HomeA la uneABDOULAYE OUEDRAOGO, ECONOMISTE CONSULTANT VIVANT A WASHINGTON « C’est facile de se faire établir une carte consulaire aux Etats-Unis, mais celle-ci est moins crédible que le passeport »

ABDOULAYE OUEDRAOGO, ECONOMISTE CONSULTANT VIVANT A WASHINGTON « C’est facile de se faire établir une carte consulaire aux Etats-Unis, mais celle-ci est moins crédible que le passeport »


 

 

Arrivé au Burkina depuis le 11 juillet 2018 dans le cadre du Forum national de la diaspora burkinabè 2018, Dr Abdoulaye Ouédraogo vit à Washington aux Etats-Unis. Secrétaire général de l’Association des Burkinabè de Washington (ABURWA), économiste consultant à la Banque mondiale, à Washington,  il nous a accordé un entretien, le 8 août dernier, au siège des Editions « Le Pays ». Il est par ailleurs enseignant-chercheur à l’Université de Nevada Reno, Département d’Economie (School of Business) et Secrétaire général de l’Association des Burkinabè vivant dans la région de Washington (ABURWA).Dans l’interview qui suit, nous avons abordé avec lui, entre autres, des questions  relatives à la vie des Burkinabè à Washington, les problèmes d’intégration rencontrés et des questions d’actualité.

 

« Le Pays » :Depuis quand êtes-vous à la Banque mondiale ?

 

Dr Abdoulaye Ouédraogo : Je suis à la Banque mondiale depuis février 2017. J’y ai commencé en tant que Consultant alors que j’étais à l’Université de Nevada Reno où j’enseigne. Je faisais les va-et-vient jusqu’en septembre 2017.

 

Que faites-vous exactement à la Banque mondiale ?

 

Je travaille en tant qu’économiste sur des thèmes comme la macroéconomie, le budget de l’Etat, l’efficacité des dépenses budgétaires, les questions de décentralisation. Sur ce dernier point, par exemple, j’ai travaillé sur un projet portant sur la décentralisation au Burkina Faso et au Sénégal et sur des questions macroéconomiques de certains pays d’Afrique de l’Ouest comme  le Bénin, la Guinée-Bissau et plus. Présentement, je travaille sur des questions macroéconomiques en général sur les pays de l’Amérique latine et les Caraïbes tels que Trinidad et Tobago, Haïti, Guyane, etc.

 

Comment êtes-vous entré à la Banque mondiale ?

 

La Banque mondiale est la suite d’une recherche que je menais depuis l’Université de Nevada Reno. Quand j’y étais étudiant, j’ai travaillé sur un thème en lien avec les dépenses publiques en Afrique. Nous  avons examiné la cyclicité de l’investissement public dans les pays africains en utilisant des données de panel pour la période 1996-2012. Outre une analyse globale du continent africain, nous examinons également les investissements publics dans des sous-groupes de pays tels que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique des Etats africains (EECAS), Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), l’Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est (IGAD) et la Communauté de développement de l’Afrique  du Sud (SADEC). Notre analyse se concentre sur les retombées spatiales des chocs économiques en utilisant la pondération spatiale basée sur la contiguïté et la distance. Bien que nos résultats confirment la procyclicité des investissements publics en Afrique, le degré de procyclicité varie considérablement d’un groupe de pays à un autre. La procyclicalité devient moins significative lorsque les retombées spatiales sont prises en compte pour les pays de l’UEMOA, de la CEDEAO, de la CEMAC et de l’IGAD, mais elle devient plus forte pour la CEEAC et en particulier pour les pays de la SADEC. J’ai travaillé avec un économiste de la Banque mondiale sur ce thème de recherche  et nous avons signé un partenariat de recherche. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans une revue scientifique bien connue aux Etats-Unis. Ce docteur m’a demandé de travailler sur le projet de décentralisation de la Banque mondiale, menée par l’unité de gouvernance. A travers cette recherche, en tant que statisticien- économiste, j’ai eu donc l’opportunité d’entrer en contact avec d’autres structures telles que  l’Unité de macroéconomie de l’Afrique de l’Ouest qui m’a recruté. C’est après cela que j’ai eu le droit d’exercer pleinement ma fonction à la Banque mondiale.

Combien de Burkinabè y a-t-il au siège de la Banque mondiale à Washington ?

 

Je connais, en tout cas, quelques-uns, puisqu’à Washington, la Banque mondiale a pratiquement plus de six Buildings, dont le Building principal appelé le MC Building. Pour ce que je sais, il y a quelque 30 à 40 Burkinabè.

 

 

Comment se passe la journée d’un économiste titulaire d’un PHD à la Banque mondiale ?

 

Etre économiste à la Banque mondiale, ça veut dire qu’on travaille sur plusieurs projets tels que les aspects macroéconomiques de chaque pays. Un économiste peut se retrouver à travailler sur 2 ou 3 projets par pays, à plusieurs titres. En tant qu’économiste consultant, je travaille sous la supervision de mes supérieurs hiérarchiques. En somme, la journée typique d’un économiste commence par une rencontre dans la matinée, avec les autres. On fait des priorités en fonction des besoins et le  chef d’équipe indique le ou les projets sur lequel ou lesquels l’on doit travailler et maximiser. Après cela, chaque employé ou chercheur rentre dans son bureau pour travailler. On fait des rapports, des écrits ensuite et on se rencontre souvent les soirs pour apprécier l’évolution du travail d’ensemble. Chaque journée a ses spécificités. Parfois, on n’a pas de rencontre puisque chacun sait ce qu’il doit faire. Mais on se donne des deadline, en fonction de l’évolution des travaux.

 

Les Burkinabè sont-ils organisés  en association à Washington, à l’instar des Burkinabè de New York ?

 

Oui, les Burkinabè vivant à Washington ont une association dénommée « ABURWA », l’Association des Burkinabè de Washington. Elle a été créée en 2003 avec comme dénomination  « Association des Jeunes Burkinabè ». Celle-ci n’était pas reconnue par le gouvernement américain. Elle a été plus tard reconnue par l’autorité américaine en 2007, avec tous les documents nécessaires et a été rebaptisée « Association des Burkinabè de Washington (ABURWA) ».  C’est une association dynamique, à l’instar de celle des Burkinabè de New York et d’autres associations dans le reste des Etats-Unis.

 

Comment est–elle organisée, cette association ? Comment vit-elle et quels sont ses rapports avec les autres associations ?

 

Il faut dire que l’association compte entre 800 et 1000 membres et est dirigée par un bureau de 10 membres, assisté de 2 commissaires aux comptes. L’association a une feuille de route, un ensemble de programmes qu’elle va mettre en œuvre au cours des deux années qui suivent. En juin passé, nous avons organisé la nuit de l’excellence pour encourager et récompenser les meilleurs étudiants dans la région de Washington et créer un cadre de rencontres profitables à ceux qui désirent entreprendre des études. Nous organiserons le « Burkina day », comme l’association des Burkinabè de New York l’a fait l’année dernière en septembre. Nous organiserons, après cela, le Forum des Burkinabè vivant aux Etats-Unis à Washington et inviterons tous les présidents des associations aux Etats-Unis afin de réfléchir aux problèmes que nos compatriotes rencontrent et nous pencher sur les solutions.

 

Comment fonctionne l’ABURWA ?

 

Elle vit des cotisations de ses membres, soit 10 dollars US par personne qui travaille et 5 dollars pour les étudiants. Nous avons des activités à but non lucratif qui sont organisées, à savoir les nuits culturelles et autres, au cours desquelles nous mobilisons des fonds à travers des ventes. Nous avons souvent aussi le soutien de l’ambassade. Nous entretenons des rapports  avec d’autres associations. Nous voulons travailler en collaboration avec toutes les associations, de façon à unir nos forces pour le bien-être des Burkinabè vivant aux Etats-Unis. De sorte qu’un Burkinabè  qui vit à Washington, comprenne ce que vit son compatriote à New-York ou en  Californie, de sorte à recentrer les difficultés que les Burkinabè vivent et travailler ensemble à y trouver des solutions. Beaucoup d’entrepreneurs ou investisseurs travaillent de façon indépendante dans chaque ville. A travers le forum des Burkinabè, nous voulons entrer en contact avec tous les investisseurs, discuter avec eux et voir ensemble la possibilité qu’ils viennent investir au pays et être utiles au peuple burkinabè.

Quels genres de problèmes l’association rencontre-t-elle ?

 

Le premier problème que les associations rencontrent, pas l’ABURWA seulement, c’est le problème d’immigration. Il faut dire que le problème d’immigration est un problème très crucial que beaucoup de Burkinabè rencontrent. Beaucoup arrivent avec des statuts différents : certains viennent étudier, d’autres viennent en visiteurs ou pour travailler. Par la suite, il y a des difficultés d’intégration à travers la green card, la question de nationalité ou des situations de déportation que des associations rencontrent. Comment faire pour aider les personnes qui sont en voie de déportation ou d’expulsion ? Comment aider ceux qui ont des problèmes avec la Justice américaine en matière de demande d’asile ? Ce sont ces types de problèmes que rencontrent nos associations. L’autre aspect des problèmes est lié aux études que certains compatriotes viennent faire aux Etats-Unis. Il y a des problèmes de logement, de frais d’études, d’emploi après les études, qui se posent. Les associations sont confrontées aux problèmes de financement des études et elles s’efforcent d’œuvrer à faciliter les choses. En somme, nous travaillons,  en tant qu’associations, à faciliter pour tout ce monde, l’intégration sur le marché  de l’emploi américain.  Lorsque les étudiants finissent leurs cycles d’études, l’intégration sur le marché de l’emploi est très difficile. En tant qu’associations, nous ne pouvons pas leur trouver du travail, mais nous leur donnons des conseils, des orientations pour qu’ils puissent avoir de l’emploi ou rentrer au pays et se trouver un emploi.

 

La vie est-elle dure à Washington pour  un Burkinabè et de façon générale pour les Noirs-Africains ?

 

C’est une question d’économie. La vie aux Etats -Unis est la même comme en Europe, en Chine, au Japon, les pays développés en général.  L’intégration est très difficile au début, pour quelqu’un qui arrive nouvellement aux Etats-Unis. Pour trouver de l’emploi, il faut le permis de travail que beaucoup n’ont pas. Si tu as le permis de travail, il faut maintenant chercher du travail ; ce qui n’est pas facile. Autre chose : la vie est chère aux Etats-Unis. Il n’est pas donné à n’importe qui de prendre un appartement, de se trouver un logement, de joindre les deux bouts pour ainsi dire. L’intégration est très difficile pour les Burkinabè et les Noirs-Africains en général. La question du racisme qui est souvent vécue de façon implicite ou explicite, n’arrange pas les choses. Cela s’exprime souvent sur le marché de l’emploi. Un étudiant africain qui finit un Master ou un Doctorat, a plus de difficultés d’insertion professionnelle qu’un  étudiant américain, d’Asie ou d’Europe. La question de l’insécurité dépend des fréquentations, des heures de sortie et de retour à domicile…

 

Vous rentrez souvent au pays pour vos vacances. En tant qu’économiste, quel regard posez-vous sur le développement du Burkina ?

 

Depuis que je suis parti aux Etats-Unis en 2010, c’est la première fois que je reviens au pays. Mais en tant qu’économiste, je pense  que pour un développement économique, il faut un investissement  dans les infrastructures et dans les Hommes, pour développer le capital humain. J’encourage les autorités  à investir davantage dans ces deux secteurs. Les pays asiatiques qui se sont développés tels la Chine, le Japon, et même des pays d’Europe, ont pu l’être sur la base du capital humain. En économie, on dit que le capital humain est une combinaison de la croissance en capital et de la croissance en facteurs de productivité humaine. Le facteur de productivité humaine dans une croissance économique, est très important, comparé aux autres facteurs. Il  faut donc travailler à créer des emplois sur place et à faire venir au pays la main- d’œuvre qualifiée vivant à l’intérieur. Si le réseau routier est développé, cela facilite les transports et contribue à la création d’emplois. La création d’emplois crée un effet multiplicateur sur la croissance économique, sur le long terme. Il y a aussi la nécessité de travailler à accroître les recettes fiscales pour accroître le budget de l’Etat. Pour cela, il faut une politique de rigueur, d’efficacité, une bonne gouvernance pour que tout cela profite à toutes les couches sociales du pays. Une politique efficiente, efficace, ne s’accommode pas du manque de responsabilité politique, de la corruption ou de la fraude. On doit travailler à avoir une politique de dépenses efficace et réduire le déficit budgétaire. La croissance du pays a atteint 6,4% du PIB en 2017, grâce au secteur aurifère et à la hausse des investissements dans les infrastructures. Cependant, il y a une détérioration des finances publiques. Le pays connaît un déficit budgétaire dû au fait que les recettes fiscales n’arrivent pas à compenser les dépenses courantes tels les salaires, les transferts récurrents ainsi que les dépenses d’investissement public. Le déficit budgétaire a augmenté de 3,4% en 2016 à 8,2% en 2017. Le gouvernement devra poursuivre ses efforts pour augmenter ses recettes, et devra améliorer l’efficacité de son programme d’investissement.Dans les court et moyen termes (2018-2020), la croissance économique est estimée à 6% grâce aux secteurs de l’agriculture, des services et des mines ainsi que par la poursuite de l’investissement public. Le pays fait face à des risques internes et externes importants qui pourraient avoir des conséquences négatives sur sa croissance économique. Sur le plan extérieur, le pays est vulnérable aux fluctuations des prix d’importation du pétrole, des variations du cours de l’or et du coton. Sur le plan intérieur, la menace terroriste et les manifestations civiles pourraient avoir un impact sur le secteur minier, le tourisme et les recettes nationales.

Actuellement, il se mène un débat autour du Code électoral, par rapport au vote des Burkinabè de l’extérieur qui doivent utiliser comme instruments de votation, la CNIB et le passeport à l’exclusion de la carte consulaire. Quel est votre avis là-dessus, en tant que citoyen burkinabè vivant à l’étranger ?

 

Ce sera une première bonne chose si effectivement, en 2020, les Burkinabè de l’extérieur arrivent à voter. Aux Etats-Unis, par exemple, ce problème ne nous concerne pas beaucoup, parce la plupart des Burkinabè qui y vivent, sont dotés de passeport. Rares sont ceux qui ont une carte consulaire. Etant donné qu’en Afrique,  beaucoup utilisent la carte consulaire à l’instar de nos compatriotes vivant dans les pays comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire. C’est facile de se faire établir une carte consulaire aux Etats-Unis, mais celle-ci est moins crédible que le passeport. Je ne connais pas, dans les pays africains, les conditions d’établissement des cartes consulaires pour nos compatriotes. Je ne peux donc pas dire que voter avec ou sans carte consulaire, est bien  ou n’est pas bien. Mais, pour le moment, nous devons savoir que, dans toute œuvre humaine, les débuts sont difficiles. Il faut aller sur la base que pour  un début, on ne peut pas ouvrir la porte à tout le monde. Puisqu’il peut y avoir des problèmes qu’on ne sera pas capable de gérer après. On ouvre la porte, on permet de voter avec les documents crédibles tels que le passeport ou la CNIB en 2020. Après cela, en 2025, on pourra améliorer les conditions d’établissement des cartes consulaires et ajouter d’autres documents qui permettront de voter sans problème. Certes, en 2020, les Burkinabè de la diaspora ne pourront pas voter avec la carte consulaire, mais à l’avenir, il y aura plus de facilités et il  faut faire en sorte que  ce qui pose aujourd’hui problème, ne se pose plus à l’avenir. Jusqu’en 2020, on doit faciliter l’élaboration des CNIB et des passeports pour beaucoup de Burkinabè de l’extérieur. La grande question, c’est comment entrer dans les normes de vote avec la CNIB et le passeport pour les Burkinabè de l’étranger ? Le gouvernement devra donc faciliter les choses pour les compatriotes vivant à l’étranger.

 

Propos recueillis par Lonsani SANOGO

 

 


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