raisons d’être fiers du combat que nous avons mené et nous continuerons de le mener mais en mieux s’organisant. Vous savez, le fondateur avait des pouvoirs terribles qu’on lui avait reconnus en 2006. Quand je suis allé lui soumettre le projet de statuts et règlement intérieur, il m’a dit qu’il ne veut plus intervenir dans la vie du parti. La seule chose qu’il a demandée, c’est qu’on vienne demander son avis si nous voulons fusionner avec un autre parti parce que là, il s’agit de l’âme du parti. Je n’ai aucune crainte car il m’a accordé sa bénédiction publiquement. J’ai sa bénédiction, donc on va avancer.

 

« Quand vous n’avez   pas un parti qui est bien structuré au plan national, vous ne pouvez pas chercher la Fonction suprême »

 

 

La vocation d’un parti politique étant la conquête du pouvoir d’Etat, nourrissez-vous une ambition d’être chef d’Etat ?

 

Je pense que c’est une ambition légitime. Quand on a mon parcours, les idées d’un parti comme le PAREN, c’est une ambition légitime. Je ne ferai pas la fine bouche pour dire que je ne veux pas. Tout burkinabè qui est techniquement et moralement compétent, et politiquement bien formé, doit pouvoir un jour solliciter des suffrages. J’ai pour défi actuel, une meilleure implantation de mon parti. Quand vous n’avez   pas un parti qui est bien structuré au plan national, vous ne pouvez pas chercher la Fonction suprême. Pour avoir cette fonction, il faut avoir une masse critique de conseillers municipaux pour faire le travail sur le terrain, une masse critique de députés, ainsi de suite. Nous avons des objectifs à moyen  et long terme. Ce qui nous intéresse dans un premier temps, c’est d’avoir certaines communes. C’est pour cela que nous nous préparons pour avoir des communes au niveau local, pour donner l’occasion de gérer des mairies et expérimenter à l’échelon local déjà, notre philosophie politique. Nous parlons beaucoup de l’actionnariat populaire sur lequel  nous allons organiser  un séminaire parce que nous pensons que l’endettement est une chose scandaleuse voire compromettante pour l’avenir de nos nations. Il faut qu’on réfléchisse sur les voies et moyens de mobiliser les ressources internes. C’est cela aussi le principe de Thomas Sankara, le compter sur soi-même. Les Burkinabè sont plus de 20 millions. J’estime ceux qui sont à l’étranger à 20 millions. Ceux qui sont à l’étranger ont souvent des capacités financières énormes. Si vous demandez à 20 millions de Burkinabè de payer 10 mille F CFA, vous êtes déjà à 200 milliards de F CFA. Cet argent, avec une structure de gestion indépendante comme ce que les Américains appellent les agences, complètement indépendantes où les critères de sélection ne sont pas sur des bases partisanes ou politiques mais des mandats clairs, nous ferons des investissements clairs en réhabilitant toutes les industries qui sont mortes. C’est comme cela qu’on peut développer notre pays. Parce que ceux qui vous donnent de l’argent, n’accepteront jamais qu’on soit leur concurrent.  C’est pour cela que nous disons que la politique, ce sont des idées, rien que des idées. Et ça, nous en avons ! Je suis contre l’endettement de nos Etats. Damisa Moyo, une brillante économiste africaine qui a travaillé à la Banque mondiale, tanzanienne de nationalité,  a écrit un bel ouvrage intitulé la dette fatale.

 

Qu’est-ce qui explique, selon vous, le recul progressif de votre parti lors des échéances électorales ?

 

 Il y a eu de sérieux problèmes d’organisation. Moi-même qui suis une figure connue et reconnue, les gens ont trouvé les moyens de faire invalider ma liste aux dernières législatives. En Afrique, on parle des idées, mais les gens regardent aussi les Hommes qui portent les idées.  Ils connaissent le Pr Laurent Bado, Abdoul Karim Sango et après, ils s’intéressent aux idées.  Ce sont des gens qui portent les idées du parti dans l’espace public.  Si vous partez à une élection avec des personnalités notoirement inconnues, il n’y a pas de magie. Ça ne donnera rien. La politique, contrairement à ce qu’on pense, est une science. C’est comme j’aime à le dire, en Afrique, on accuse beaucoup les partis au pouvoir. C’est vrai qu’ils ont souvent  beaucoup d’argent. Mais ce  n’est pas cela seulement qui fait qu’ils gagnent les élections. Ils sont à un niveau d’organisation jusqu’au moindre petit village. En matière électorale, une voix, c’est déterminant. On est dans la capitale, on parle bien dans les médias et à des personnes qui ne vont même pas se fatiguer le jour du scrutin. Avec ça, vous voulez gagner des élections ?  La conséquence logique était que le PAREN ne gagne rien. Et c’est ce qui s’est passé.

 

 Pourquoi votre liste nationale a-t-elle été invalidée aux dernières législatives ?

 

Les choses sont simples. Il se trouvait que, pour les élections législatives, les militants du parti ont dit qu’il faut que le ministre qui est tête connue, puisse conduire la liste nationale pour tirer les voix un peu partout. Il se trouvait que le président, Michel Beré, lui aussi voulait être à la tête de la liste nationale. Comme c’était lui le président du parti, l’arbitrage a été fait en sa défaveur.  Il m’a même appelé pour me dire qu’il n’avait pas de problème et qu’il allait être mon suppléant, avec l’idée que si le PAREN  a des députés, nous retournerions  certainement au gouvernement. Et comme moi j’y étais déjà, certainement que  je retournerais là-bas et on dégagerait une place à l’Assemblée nationale pour lui. Mais en fait, la vérité, il avait accepté à moitié. C’était une acceptation de façade. Lorsque nous avons constitué les listes, l’actuel secrétaire  en charge  de la jeunesse, Alassane Kafando qui est très influent dans le Kadiogo, un jeune brillant,  qui était mon 2e de liste, a donné un casier judiciaire. Dans le processus, on avait décalé les dates liées à une modification du Code électoral.  Le premier casier qu’il avait donné n’était plus bon. Il a apporté le bon casier judiciaire en sus de l’ancien.  Malheureusement, c’est le casier qui n’était pas bon que les gens ont mis dans le dossier pour aller à la CENI.  Le  jour où on déposait le dossier, le casier n’était plus bon. Même  si, pour ma part, j’estime que la CENI a fait preuve d’un excès de zèle dans l’interprétation de la qualité de cette pièce. J’ai fait 10 ans à la CENI. Il ne s’agit pas de violer la loi. La loi a un esprit. Le législateur, quand il demande le cassier judicaire dans un dossier, il veut simplement savoir si le candidat n’ a pas fait l’objet de condamnation judiciaire le privant de ses droits d’éligibilité. C’est tout le sens du casier judiciaire,  sinon on peut s’en passer. C’est une condition qu’on peut même contrôler quand le candidat est élu. On le voit en matière de concours de la Fonction publique. Comme il y a trop de candidats, le contrôle de pièce, on l’attend après l’admission.   C’est une interprétation fonctionnelle parce que ce qui est au cœur de la  démocratie, c’est garantir la plus grande participation des acteurs. Il faut qu’il y ait le moins d’obstacles possibles à la participation des gens.  C’est pourquoi on demande aux acteurs politiques de s’entendre. Il ne s’agit pas de violer la loi mais bref, c’est ce qui est arrivé. Tout ça est maintenant derrière nous.

 

 Pensez-vous que c’est sciemment fait ?

 

Oui, je crois que c’est sciemment fait. L’intention était de me nuire et au parti.  C’est pourquoi le bureau a demandé la démission de l’équipe.

 

Les élections municipales se tiendront en 2022. Quels sont les consignes des congressistes pour aborder ces échéances électorales ?

 

Nous avons demandé à nos militants de se positionner déjà. Quand vous n’avez pas de moyens, il faut commencer petit. Nous avons des ambitions réalistes et réalisables. Quand on regarde d’où nous venons, nous allons nous battre. Si nous avons  au moins  5 communes dans un premier temps, ce sera une bonne chose. Nous allons voir  là où nous sommes le mieux structurés pour renforcer nos cadres qui y sont. Même si nous avons une seule commune, nous aurons la chance d’implémenter notre programme à l’échelon local. Nous allons transformer une commune au Burkina et les gens verront.

 

Après votre départ du gouvernement, quelles sont aujourd’hui vos occupations ?

 

J’avais besoin de me reposer parce qu’on ne se rend pas toujours compte mais, la vie de ministre dans un pays africain qui s’appelle Burkina Faso, ce n’est pas une sinécure.  Ce n’est pas une vie de facilité. C’est une vraie vie de souffrances j’allais dire. Pendant 3 ans, je n’avais plus de vie pour moi-même. Mes enfants m’ont dit un jour, si c’était comme cela, il ne fallait pas devenir ministre parce qu’ils ne me voyaient presque plus. J’étais sollicité de partout. Aujourd’hui, j’ai le bonheur de déposer ma fille à l’école.  Aller la prendre me motive parce que sur le trajet, nous parlons. Elle apprend à me connaître et vice- versa. J’ai vu un documentaire où en Norvège, un ministre est allé chercher sa fille à l’école. Dans ces sociétés, vous pouvez arrêter de travailler si c’est pour vous occuper de vos enfants. Il faut que nous ayons du temps pour nos enfants, pour nos familles. J’ai mis la période de 6 mois à profit pour m’occuper de ma famille et reprendre la lecture des nombreux livres que j’avais achetés en étant en fonction. Malheureusement, les activités du parti sont venues absorber une grande partie de mon temps. Je suis encore épuisé parce que préparer ce congrès n’a pas été   facile.  Où avoir les Hommes ? Où avoir de l’argent ?  Quand je préparais le projet de bureau, c’est là que j’ai compris que le chef de l’Etat et le Premier ministre souffrent quand il s’agit de trouver les Hommes qu’il faut pour former un gouvernement. Comment trouver la bonne personne, la mettre et la motiver pour jouer un rôle ? Ce sont des nuits d’insomnie.  Il faut appeler, écrire, faire ceci ou cela.  Je sors du congrès, vous aussi (NDLR : les journalistes) vous êtes là. Il faut parler. Ce n’est pas facile. Sinon je vais bien. Mon emploi, c’est d’enseigner et c’est ce que je reprendrai très bientôt avec beaucoup de bonheur. J’ai aussi repris les conférences et mes consultations. Je suis très bien occupé mais ce qui me fait mal, c’est que je manque de repos.

 

 Quelles leçons tirez-vous  de votre passage à la tête du ministère de la Culture ? Si c’était à refaire, le referiez-vous ?

 

 Je le referais parce que, comme l’a dit un jour Mgr Anselme Titianma Sanou, c’est un privilège de servir sa nation à un si haut niveau. Cela vous permet d’influencer positivement le cours du destin. J’aurais voulu qu’on laisse les gens assister au conseil des ministres.   Ce sont de longs débats. C’est pour cela que les conseils des ministres durent.  Chacun des ministres vient de quelque part, est dans la société. Et moi en particulier, j’ai fait l’effort de rester moi-même. Et ça, c’est une vraie fierté.  On a souvent l’impression que ce n’est pas suffisant.  Mais la marche d’un peuple ne peut pas se faire au rythme qu’on veut souvent parce que nous sommes pluriels avec des niveaux d’éducation, de compréhension, de culture où il y a souvent des écarts énormes.  Les gouvernants ont une grande responsabilité. J’ai eu du plaisir à servir le peuple à ce niveau auprès du président du Faso. J’ai expérimenté concrètement des choses que je développais en théorie et j’ai vu qu’avec la volonté, on peut le faire. Je pense, par exemple,  à la nomination des cadres sur une base non partisane.

 

Revenons sur les leçons tirées !

 

 Avec de la volonté et le peu de moyens dont nous disposons, nous pouvons faire de grandes choses pour transformer qualitativement la vie des gens. Il faut, dans ces fonctions, rester vous-mêmes. Le pouvoir a quelque chose de mystérieux et de mystique qui peut vous griser et vous faire perdre le sens des réalités et de la mesure. Quand on est ministre, même pour monter dans votre voiture, on vous ouvre la portière, vous arrivez au bureau, on vous ouvre la porte. Même quand vous voulez allez pissez, l’agent de sécurité veut être là. Mais si vous n’êtes pas fort dans la tête, vous pouvez tilter parce que la République s’organise autour de vous pour vous permettre d’assurer le plus efficacement possible votre fonction.  Vous comprenez qu’il faut une force particulière que seul Dieu peut vous donner à travers la sagesse et l’intelligence pour comprendre qu’en fait, un ministre n’est rien d’autre qu’un serviteur. C’est ce que ça veut dire. Quand vous comprenez cela, vous n’avez plus de souci. S’il y a des leçons que j’ai apprises, c’est cela.

 

 Que pensez-vous de la gouvernance actuelle au regard des critiques formulées à l’encontre du MPP et  alliés ?

 

 A partir du moment où il y a des critiques, cela veut dire qu’il y a un problème. Je pense que ce ne serait pas responsable de considérer que c’est ceux qui ne nous aiment pas, qui critiquent. Dès lors que la presse, les leaders de la société civile, des activistes mettent le doigt sur des questions de gouvernance, il faut très rapidement prendre cela en compte et voir comment on trouve des réponses à ces questions. Le rôle d’un gouvernement, c’est d’apporter des réponses aux problèmes de son peuple. Le rôle de l’opposition, c’est de critiquer. Le rôle de la presse est de critiquer. Le rôle des syndicats, c’est de dire ça ne va pas ici ou là. Si vous ne comprenez pas tout cela, vous aurez des problèmes. Je l’ai expérimenté ; il faut même se réjouir que les choses soient ainsi. Lorsque vous gouvernez, vous êtes dans l’action. Vous ne pouvez pas tout voir. Le gouvernement pense bien faire, mais dans la mise en œuvre, il peut y avoir  des failles. Mais on ne peut pas être juge et partie. Il faut qu’il y ait d’autres acteurs qui alertent. Je dois dire que certainement  notre gouvernance a présenté des failles qui ont justifié un certain nombre de critiques. Un de mes jeunes esclaves (NDLR : parenté à plaisanterie)  que j’aime bien, Adama Amadé Siguiré, un des rares Yadga qui  m’a l’air intelligent, est allé jusqu’à dire que notre gouvernance est la pire de toutes. Je trouve que c’est excessif !  Je ne lui conteste pas un certain nombre de choses. Mais ce qu’il ne dit pas, et c’est  lui-même qui l’avait dit, répliquant à Newton Ahmed Barry, c’est qu’aujourd’hui, nous avons hérité de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Les attentes sont à un niveau maximal. Les gens sont plus exigeants et c’est normal. Ils sont plus sévères en termes de jugement sur un certain nombre d’insuffisances. Ils   ont pensé qu’on ne devrait plus entendre parler de ceci ou de cela, à savoir que dans les journaux, il y a de la corruption pour  des chantiers mal exécutés.  Deuxièmement, ce qu’il ne dit pas, c’est qu’aujourd’hui, la parole est libérée plus qu’hier. Troisièmement, ce qu’il ne dit pas, c’est que les canaux de diffusion se  sont multipliés et que même un paysan peut faire une  photo ou la vidéo du toit d’une classe qui a été arraché par le vent et la partager. Pourvu qu’il ait un smartphone.  Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Maintenant, ce que la gouvernance actuelle doit faire, c’est de se dire que nous sommes dans un environnement hyper ouvert et être plus vigilante dans l’exécution de la mise en œuvre d’un certain nombre de choses. L’autre problème est la Justice. Elle ne nous aide pas dans notre gouvernance. Elle doit sévir parce qu’elle en a les moyens juridiques.

 

Propos recueillis par Issa SIGUIRE  

 

Abdoul Karim Sango à propos du journal « Le Pays »

 

«  Merci de l’honneur que vous me faite en m’accordant cette interview dans un des organes de presse que j’estime comme figurant parmi les plus professionnels et les plus crédibles des 30 dernières années de notre processus démocratique. Je profite d’ailleurs souhaiter joyeux anniversaire à votre journal qui fête cette année ses 30 ans »


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