HomeA la uneAMINA BILLA MINISTRE DELEGUEE CHARGEE DU BUDGET A PROPOS DE SA NOMINATION : « Evaluez-moi donc… »

AMINA BILLA MINISTRE DELEGUEE CHARGEE DU BUDGET A PROPOS DE SA NOMINATION : « Evaluez-moi donc… »


La Transition prend fin avec l’investiture du nouveau président élu, Roch Marc Christian Kaboré. Mais, pendant la gestion de cette Transition, s’il y a un secteur qui a été beaucoup sollicité et souvent décrié, c’est bien celui de l’économie. Le secteur du Budget n’a donc pas été en reste, et mieux, il était le plus souvent décrié lors des différentes manifestations. Dans cet entretien, la ministre déléguée chargée du Budget, Amina Billa/Bambara, revient sur une année pleine de rebondissements avec des mesures vigoureuses pour une gestion du Budget, à même de répondre aux attentes des populations. La réduction du train de vie de l’Etat, l’audit dans les différentes institutions et ministères, la question du fonds commun, les nominations…, la ministre est revenue sur tous ces sujets sans langue de bois. Lisez !

 

« Le Pays » : Qu’est-ce que vous retenez de votre participation au gouvernement de la Transition ?

Amina Billa/ Bambara : En tant que ministre déléguée chargée du Budget, j’ai pu apporter ma contribution, en collaboration avec le ministre de l’Economie et des finances et l’ensemble de nos collaborateurs, au succès de cette Transition, avec les moyens qui étaient mis à notre disposition et surtout, en tenant compte des diverses contraintes. Donc, c’est un sentiment de mission accomplie car, vous le savez, beaucoup de lois ont été élaborées et exécutées à l’image de la loi de finances portant loi de règlement de 2013. Il y a aussi la loi de finances initiale de 2016 qui a été adoptée et également exécutée. La loi de règlement de 2014 a été présentée au CNT et le budget de l’année 2016 a également été adopté. Mais, le temps n’a pas été véritablement notre allié, la crise socio-politique non plus. Sinon, nous aurions pu afficher de meilleurs résultats dans le domaine de l’économie et des finances. Comme l’a dit le président du Faso par qui nous avons été instruits pour apporter notre contribution, nous avons, par nos actions, tracé des sillons que je qualifierais, dans le domaine du budget, de sillons assez profonds pour un renforcement des résultats de développement pendant la Transition et pour la période post-Transition.

A combien s’élève le budget de l’Etat 2016 en dépenses et en recettes ?

 

Pour ce qui concerne le budget 2016, il faut dire qu’à la date où nous l’avons présenté au CNT, il se chiffre en dépenses à 1 823 133 000 000 F CFA et en recettes à environ 1 583 576 000 000 de F CFA. A cela, il faut ajouter le déficit budgétaire qui passe de 287 milliards de F CFA en 2015 à environ 239 milliards en 2016. L’élément qu’il faut compléter pour présenter le budget de 2016, est l’épargne budgétaire. Si nous prenons les recettes propres de l’Etat auxquelles on soustrait les dépenses courantes, il nous reste environ 27 milliards de F CFA pour investir en 2015. Donc, il fallait recourir à des financements extérieurs afin de venir à bout d’un certain nombre d’investissements. Cette épargne budgétaire a été légèrement rehaussée pour atteindre 62 milliards de F CFA. Voilà globalement présenté le budget de l’Etat 2016. Il faut aussi dire qu’en 2015, nous avons entrepris un certain nombre d’actions et de reformes que je vais aborder par étapes. D’abord, il faut noter que ce sont les recettes qui sont à la base de toute la programmation budgétaire pour le financement du développement de l’économie. Sur cette base, les premières actions vigoureuses qui ont été entreprises se situent au niveau de la mobilisation des ressources. Notamment, le tracking qui est le suivi satellitaire des marchandises au niveau de la douane, de sorte à ce que toutes les marchandises qui quittent le port puissent entrer à Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso sans être déversées en cours de route. Avec l’application de cette réforme, nous avons la certitude que nous pourrons disposer des ressources douanières à la hauteur des ambitions de développement de notre pays. A cela, il faut ajouter la facture normalisée que nous avons initiée pour une mise en œuvre effective à partir de 2016. Parce que nous savons que c’est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui, de plus en plus, est la première source de revenus propres de l’Etat. Donc, il faudra instaurer cette facture normalisée pour capter toutes les taxes sur la valeur ajoutée, qui auraient été collectées par le secteur privé. De par le passé, nous avons constaté qu’il y avait des opérateurs économiques qui collectaient la TVA sans pour autant la reverser à l’Etat. Mais, avec cette facture normalisée, nous avons une belle opportunité de disposer de ressources au niveau des impôts. En outre, il y a une autre réforme que certains qualifierons de mineure mais qui, en réalité, est un indicateur de la définition de l’impôt. C’est à ce niveau que l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) frappe désormais les émoluments des députés à l’Assemblée nationale. Nous n’avons pas cessé de réclamer l’imposition des émoluments des députés qui, pour nous, n’est autre qu’un élément du salaire. Cela a été l’un des exploits de la Transition.

Est-ce à dire que les députés doivent désormais payer les impôts ?

Exactement, et au même titre que le fonctionnaire qui n’a que 50 à 60 mille F CFA par mois. Les émoluments des députés doivent être frappés de l’impôt. Fort heureusement, les députés de la Transition ont accepté cela. C’est donc une réforme qui va nous permettre de disposer de ressources substantielles pour le développement de notre pays. Des exemples comme ceux que j’ai cités sont nombreux. J’ajouterai aussi le recensement fiscal que nous avons effectué en 2015. Le dernier recensement fiscal date de 2006 alors que la segmentation des contribuables évolue d’une année à une autre. Un opérateur économique peut se déclarer dans le secteur informel et payer ainsi une petite taxe au cours de l’année sur sa production et son chiffre d’affaires. Alors que ce même opérateur économique peut évoluer vers une moyenne entreprise. Donc, il fallait faire tous les deux ou trois ans une mise à jour de nos contribuables. Cet exercice n’a pas été fait depuis 2006. Cette année, nous avons effectué cette segmentation des entreprises en nous concentrant sur les villes de Bobo-Dioulasso et Ouagadougou qui représentent environ 97,5% du potentiel de contribution des Burkinabè à la fiscalité. Pour ce qui concerne les dépenses, nous avons aussi entrepris des réformes vigoureuses. Nous avons, à ce niveau, instauré le contrôle physique de la commande publique. Cela voudrait dire que désormais, il ne suffira plus d’afficher une paperasserie pour donner la preuve que vous avez réalisé un service donné ou un marché donné. Il faudra en plus donner la preuve que ce marché a été exécuté sur le terrain. Dès le premier forum des contrôleurs financiers, j’ai instruit le contrôle financier à prendre en compte le contrôle physique de la commande publique. Donc, si toutefois, la paperasserie est présentée pour attester la réalisation d’un marché, il faut que le contrôle financier (la commission d’attribution des marchés ou de réception des marchés) se déporte sur les lieux pour s’assurer que le service a été fait ou si le marché a été bien exécuté. Sinon, de par le passé, vous avez souvent entendu parler de cathédrale dans le désert ou d’éléphant blanc. Nous avons également pris des mesures pour réduire le train de vie de l’Etat. Toute chose qui a fâché plus d’un mais, heureusement, nous avons pu économiser pratiquement 40 milliards de F CFA pour garantir le financement des élections et mobiliser 25 milliards pour le financement du PSUT.

« 25 000 agents sur les 35 000 que compte la Fonction publique et qui émargent au Système Intégré de Gestion administrative et salariale du personnel de l’Etat (SIGASPE), percevaient des indemnités indues »

 

Ces 40 milliards récoltés l’ont été suite à la réduction du train de vie au niveau de votre institution ou au niveau de toutes les institutions ?

C’est au niveau de toutes les institutions. Nous avons essayé de recadrer l’ensemble des missions qui se faisaient hors de Ouagadougou. Certaines structures avaient trouvé cette astuce de délocaliser leur atelier de réflexion hors de Ouagadougou parce qu’il y avait la possibilité d’avoir des perdiems. Dans ces conditions, un cadre peut percevoir 50 000 F CFA par jour même si l’atelier se tient juste à Loumbila ou à Koudougou. Les uns et les autres profitent donc de cette situation et souvent, reviennent dormir à Ouagadougou pour repartir le lendemain tout le long de l’atelier. Des va-et-vient qu’ils font avec le carburant de l’Etat. Ce sont ces aspects que nous avons essayés de recadrer et cela nous a permis de faire des économies substantielles. Il y a également le fait qu’au niveau de ces ateliers, les listes de présence comportaient souvent des figurations. Désormais, il faut donner la preuve que l’intéressé était présent et le pointage devrait se faire au jour le jour. Toujours dans ce même volet, nous avons courageusement annulé les rubriques du genre, matériel et mobilier de l’ensemble des ministères et institutions et rien que pour cela, nous avons pu économiser 5 milliards de F CFA. Nous avons réduit d’environ 25% toutes les réunions et les conférences parce que nous avons constaté qu’il y avait des abus et à ce niveau, nous avons eu plus de 900 millions de F CFA. A cela, nous avons ajouté une mesure qui nous a permis de réduire à hauteur de 25% tout ce qui est matériel et appui aux activités. En réalité, c’est parce que depuis 14 ans, nous avons été au cœur même de la gestion du budget que nous savons où se trouvent exactement ces poches de gaspillage. Rien que pour la rubrique matérielle et appui aux activités, nous avons économisé plus de 10 milliards de F CFA. Ce qui a agacé beaucoup de fonctionnaires et il faut le dire, c’est l’opération billetage.

Aura-t-on un budget d’austérité en 2016 ?

Je laisse la latitude et le loisir à chacun de qualifier ce budget. Sinon, celui que nous avons préparé et que nous avons défendu à l’Assemblée nationale n’est autre qu’un budget d’austérité. Avec l’ensemble des réformes que je viens d’énumérer, il se peut, avec un peu de poigne, qu’on puisse davantage booster la mobilisation des ressources et également réduire les gaspillages au niveau du budget. A ce moment, on pourrait avoir plus d’économies et sortir de l’austérité. Mais, nous avons voulu nous en tenir à une prévision assez réaliste pour qu’il n’y ait pas de chocs qui puissent contraindre les nouvelles autorités à prendre des lois de finances rectificatives. Nous sommes convaincus qu’avec le programme qui a permis que le nouveau président soit élu, il y aura une loi de finances rectificative d’ici au plus tard la fin du premier trimestre. Mais, il se peut que ce soit encore un budget d’austérité. Je voudrais souligner qu’il ne faut pas voir d’un mauvais œil cette expression budget d’austérité. C’est plutôt un budget d’extrême rigueur et de sincérité. Lorsque vous parcourez la loi de finances rectificative que nous allons présenter au niveau de l’Assemblée nationale, vous constaterez qu’il n’y a pas eu d’écart énorme entre les prévisions et les réalisations. C’est pour cela qu’on parle de budget sincère et de rigueur que d’aucuns qualifieraient de budget d’austérité. Sinon, ce n’est pas un budget diabolique.

Qu’est-ce qui vous a motivée à mener l’opération de billetage ?

 

Au niveau de la solde, nous avons constaté qu’il y avait des régularisations qui devraient être faites et qui ne se faisaient pas. Un agent pouvait quitter un poste tout en continuant à percevoir les indemnités y afférentes parce que peut-être sa structure d’origine n’a pas envoyé la documentation nécessaire au niveau des finances pour qu’on puisse corriger ses indemnités. Certains agents fournissaient des pièces administratives pour se voir octroyer des régularisations énormes. J’ai même été une fois témoin. L’agent, selon ce qu’il m’a dit, aurait demandé une disponibilité et par la suite, il a repris ses fonctions. Mais, je n’ai pas eu de preuves qu’il a repris ses fonctions. Il est donc parti chercher une pièce administrative pour une reprise de service à titre de régularisation. Mais, comment un agent peut-il vivre pendant deux ans sans salaire et s’en sortir ? Cela a failli être un problème pour moi et j’ai même failli être violentée par l’agent en question. J’ai dû me replier car je n’avais aucun pouvoir de décision. Lorsqu’on m’a nommée ministre déléguée en charge du Budget, j’ai donc voulu vérifier si ce genre de pratiques perdurait. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé l’opération billetage qui a été intégrée au niveau des mesures de réduction du train de vie de l’Etat. Cela consiste à vérifier, d’abord, la présence effective des agents et contrôler la régularité et l’exactitude des éléments de rémunération qui sont servis au niveau des agents de l’Etat, afin que nous puissions ramener la masse salariale à une proportion assez raisonnable. En 2009, nous avions une masse salariale d’environ 205 milliards de F CFA et en 2015, nous avions près de 469 milliards de F CFA alors que la performance au niveau de la mobilisation des recettes fiscales n’est pas au rendez-vous. Ce qui fait que nous n’arrivions pas à répondre au critère de convergence au niveau de l’UEMOA à laquelle nous appartenons. En effet, au niveau de l’UEMOA, il est exigé que 35% des recettes fiscales soient allouées aux dépenses de personnel. Malheureusement, nous sommes à environ 40% et souvent même 45%. Donc, il fallait vérifier où se trouve le problème, d’où l’opération billetage.

Les résultats de cette opération étaient-ils satisfaisants ?

Je me suis rendu compte que la pratique qui était en cours lorsque j’étais à la solde, n’a pas du tout changé et a même pris de l’ampleur. Car, au terme de l’opération billetage, après avoir fait le point, nous avons constaté qu’il y avait environ 1 113 agents qui percevaient indument des salaires. C’est-à-dire des personnes décédées ou des personnes qui ont quitté leur poste depuis des années mais qui continuaient à percevoir des salaires. Ne serait-ce que pour ces cas, nous avons pu économiser 2,7 milliards de F CFA. Au-delà de cet aspect, il y a les indemnités qui sont servies aux agents. A cet niveau, nous nous sommes rendu compte que 25 000 agents sur les 35 000 que compte la Fonction publique et qui émargent au Système intégré de gestion administrative et salariale du personnel de l’Etat (SIGASPE), percevaient des indemnités indues de salaire. Au niveau de la masse salariale, c’est près de 8,5 milliards de F CFA que l’Etat perd par an. En somme, pour l’opération billetage, nous avons pu économiser 11,3 milliards en 2015.

Au regard de ces aspects, n’y a-t-il pas lieu que l’Etat modernise l’Administration, étant donné que l’on ne peut pas continuer à faire du billetage ?

Dans la sous-région, notre logiciel de gestion des salaires et du personnel de l’Etat fait partie des plus performants au point même qu’il est exporté en Afrique centrale. Ce n’est donc pas une affaire de modernisation mais plutôt une affaire de responsabilisation.

« Il faut désormais soumettre les marchés par voie de cotations à la conférence »

Au niveau des marchés publics, quelles sont les réformes que vous avez apportées ?

Effectivement, c’est le secteur qui entraîne beaucoup de gaspillage des ressources de l’Etat. Nous avons entrepris des réformes dans ce secteur. Mais, ce qu’il faut savoir sur les marchés de gré à gré qui étaient abusivement octroyés à certains opérateurs nonobstant les procédures formelles d’appel d’offre ouvert, nous avons, pour le compte de 2015, un peu dérogé à une norme qui nous était imposée. Il y a un critère qu’il faut respecter et que nous n’avons pas pu, malheureusement, prendre en compte. Parce que nous avons eu des situations où il fallait faire la passation du marché, son exécution et sa réception, la même année, c’est-à-dire, en 2015, pour afficher cela comme étant des résultats de la Transition. A circonstances exceptionnelles donc, mesures exceptionnelles. C’est pour cela que nous n’avons pas pu respecter cette limite imposée. Néanmoins, il faut dire que le gré à gré est une procédure autorisée et légale, seulement, il ne faut pas en abuser. C’est pour cette raison qu’on a mis un plafond et ce plafond, nous n’avons pas pu le respecter, mais notre démarche a participé à la réduction du train de vie de l’Etat. Nous considérons l’année 2015 comme étant une année anormale dans l’exécution de la dépense publique. C’est ce qui a justifié notre démarche. Sinon, désormais, il faudrait répondre à tous les critères normaux d’octroi de marché de gré à gré. Même si pendant la Transition, nous n’avons pas pu respecter ce critère, il faut souligner qu’il y a une certaine vigilance qui a été observée. Notre département s’est rendu compte, à un moment donné, qu’il y a eu un marché qui a été octroyé par appel d’offres ouvert à un opérateur économique. Pour les questions d’urgence qui s’imposaient et justifiant donc le gré à gré, les services techniques sont repartis vers cet opérateur économique. Mais, nous nous sommes rendu compte que le prix du gré à gré était deux fois plus élevé que le prix en appel d’offre ouvert. Pourtant, cela devrait être l’inverse. Donc, naturellement, nous avons refusé d’octroyer le gré à gré. C’est ce genre de rigueur que nous avons observé, même si cela n’a pas été du goût de certaines personnes. Mais, dans tous les cas, je pense que la machine est en marche. Au niveau des baux de l’Etat, nous avons constaté que c’était la chasse gardée de quelques individus. C’était une pratique dans laquelle il fallait connaître x pour voir son bâtiment loué par l’Etat. Quand nous sommes arrivés, nous avons ouvert le marché à la concurrence. Désormais, en fin d’année, on exprime les besoins de location et tout le monde souscrit et on choisit l’offre la plus économique pour permettre à l’Etat de faire des économies et de les injecter dans d’autres domaines. S’agissant de la cotation qui est un marché de maximum 5 millions de F CFA, les textes permettent, dans ce cas précis, de consulter trois fournisseurs pour choisir le moins disant financièrement. Mais la stratégie des services administratifs consistait à consulter une même entreprise qui va se débrouiller pour fournir deux autres factures proforma. Au final, vous avez trois factures proforma mais dans la réalité, il s’agit de la même entreprise qui s’est multipliée. Pour éviter cela, au 2e forum des contrôleurs financiers, nous avons décidé qu’il faut désormais soumettre les marchés par voie de cotations à la conférence. Cette procédure ne sera donc plus soumise au gré seulement du responsable du service administratif et financier qui cherchait des factures proforma de complaisance pour présenter.

N’avez-vous pas peur que ces réformes ne soient plus appliquées après votre départ ?

Avant de répondre à cette question, permettez-moi d’aborder le cas des entreprises défaillantes qui continuaient à bénéficier des marchés publics. Cela a fait l’objet de constatations au niveau des bailleurs de fonds. Même sur financement extérieur, on constatait qu’il y avait des entreprises défaillantes qui étaient attributaires de certains marchés. Donc, les bailleurs de fonds ont souhaité qu’on puisse désormais lister et publier toutes les entreprises défaillantes afin de les écarter complètement de la concurrence. A ce niveau, nous avons été confrontés à l’absence de critères bien définis qui puissent qualifier une entreprise de défaillante. Nous nous sommes mis à la tâche et nous avons élaboré les critères pour déclasser certaines entreprises de la passation de la commande publique. Cet aspect a aussi fâché plus d’un. Mais, nous avons fini par constituer la liste que nous n’avons pas pu publier.

Pourquoi n’avez-vous pas pu publier la liste ?

Nous avons adopté le décret juste à la fin de l’année. Car, il fallait faire la liste, ensuite, la soumettre à une instance tripartite – secteur privé, Etat et OSC. Il fallait donc du temps. Pour éviter qu’on dise que nous continuons à travailler alors que nous sommes à la fin de notre mandat, nous laissons ce travail à nos successeurs. Pour revenir à votre question, sur l’application des reformes après notre départ, permettez-moi d’abord de féliciter tous nos collaborateurs. Malgré le fait que certains ont voulu afficher l’image d’un climat malsain au niveau du ministère de l’Economie et des finances, nous avons eu une équipe très soudée qui a apporté sa contribution en termes de détermination et d’engagement afin que les réformes puissent connaître un aboutissement. La mise en œuvre de ces réformes a commencé avec cette équipe. Donc, à ce personnel dévoué, engagé, tout comme l’ont été les premiers responsables, je voudrais leur tirer mon chapeau. Je profite également de l’occasion pour les appeler à continuer dans cette logique. C’est vous dire que les réformes ne se sont pas résumées à un seul individu, mais à tout le personnel et nous sommes sûrs qu’avec les autorités qui vont prendre la relève, le travail va continuer.

Quelle est la situation de la dette intérieure au jour d’aujourd’hui ?

Nous sommes venus trouver une dette intérieure assez élevée. Nous avons pu, en fin juin, régler pratiquement toute la dette intérieure de 2014 qui remontait à environ 300 milliards de F CFA. Il était de notre devoir de le faire, sinon on aurait pu utiliser ces 300 milliards de F CFA pour investir en 2015 et avoir des résultats pour qu’on puisse applaudir les instances de la Transition. Mais une telle situation ne serait pas responsable de notre part. Parce que ce sont ces mêmes entreprises qui sont encore appelées à exécuter de nouveaux marchés. Il fallait donc épurer cette dette et donner la chance à ces entreprises pour redémarrer leurs activités, réaliser des chiffres d’affaires, collecter la TVA pour après la reverser à l’Etat. C’est donc une affaire de l’œuf et de la poule. Nous avons aidé le secteur privé en payant la dette intérieure mais, en quelque sorte, c’est à l’Administration elle-même que nous avons apporté un souffle. A la date d’aujourd’hui, nous avons environ 40 milliards de F CFA en instance de paiement, ce qui diffère de la dette intérieure. Lorsqu’une dépense n’a pas été payée au bout de 90 jours, on peut la classer comme étant une dette. Ce qui n’est pas le cas pour la dette intérieure. Donc, pour les instances de paiement, nous sommes à environ 40 milliards de F CFA. D’ailleurs, on aurait souhaité ne pas en avoir, n’eût été le putsch manqué qui a créé plus de dommages que l’insurrection. Contrairement à ce que de grands théoriciens disent, nous, praticiens, au niveau de l’économie et du budget, avons fait le constat que le putsch manqué a été plus dommageable pour l’économie et les finances publiques.

Est-ce à dire qu’aujourd’hui, il n’y a pas de plainte de chèques impayés ?

Pour ce qui concerne les chèques impayés, nous avons eu quelques difficultés. Il faut d’abord connaître le principe. C’est-à-dire, si un opérateur importe de la marchandise, au lieu de payer les taxes de douane en espèces, il délivre un chèque. Mais, au moment d’encaisser, on se rend compte que ce sont des chèques sans provisions. On peut comprendre qu’un opérateur économique puisse faire cela une fois, deux fois et exceptionnellement trois fois. Mais figurez-vous que nous avons vu des cas où des opérateurs économiques ont signé jusqu’à 111 fois des chèques impayés. Cela veut dire quelque part qu’il y a de la complicité. Nous avons donc pris une décision ferme qui consiste à ne plus recevoir de chèques au niveau des structures telles que la douane et les impôts. Il faudra désormais aller déposer le chèque à la banque pour s’assurer effectivement s’il y a des provisions qui puissent assurer le paiement.

« La présidence n’a pas été en mesure de justifier l’utilisation des crédits du dernier semestre de 2014 »

L’enquête parlementaire a relevé qu’il y avait plus de 100 milliards de F CFA de fraudes fiscales. Quels commentaires faites-vous de cette situation ?

 

C’est un aspect qui touche souvent de gros intérêts si fait que nos services n’ont pas souvent le courage d’aller en profondeur pour faire le travail. Mais, je crois que c’est la partie visible de l’iceberg. Sinon, ce qu’on ne voit pas dépasse cela. Mais, pour nous en convaincre, nous avons demandé à l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat (ASCE) d’aller au niveau des impôts, de la douane et accéder au cœur de leur serveur pour s’assurer que cette évasion fiscale n’est pas allée très loin. Mais, des échos qui nous ont parvenus, il ressort que le problème est très profond. C’est comme si nous avions un cancer. Mais, contrairement au cancer qui est difficilement traitable, je pense que pour ce cas précis, on peut trouver une solution. D’ailleurs, je dirais que la solution est pratiquement toute trouvée car, il s’agit simplement d’identifier l’origine de ces malversations, de cet incivisme qu’on qualifierait de crime fiscal, pour régler le problème.

Qu’est-ce qui a motivé l’audit de la présidence du Faso qui, il faut le dire, est inédit ?

C’est vrai que l’on a essayé de nous reprocher d’avoir introduit l’ASCE dans une institution aussi spéciale qu’est la présidence du Faso. Mais, ce sont les uns et les autres qui considèrent que c’est une institution supra nationale. Sinon, au niveau du budget, c’est une institution qui a le même traitement que toutes les autres. La règlementation en vigueur voudrait que lorsque vous sollicitez le décaissement de crédit budgétaire pour la 1re tranche de 2015, vous justifiez dans l’intégralité les crédits que l’on vous a octroyés au dernier semestre de l’année 2014. En l’absence de justifications, on ne doit pas logiquement vous accorder de crédit. Mais, nous avons constaté, à notre arrivée, que beaucoup de ministères et d’institutions étaient dans l’incapacité de nous présenter la justification des crédits du dernier semestre de 2014. Dans ce pays, lorsqu’on adopte une mesure, on est les premiers à applaudir. Mais, on refuse par la suite que ces mesures nous soient appliquées. Pourtant, il faut de la transparence et de la recevabilité. Dans le souci de ne pas déroger à ces règles et dans le souci de permettre le fonctionnement des ministères et institutions, nous avons accepté d’allouer des crédits pour le premier semestre de l’année 2015 à ces structures qui n’ont pas justifié les crédits de 2014. Mais, nous avons dit qu’en contrepartie, nous allions envoyer l’ASCE et l’Inspection générale des finances (IGF) pour qu’elles vérifient l’utilisation des fonds. La présidence n’a pas été en mesure de justifier l’utilisation des crédits du dernier semestre de 2014. C’est pourquoi elle a subi les mêmes traitements budgétaires que toutes les autres institutions, notamment l’audit.

Quel est le coût du fonctionnement de la présidence du Faso par an ?

Le budget de fonctionnement de la présidence n’est pas un secret. D’ailleurs, tous les budgets de fonctionnement des ministères et institutions sont dans « la brique », le budget de l’Etat qui est disponible partout et même sur le site du MEF, finances.gov.bf. Sur ce site, vous trouverez le budget dans toutes ses composantes. Donc, il suffit seulement de regarder et vous vous rendrez compte. Pour l’année 2015, le budget de fonctionnement s’élevait à 7,9 milliards de F CFA. Et, tenez-vous bien, nous l’avions projeté à 6,65 milliards de F CFA alors que la demande totale qui a été exprimée était de 8,26 milliards. Cela constitue 4% du budget de fonctionnement de tout l’Etat burkinabè. Il y a des ministères ou des institutions qui ont moins que cela. Mais, là où il faut faire très attention, c’est que la présidence du Faso a pratiquement tout son budget de fonctionnement et cela est dû au fait qu’elle ne bénéficie d’aucun financement des PTF. C’est ce qui fait sa spécificité.

Pourquoi avez-vous annulé les cérémonies de présentation de meilleurs vœux à la Première dame ?

C’est cette mesure qui a dicté le reste des mesures de réduction du train de vie de l’Etat. Au départ, lorsque nous avons fait le premier Conseil des ministres, où chaque ministre a présenté les problèmes au sein de son département, la première des choses que le président du Faso a demandée, c’est de tout faire pour revoir le budget qui a été présenté par l’ancien gouvernement et de contracter la dépense pour en avoir une maîtrise tout en préservant l’atteinte des résultats de développement initiaux. Il a donc dit, en guise d’exemple : « Pour la présentation de vœux à mon épouse, arrêtez ça ». C’était le top départ de l’ensemble des mesures de réduction du train de vie de l’Etat car, pour lui, il n’y a pas de Première dame au Burkina, il n’y a que l’épouse du chef de l’Etat. Et le président d’ajouter que l’expression « Première dame » n’est pas une expression consacrée dans la Constitution et dans la Charte. Dans la finalisation des mesures de réduction du train de vie de l’Etat que nous avons consignées dans un document qui sera largement publié, nous n’avons pas remis en cause les festivités sur la présentation des vœux. Nous avons dit simplement qu’il n’y aura plus de financement à la présentation de vœux de la Première dame. Mais, cela peut être organisé et financé par d’autres ressources.

Parce que c’était coûteux ?

C’est environ 48 millions de F CFA que coûtait la présentation des vœux à la Première dame. Et, sachez qu’il y avait un texte qui avait été préparé pour institutionnaliser cette présentation de vœux à la Première Dame. J’ai eu la chance d’avoir mis la main sur ce texte que j’ai vite fait de mettre à la poubelle.

D’où est venu le texte ? Du ministère en charge de la promotion de la Femme ?

Je ne vous dirai pas d’où émane le texte mais, je sais que c’est un arrêté qui avait besoin de la signature du MEF. J’imagine que le ministre d’antan ne l’a pas examiné mais, nous, notre première réaction a été de le froisser. Pensez-vous que la promotion de la femme passe par l’organisation de telles cérémonies ? Combien sont-elles les femmes qui peuvent sortir de leur situation avec 48 millions de F CFA ? Donc, en tant que femme, je ne pourrai en aucun cas cautionner ce genre de pratiques.

Quelle appréciation faites-vous de l’exploitation de l’or au Burkina Faso ?

Au niveau du secteur minier, il faut fournir des efforts pour avoir la sincérité des recettes qui sont collectées. Quoi qu’on dise et même si le cours mondial de l’or ne fait que baisser, il faut reconnaître que le Burkina est de plus en plus une mine à ciel ouvert. Cela voudrait dire que la quantité d’or produite par an ne fait qu’augmenter. Donc, la perte au niveau de la valeur peut être rattrapée au niveau de la quantité. Mais, encore faut-il cerner la vraie quantité qui a été produite et qui a été raffinée. C’est en cela qu’il faut entreprendre une « chasse » aux fraudeurs dans le domaine. Les services du MEF, particulièrement la douane, a eu à saisir, deux fois de suite, des agents qui exportaient frauduleusement l’or du Burkina. Il se pourrait et nous soupçonnons qu’il y a de la fraude à ce niveau. Le gouvernement de la Transition, au regard de cette situation, a eu à doter l’Office national de la sécurité des sites miniers et le bureau chargé de la lutte contre la fraude au niveau des mines, de suffisamment de crédits pour que le travail de contrôle puisse se faire. Aussi, c’est l’or raffiné qui voit son cours chuter et non l’or brut produit au niveau du Burkina. Il faudrait aussi que nos opérateurs économiques s’intéressent à ce domaine car, il se peut qu’il y ait de la déperdition au niveau du retour de l’or raffiné. Car, rien ne nous dit que la quantité d’or raffiné qui nous a été communiquée, correspond réellement à la teneur contenue dans l’or brut produit. Mais, nous nous réjouissons que le CNT ait adopté le nouveau Code minier que nous avons introduit en tenant compte du taux d’imposition au niveau des sociétés minières, qui avait été rabaissé à 17% de leur chiffre d’affaires. Mais, nous l’avons rehaussé conformément au taux du droit commun qui est de 27%.

L’année 2015 a aussi été marquée par des mouvements d’humeur du Syndicat national des agents des finances (SYNAFI). Comment expliquez-vous cet imbroglio entre vous et vos collègues ?

Nous avons l’habitude de dire que les syndicats sont des partenaires sociaux. Nous ne les appelons même pas des syndicats. Parce que, mieux ils sont à l’aise et motivés dans leur travail, mieux l’Administration fonctionne bien. Dans ce sens, nous ne pouvons que respecter leurs missions. Peut-être, ce qui n’a pas été au rendez-vous, c’est la méthode. En cette année de la Transition, nous avons pensé qu’étant financier et étant au cœur même de la dépense et des recettes, nous comprenons mieux les difficultés que connaît le pays. Et, je ne pense pas qu’une année a été aussi difficile que cette année sur le plan budgétaire. Mais, nous n’avons pas compris pourquoi, au niveau des syndicats, il n’y a pas eu cette compréhension. A vous entendre, je crois que vous faites certainement allusion à ce mot qui fâche que j’ai souhaité ne plus aborder, mais comme vous m’y obligée, je reviendrai là-dessus. Il s’agit du fonds commun qui constitue la pomme de discorde qui a existé à un moment donné. C’est l’aspect qui a beaucoup fâché pendant la Transition et n’eût été cette situation, nous aurions pu, au niveau des finances publiques, atteindre des résultats plus élevés que ce que nous avons présentés. Brièvement, en réalité, le fonds commun est une motivation bien fondée qui a été proposée à l’ensemble des corps au niveau du MEF afin de les encourager à mobiliser les ressources pour ne pas succomber à la tentation de la corruption et de la fraude. A un moment donné, cette mesure a été étendue à l’ensemble des financiers. Et je tiens à préciser que si, au cours de cette année, nous avons eu des performances, c’est plus à cause de la rigueur observée que de la mobilisation des ressources. Car, l’environnement économique et socio-politique n’a pas permis aux régies de recettes d’être assez performantes. C’est pourquoi la mesure a été étendue à un moment donné à tout le monde. Mais, de ce qui m’est parvenu, le mécontentement serait venu du fait que je sois des leurs, c’est-à-dire un financier. Alors que dans le partage, pour eux, il y aurait eu une discrimination négative vis-à-vis des financiers. Pour eux, c’est moi, en tant que financier et ministre, qui n’ait pas joué mon rôle pour les protéger. Mais, à moins que ce ne soit de la mauvaise foi, ils devraient comprendre comment se fait le financement de ce fonds commun. Sinon, ils doivent savoir que ce montant peut être mandaté sans que le ministre délégué chargé du Budget ne soit informé à bonne date. J’ai beau essayer de me justifier, ils ne m’ont pas crue. Pour eux, c’est moi qui n’ai pas joué ma partition et j’aurais dû intervenir pour qu’il n’y ait pas de discrimination et surtout qu’il y ait une égalité de traitement entre les financiers et les comptables. Comme cette année, le problème a pris des proportions inquiétantes, entraînant quelquefois la paralysie du fonctionnement du ministère, le gouvernement nous a dessaisi de l’affaire du fonds commun. C’était devenu une affaire gouvernementale. Et nous n’avons pas cessé de dire que le ministre et moi avons été appelés à la tête du ministère pour piloter l’action de tout l’Etat burkinabè et non pour le MEF seulement.

Vous venez d’être nommée ambassadrice. Pour certains, cette nomination est une nomination de complaisance. Comment vous réagissez à cela ?

(Rires). Une nomination de complaisance, vous dites… ? Peut-on empêcher les uns et les autres d’avoir la lecture qu’ils veulent se faire d’une situation ? La nomination s’est faite sur la base d’un certain nombre de critères. Et je ne vais pas me mettre à la place des autorités du pays pour répondre du pourquoi de ma nomination. Les autorités ont estimé que j’ai encore ma contribution à apporter étant dans la diplomatie. C’est l’occasion pour moi de les remercier de nous avoir donné encore une opportunité de faire nos preuves et d’apporter notre contribution. Si je parle d’autorités, ce sont les autorités de la Transition et les autorités post-Transition. Je profite également remercier la reine du Royaume de Danemark qui a accepté notre accréditation auprès de son pays. J’invite donc les intéressés à la patience et qu’ils me donnent un peu de chance. Ils verront alors   si c’est une nomination de complaisance ou pas. Dans tous les cas, au début de la Transition, que n’a-t-on pas dit au sujet de ma nomination en tant que ministre déléguée en charge du Budget ? Pour certains, le pays était foutu car on a nommé une simple animatrice de télé comme ministre du Budget. Evaluer moi donc… Il ne faut pas avoir des a priori et personnellement, je ne juge jamais mon prochain. Mais, je n’empêche pas mon prochain de me juger. L’essentiel, c’est qu’on me donne cette chance de faire mes preuves comme je l’ai fait au niveau du Budget.


Comments
  • BIEN DEFENDU

    30 décembre 2015
  • Force est de constater des améliorations…. Mais où en sest-on avec le projet FBR(Financement Basé sur les Résultats) dans la santé?
    Êtes vous parti sans signer les contrat des ACV Agence de Contractualisation et de Verification FBR?

    30 décembre 2015
  • Voilà qui est bien dit! Une personne mure et compétente, qui dérange par sa rigueur et ses qualités humaines. Bon vent à vous, Que Dieu vous éclaire dans votre nouvelle mission au profit du Faso

    30 décembre 2015
  • J aurai bien aime que cette monimation soit confirme par le nouveau mais bon allons maintemant

    30 décembre 2015

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