ACCORD ENTRE CIVILS ET MILITAIRES AU SOUDAN
Au Soudan, les civils et les militaires au pouvoir depuis la chute du président Omar el Béchir le 11 avril dernier, sont parvenus à accord. La déclaration politique a été signée, hier, 17 juillet 2019, au terme d’une réunion marathon. En effet, cet accord prévoit une transition de trente-neuf mois, qui sera dirigée par un Conseil de souveraineté au sein duquel les postes seront partagés entre les deux camps, avec une présidence tournante qui reviendra aux militaires pendant les 21 premiers mois avant de passer entre les mains des civils pour les 18 mois restants qui doivent déboucher sur les prochaines élections. En attendant la signature annoncée par les deux parties d’un décret constitutionnel d’une soixantaine d’articles, l’on peut s’interroger sur les chances d’aboutissement de cet accord qui ressemble à un grand piège.
Cette formule atypique et inédite de partage du pouvoir a toutes les allures d’un accord boiteux
En effet, l’on est d’autant plus fondé à croire à la thèse du traquenard que les militaires soudanais se sont montrés jusque-là inconstants dans leur position, soufflant le chaud et le froid avec les manifestants qui réclament leur retrait total, pour visiblement ne pas se mettre à dos la communauté internationale. En outre, malgré les apparences, tous les actes de ces hommes en kaki tendent à montrer que ces derniers n’ont pas la culture du partage du pouvoir, en témoigne l’iniquité originelle dans la durée de la présidence tournante du Conseil de souveraineté chargé de mener la transition. Autrement, qu’est-ce qui empêchait de procéder à une répartition équitable de la période de transition, entre civils et militaires ? Au-delà, la question de fond est de savoir ce qui empêche les putschistes soudanais de transmettre ici et maintenant le pouvoir aux civils dont la révolution a abouti à la chute du dictateur. Autant de questions qui amènent à se convaincre que cette façon, pour les militaires soudanais, de forcer la main aux civils pour conduire les 21 premiers mois de la transition, n’est pas anodine. Et rien ne dit qu’au bout de cette période, ils ne vont pas revenir sur leur parole, s’ils ne la mettent pas à profit pour couvrir leurs arrières en travaillant à positionner un des leurs à la prochaine présidentielle ou à effacer des indices compromettants contre certains des leurs, comme le putschiste en chef, le général Abdel Fatah Al Burhan, ou encore le commandant en chef des miliciens FSR, sur qui pèsent de forts soupçons de crimes. C’est dire si au-delà de la confiance en la junte militaire au pouvoir au Soudan, cette formule atypique et inédite de partage du pouvoir avec les civils ne pousse pas à l’optimisme. Pire, elle a toutes les allures d’un accord boiteux dont on ne serait pas surpris qu’il soit au finish inopérant, tant les hommes en kaki montrent une détermination, à nulle autre pareille, à garder la haute main sur le pouvoir à Khartoum. Le massacre, le mois dernier, de plus d’une centaine et demie de manifestants pour lever le siège du QG de l’armée devant lequel campait la foule depuis des mois, procède certainement de cette logique. Aussi, qu’on ne s’y trompe pas : la junte militaire au Soudan est bien partie pour pousser des racines au pouvoir à Khartoum.
Les militaires soudanais semblent prêts à tous les compromis acceptables pour parvenir à leurs fins
Et tout porte à croire que les actes qu’elle pose, visent une confiscation progressive et en règle du pouvoir. Mais avant, il faut ramener le calme dans la rue. Et c’est ce à quoi elle semble s’atteler, en donnant le sentiment de lâcher du lest tout en gardant le contrôle de la situation. C’est pourquoi le peuple soudanais doit rester vigilant. Car, c’est le sort de sa révolution et son aspiration au changement véritable qui sont en jeu, face à des militaires qui n’ont visiblement aucune envie de retourner dans leurs casernes. Et tout porte à croire que plus que le jugement de leurs compatriotes, les putschistes soudanais sont gênés aux entournures par l’opinion internationale qui risque de les clouer au pilori le cas échéant et surtout la crainte de la Cour pénale internationale (CPI) qui demeure, quoi qu’on dise, une épée de Damoclès qu’ils ne veulent visiblement pas voir planer sur leur tête. A l’image de leur mentor de président déchu qui risque d’être rattrapé par son passé avec l’institution pénale internationale qui a délivré pas moins de deux mandats d’arrêt internationaux contre lui. En tout état de cause, il appartient aux Soudanais de prendre dès à présent leur destin en main. Autrement, ils risquent de payer le prix de leur compromission avec des militaires qui n’ont pas d’autre ambition que la conservation du pouvoir. C’est ce qui pourrait expliquer, entre autres, le jeu trouble auquel ils s’adonnent ; eux qui semblent prêts à tous les compromis acceptables pour parvenir à leurs fins, d’autant plus que leur sort en dépend.
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