APPEL A LA LIBÉRATION DE MILITANTS DU PPA-CI : Et si Amnesty International avait raison ?
Amnesty International appelle à la libération immédiate des 26 membres du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), le parti de l’ex-président Laurent Gbagbo. L’ONG de défense des droits de l’Homme estime que ces militants condamnés le 9 mars dernier, sont arbitrairement détenus et cela, contrairement à leurs droits à la liberté de réunion pacifique, à la liberté d’expression et à la liberté de mouvement. L’occasion faisant le larron, l’ONG a lancé à l’endroit du gouvernement de Côte d’Ivoire, un appel de portée générale sur la manière dont la Justice est rendue dans le pays : « Nous appelons par ailleurs les autorités ivoiriennes à garantir des procédures judiciaires et à respecter les droits garantis par les conventions internationales et régionales de protection des droits humains ratifiés par la Côte d’Ivoire », a laissé entendre Firmin Mbala, chercheur au bureau Afrique de l’Ouest et du Centre de Amnesty International. Pourquoi le pouvoir ivoirien se fait-il ainsi remonter les bretelles ? Telle est la question que l’on pourrait se poser.
Pourquoi la Justice ivoirienne a-t-elle eu la main aussi lourde?
Pour comprendre le coup de sang de l’ONG internationale, il faut remonter à la genèse de l’affaire. Les 26 militants du PPA-CI, arrêtés le 24 février 2023 et placés sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), s’étaient rendus devant les locaux du juge d’instruction, dans la capitale ivoirienne, pour apporter leur soutien à Damana Pickass, Secrétaire général du parti de Gbagbo, convoqué par le juge en charge des enquêtes et de la lutte contre le terrorisme. L’homme était entendu pour son implication présumée dans l’attaque du camp militaire du deuxième bataillon projetable, situé à Anokoua Kouté dans la commune d’Abobo, qui a essuyé des tirs nourris de plusieurs assaillants dans la nuit du 20 au 21 avril 2021, aux environs de 1h du matin. Estimant que les accusés s’étaient rendus coupables de troubles à l’ordre public « même sans violence » dans une affaire de convocation personnelle, le juge les a condamnés à 24 mois de prison ferme. La question que l’on peut se poser est la suivante : pourquoi la Justice ivoirienne a-t-elle eu la main aussi lourde pour ce rassemblement qu’elle-même a reconnu pacifique ? La première explication que l’on pourrait avancer, est que cette lourde sentence visait à donner un avertissement à leur mentor pour l’ensemble de ses œuvres, depuis qu’il s’est illustré négativement en déchirant publiquement les résultats de la présidentielle de 2010 jusqu’à ses récentes déclarations que d’aucuns estiment incendiaires et préjudiciables au processus de réconciliation nationale en cours au pays de Félix Houphouët Boigny, sous l’égide de son héritier politique, le président Alassane Dramane Ouattara. Une seconde explication serait liée au fait que les militants incarcérés du PPA-CI auraient arboré le drapeau russe. L’on pourrait, de ce fait, comprendre que les autorités ivoiriennes ont voulu, dans un contexte sous- régional caractérisé par la forte progression de l’influence russe, tracer une ligne rouge à ne pas franchir dans une Côte d’Ivoire qui s’affiche très clairement comme le fleuron du pré-carré français en Afrique de l’Ouest.
La Justice ivoirienne aura bien du mal à se défaire de cette image de Justice aux ordres
En effet, pour éviter que les petites rivières ne finissent par constituer un fleuve torrentiel qui emporte tout sur son passage, Alassane Dramane Ouattara, réputé pour être le fidèle allié de Macron en Afrique subsaharienne, a voulu tarir à la source tout penchant pro-russe. Mais quelle que soit l’hypothèse que l’on épouse, l’impression qui se dégage de cette condamnation est que les 26 accusés ont été condamnés pour une faute qui n’existe pas. C’est pourquoi l’on est tenté de croire qu’il s’agit purement et simplement d’un procès politique tout comme d’ailleurs le pense le porte-parole du PPA-CI, Justin Koné Katinan, qui accuse le pouvoir d’instrumentaliser la Justice « à des fins politiques ». Et il faut le dire, la Justice ivoirienne aura bien du mal à se défaire de cette image de Justice aux ordres. Quand on est dans le collimateur du pouvoir du président Alassane Dramane Ouattara, on fait l’objet d’une véritable persécution judiciaire qui, aussitôt, s’estompe dès qu’on retourne sa veste pour amadouer le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Cette posture du régime ivoirien et de sa Justice, amène à se poser des questions sur la sincérité du processus de réconciliation en cours en Côte d’Ivoire. Cela dit, il ne faut pas être dupe et croire que l’opposition ivoirienne est une innocente victime. En effet, il n’est pas exclu qu’en optant pour la défiance du pouvoir en place, elle ne s’inscrive dans un processus qui vise non seulement à occuper permanemment le devant de l’actualité et occuper ainsi le terrain politique, mais aussi à augmenter son capital de sympathie auprès de l’opinion politique nationale et internationale en se présentant comme un martyr. Dans un tel scénario, l’on pourrait penser que la Justice ivoirienne s’est laissée prendre au piège de l’opposition et sert donc malgré elle, la cause des opposants en Côte d’Ivoire. Et pour arrêter d’être un jouet aux mains des hommes politiques, la Justice ivoirienne, comme on le dit au bord de la lagune Ebrié, « doit quitter dans ça ». Et c’est bien là tout le sens de la sortie d’Amnesty International.
« Le Pays »