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ACQUITTEMENT DE JEAN-PIERRE BEMBA


Des insomnies pour Kabila

Le vendredi 8 juin a été marqué par un évènement qui fera certainement date dans l’histoire de la Cour pénale internationale (CPI). En effet, c’est ce jour-là que trois des cinq juges de la Cour d’appel de la juridiction de la Haye, ont prononcé l’acquittement de l’ancien vice-président congolais, Jean-Pierre Bemba. Pour les trois juges donc, la responsabilité de l’ancien chef de guerre congolais n’est pas engagée dans les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par ses hommes en RCA (République centrafricaine) entre 2002 et 2003. De ce fait, la Cour d’appel a estimé que l’homme avait été arbitrairement condamné à 18 ans de prison en première instance. Cet acquittement a pris tout le monde de court. Même parmi les partisans du chairman, la surprise est totale, mais c’est la bonne. C’est pourquoi ceux-ci n’ont pas manqué de laisser libre cours à leur allégresse, à l’annonce de l’acquittement de leur champion.

Le Gbagboland s’est mis à rêver

A contrario, le bureau de la procureure Fatou Bensouda, de même que les quelque 5 000 victimes enregistrées de la barbarie des miliciens de l’ancien vice-président congolais, en ont été meurtris. Si la réaction d’indignation des victimes est légitime et compréhensible, parce que l’espoir qu’on leur rende justice vient de prendre un grand coup par cet acquittement inattendu, l’on peut dire, en ce qui concerne le bureau de la procureure, que cet acquittement sonne comme la rançon de ses propres turpitudes. En effet, pour trois des cinq juges de la CPI, des erreurs de procédure sérieuses ont été commises par la Chambre de première instance. La Cour d’appel reproche notamment à la chambre de première instance d’avoir pris en compte dans la condamnation de Jean-Pierre Bemba, des crimes qui n’étaient pas mentionnés dans la notification des charges. Comparaison n’est pas raison, mais l’on peut dire que Laurent Gbagbo qui, depuis 8 ans, est dans les geôles de La Haye pour pratiquement les mêmes raisons que l’ancien vice-président congolais, pourrait bénéficier de la jurisprudence Bemba, dans l’hypothèse où il serait condamné. Ce parallèle vaut d’autant plus son pesant d’or qu’il est de notoriété publique que dans l’affaire Laurent Gbagbo/Charles Blé Goudé, les preuves de la charge ont été jugées insuffisantes. C’est fort de cela que le Gbagboland s’est mis à rêver du scénario d’un acquittement du « Christ » de Mama, au cas où celui-ci viendrait à être condamné en première instance. Mais attendons de voir si les mêmes causes produiront les mêmes effets. Car, pour le moment, on est en train de se perdre en conjectures, puisque le jugement de Laurent Gbagbo est encore loin, peut-on dire, de connaître son dénouement. Cela dit, s’il y a un homme qui risque des insomnies suite à cet acquittement, c’est bel et bien l’actuel homme fort de Kinshasa. Joseph Kabila, puisque c’est de lui qu’il s’agit, peut sérieusement se faire du mouron depuis ce 8 juin, date à laquelle la personne qui peut lui tenir la dragée haute en RDC, est en passe de rentrer au bercail. En effet, et c’est le moins que l’on puise dire, les 10 ans passés dans les geôles de La Haye, n’ont pas suffi à effacer Jean-Pierre Bemba de la mémoire des Congolais et des Congolaises. A l’Ouest du pays et dans la capitale, ils sont nombreux à ne jurer que par Bemba.

Kabila n’a visiblement pas accompli sa part de contrat

Ils voient notamment en lui l’homme qui a le profil pour restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et positionner la RDC sur la voie du développement. Dans son Equateur natal, il est pratiquement perçu comme un messie. Et sa proximité avec la famille de Feu Mobutu, qui a encore de nombreux fans au Congo, ajoutée au fait qu’il règne sur un impressionnant empire financier hérité de son père, sont des arguments qui font de lui un candidat sérieux à la succession de Kabila. Cerise sur le gâteau, ni Félix Tshisékédi, ni Moïse Katumbi et encore moins Joseph Kabila, n’ont le charisme du chairman comme l’appellent affectueusement ses nombreux partisans. En un mot comme en mille, l’acquittement de Jean-Pierre Bemba est la pire des nouvelles pour Joseph Kabila. Déjà, à l’élection présidentielle de 2006-2007, il a pu prendre la pleine mesure du poids politique de son ancien vice-président. En rappel, les deux hommes étaient arrivés en tête du scrutin, avec notamment un écart de pourcentage qui n’était rien du tout pour Jean-Pierre Bemba. Certains Congolais avaient même perçu son transfèrement à La Haye puis sa condamnation, comme un deal entre la communauté internationale et le pouvoir de Kabila ;  histoire de permettre à ce dernier de stabiliser ce pays-continent et d’éviter de plonger toute la région des Grands-Lacs dans la tourmente. Douze ans après ce « deal », Joseph Kabila n’a visiblement pas accompli sa part de contrat. Pire, chaque matin que Dieu fait, il se rase en caressant le rêve de s’accrocher au pouvoir et cela, au grand dam non seulement des Congolais, mais aussi de la communauté internationale. La parade donc trouvée par la communauté internationale pour le bouter hors du pouvoir, pourrait être l’acquittement de Jean-Pierre Bemba. C’est, du moins, la lecture qu’en ont faite certains observateurs de la vie politique congolaise. Ce décryptage, qui est loin d’être farfelu, vient malheureusement apporter de l’eau au moulin des tenants de la thèse selon laquelle la CPI est un instrument politique aux mains de la communauté internationale. Cela dit, les partisans de Jean-Pierre Bemba auraient tort de pousser un cocorico bruyant. Car le fossé qui existe entre son acquittement et la possibilité de tuer le veau gras pour célébrer le retour effectif au Congo de l’enfant prodige, est grand. Même dans l’hypothèse où on lui remettrait dans les prochains jours, un bon de sortie de prison, il y a de fortes chances que Kabila fils fasse légiférer en toute urgence l’Assemblée nationale de manière à lui interdire l’accès au Congo. Moïse Katumbi en sait quelque chose. En tout cas, dans un pays qui marche sur la tête et où le président fait feu de tout bois pour s’accrocher au pouvoir, ce scénario est loin d’être farfelu.

« Le Pays »


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