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AFFAIRE THOMAS SANKARA  


Ceci est une tribune d’un juriste, Aziz Tiemtoré, en réaction à la sortie de Me Hermann Yaméogo en lien avec le dossier Thomas Sankara. Pour le président de l’UNDD, « faire juger l’ancien Président Compaoré serait, pour le président Kaboré, se déjuger, violer une disposition constitutionnelle ». Pour l’auteur de la présente déclaration, cette sortie de Me Hermann est un « procès en sorcellerie au président Kaboré ». Lisez plutôt !

 

« Laisser juger l’ancien président Compaoré, serait pour le président Kaboré démontrer son attachement à l’Etat de droit, et non se déjuger, ni violer une disposition constitutionnelle ! Dans le journal Le Quotidien n°2941 du 15 juin 2021 à la page 6, on lit, sous la plume de Me Hermann Yameogo, un article dont le titre est :  « Faire juger l’ancien Président Compaoré serait, pour le président Kaboré, se déjuger, violer une disposition constitutionnelle ». Le même article a été publié dans le journal « Le Pays » n°7350 du mardi 15 juin 2021 avec pour titre : « Procès de Blaise Compaoré : « ce n’est pas le moment d’aggraver les fissures nationales », selon Hermann Yaméogo.  En parcourant cet article, on note un mélange de genre où le droit et la politique sont entremêlés à des fins de confusion. Me Hermann Yaméogo fait un réquisitoire pour sauver la tête de son client Blaise Compaoré mis en accusation dans le dossier d’assassinat du président Thomas Sankara et 13 de ses compagnons. Tout son argumentaire est construit autour d’inexactitudes qu’il me plaira de démontrer dans les lignes qui suivent. Faire juger l’ancien président Blaise Compaoré serait, pour le président Kaboré, démontrer son attachement à l’Etat de droit, et non se déjuger, ni violer une disposition constitutionnelle.  Le président Kaboré ne dispose d’aucun pouvoir de faire juger le président Compaoré. L’ancien président Compaoré est poursuivi par les ayants droit légitimes du président Thomas Sankara et de ses compagnons pour des faits d’assassinat. Le   président Kaboré n’est donc pas partie à ce procès. En quoi peut-il faire juger le président Compaoré ?   Tous les juristes connaissent la formule « pas d’intérêt, pas d’action ». Cette affirmation tendancieuse est complètement inexacte en droit et en fait. S’il est vrai que sous le régime du président Compaoré, lui, détenait le pouvoir de faire juger ou de déjuger en fonction de ses intérêts qui il voulait, le président Kaboré, lui, n’a pas la chance d’avoir cette faculté.  Me Hermann se trahit lui-même. Son article permet de comprendre pourquoi, sous   le règne du président Compaoré, jamais les dossiers emblématiques n’ont pu être jugés. Encore, convient-il de rappeler à Me Hermann que l’une des causes de l’insurrection qu’il pourfend, c’est le règne de l’impunité qui a caractérisé en partie l’ère Compaoré. Les Burkinabè n’oublieront pas de sitôt la fameuse théorie des juges acquis développée par le ministre Boureima Badini, alors ministre de la Justice. Voilà pourquoi une des principales réformes entreprises par les insurgés,   a été de garantir l’indépendance de la Justice. On peut oser affirmer de nos jours que la Justice burkinabè figure parmi une des plus indépendantes dans le monde. Et le président Kaboré ne cesse de marteler sans cesse, qu’il est attaché à l’esprit des réformes contenues dans le pacte sur le renouveau de la Justice.  Par ailleurs, je n’ai pas souvenance que le président Kaboré ait pris un quelconque engagement de garantir l’impunité au président Compaoré. Comment le pourrait-il dans un Burkina post- insurrectionnel ? Il s’est plutôt engagé   en faveur de la réconciliation nationale sans jamais faire une impasse sur la vérité et la justice. Et cela correspond à l’aspiration d’une frange majoritaire de notre opinion nationale. Sur le cas spécifique de la mise en accusation du président Compaoré, Boureima Jérémie Sigué, fondateur d’un des plus importants quotidiens du Burkina, le journal « Le Pays », répondant à un journaliste de Rfi, a dit ceci : « C’est déjà bien que le procès se tienne et je pense que ce sera service rendu à l’histoire, à la nation burkinabè et même à Blaise Compaore lui-même ».  En revanche, sur la question du retour du président Compaoré, le président Kaboré a dit qu’il était important que cela se fasse en respectant son statut d’ancien chef d’Etat. Quoi de plus normal ?   Peut-on interpréter ce propos comme étant un droit, pour le président Compaoré, à ne pas être jugé ? Non. Les anciens Chef d’Etat du Burkina Faso disposent d’un statut qui leur confère des droits et privilèges. Toutefois, aucune disposition de ce statut ne leur garantit une immunité juridictionnelle. Me Hermann, juriste, avocat de son Etat, sait très bien que dans un Etat de droit, nulle autorité, fut-elle le président de la République, ne dispose de pouvoirs que les lois ne lui auraient confiés expressément.  Dans le cas d’espèce, les seuls pouvoirs dont disposent le président Kaboré, sont le droit de grâce et l’initiative en matière d’amnistie.  Sur le second point de son argumentation, Me Hermann affirme que faire juger le président Compaoré serait, pour le président Kaboré, violer une disposition constitutionnelle. Avec autant d’arguments juridiques évoquant maladroitement le principe de non rétroactivité des lois, on a envie de dire à Me Hermann, puisque vous êtes si sûr de votre droit, allons-y rapidement au procès. Vous y plaiderez mieux la cause de votre client.  Il est tout de même surprenant que Me Hermann   puisse adouber l’amnistie votée par la loi de révision du 11 juin 2012 et qui dispose en son article 168 que : « Une amnistie pleine et entière est accordée aux chefs d’Etat du Burkina Faso pour la période allant de 1960 à la date d’adoption des présentes dispositions ». Cette révision constitutionnelle est moralement et juridiquement contestable. Elle est moralement contestable parce qu’elle n’avait pour   seul objectif que de garantir l’impunité au président Compaoré. Au moment de son adoption en 2012, les deux seuls chefs d’Etat vivants et concernés par la disposition, étaient le président Compaoré lui-même et le président Jean Baptiste Ouédraogo. Sur le président Ouédraogo, on n’a jamais entendu qu’il lui était reproché des faits qualifiés de crimes ou délits en lien avec son passage à la tête de l’Etat. L’amnistie de 2012, votée par une Assemblée nationale soumise à la volonté du président Compaoré, n’était ni plus ni moins qu’une auto amnistie du président Compaoré au président Compaoré.  Et cela révèle davantage une des faces hideuses du régime Compaoré, où les lois ont souvent été instrumentalisées à des fins privées.  Cette révision est juridiquement inopérante parce que l’on est dans l’hypothèse d’une fraude à la Constitution. Les lois de révision constitutionnelle ne peuvent servir à des fins personnelles et être contraire à l’intérêt général. N’eut été la forte dépendance du juge constitutionnel de l’époque, la révision aurait été frappée d’inconstitutionnalité.  Le parlement de la Transition était donc moralement et juridiquement fondé à anéantir les effets juridiques de la révision de 2012 en l’abrogeant. La loi constitutionnelle 072-2015/CNT est, à tout point de vue, légale et légitime. Du reste, Me Hermann lui-même ne démontre pas en quoi cette loi de révision constitutionnelle est contestable. En abrogeant la loi de révision constitutionnelle de 2012, l’amnistie est censée n’avoir jamais existé dans notre dispositif juridique. Et de ce point de vue, le président Compaoré est justiciable des faits pour lesquels il est mis en accusation.    C’est donc faire un procès en sorcellerie au président Kaboré que d’affirmer tout de go : « Faire juger l’ancien président Compaoré serait, pour le président Kaboré, se déjuger, violer une disposition constitutionnelle ». Alea jacta est !

 

Aziz Tiemtoré

Juriste, spécialiste du droit constitutionnel »

 

 


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