APPEL AU DIALOGUE DU POUVOIR BURUNDAIS: La stratégie du « blaguer-tuer » de Nkurunziza
Sous la pression de la communauté internationale, le pouvoir burundais se dit prêt à engager le dialogue avec l’opposition qui continue de protester contre la candidature du président Nkurunziza pour un troisième mandat, malgré sa validation par la Cour constitutionnelle. Et pour ramener le calme, il propose de libérer les manifestants emprisonnés contre l’arrêt des manifestations avec un renoncement explicite à la récidive. Autant leur dire d’abandonner le combat. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette main tendue du pouvoir burundais ressemble à un cadeau empoisonné. Car, la reddition des contestataires qu’il n’a pas obtenue par la force, il croit pouvoir l’obtenir par la roublardise.
Nkurunziza ne montre aucune disposition à fléchir et enfonce davantage son pays dans la crise
Sinon, pourquoi n’avoir pas amorcé ce dialogue bien avant, afin d’éviter des pertes en vies humaines ? Pourquoi avoir attendu la forfaiture de la Cour constitutionnelle, avant d’engager de tels pourparlers ? Tout cela semble bien calculé. Et c’est ce qui fait croire que l’attitude du pouvoir burundais n’est pas sincère. Elle est même nauséabonde. Elle l’est d’autant plus que cette offre élude le fond du problème qui l’oppose à une bonne partie de ses compatriotes, au point de paralyser le pays : le renoncement pur et simple du président Nkurunziza à un troisième mandat en violation de la Constitution du Burundi et des accords d’Arusha qui lui ont valu son accession au pouvoir. Et
pour l’opposition, c’est ce qui devrait constituer avant tout le préalable pour espérer une paix des braves.
Mais en faisant la sourde oreille, Nkurunziza ne montre aucune disposition à fléchir et enfonce davantage son pays dans la crise. Si fait que le marché qu’il propose à ses adversaires ressemble à une ruse de guerre pour faire avaler des couleuvres à ses adversaires. C’est la stratégie du « blaguer-tuer ». La preuve, l’opposant Audifax Ndabitoreye a été arrêté hier et tenu dans un endroit secret. Et il n’aura pas échappé à l’opposition que le semblant de main tendue du satrape ne vise en réalité qu’à désamorcer la situation sans faire de concession, en s’appuyant sur la légalité que lui confère l’onction de la Cour constitutionnelle. Sinon, pourquoi poser l’arrêt des manifestations comme condition à la libération des personnes arrêtées, à la levée des mandats d’arrêt contre les chefs du mouvement et à la réouverture des radios privées, comme si c’est principalement cela que demande l’opposition? Si ce n’est pas du chantage, cela y ressemble fort, et c’est ce qui en fait un marchandage indécent, dans lequel le seul véritable gagnant sera Nkurunziza. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que l’opposition ait rejeté cette proposition. Car, pour elle, elle est dans son droit. Et « on ne négocie pas un droit ». C’est plutôt l’attitude du pouvoir qui est condamnable, lui qui tue, emprisonne à tour de bras, réduit au silence des médias et des citoyens, simplement parce qu’ils s’opposent à ce qui est ni plus ni moins qu’une forfaiture constitutionnelle.
Au demeurant, qu’est-ce qui dit que si l’opposition cède, Nkurunziza ne montera pas les enchères parce que se sentant en position de force ? De toute façon, il a déjà obtenu gain de cause : la
validation de sa candidature par la Cour constitutionnelle, même si pour cela, il a fallu qu’il force la main à cette dernière.
On se demande si la tenue même des élections n’est pas menacée
En tout état de cause, même s’il ne l’avoue pas ouvertement, ces manifestations avec leur cortège de morts, de blessés et d’interpellations, gênent aux entournures le pouvoir burundais qui aurait bien aimé se passer d’une telle mauvaise publicité à l’échelle mondiale, pour une cause qui est loin d’être noble. Cela dit, on se demande si l’action engagée par la Communauté internationale sous l’égide de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) portera fruits. Réussira-t-elle à faire fléchir Nkurunziza désormais fort du soutien de la Cour constitutionnelle ?
De toute évidence, Nkurunziza a peut-être gagné une bataille, mais pas la guerre. Car, à l’allure où vont les choses, l’on se demande si la tenue même des élections n’est pas menacée. En effet, en marge de la présidentielle du 26 juin prochain, les législatives et les communales sont officiellement prévues dans trois semaines et la campagne électorale devrait commencer dans trois jours. Mais si la situation devait rester en l’état voire empirer, l’on peut nourrir de sérieux doutes quant à la tenue effective de ces élections à la date indiquée, mais aussi et surtout aux conditions de transparence et à la crédibilité du scrutin. Et un chamboulement total du calendrier électoral n’est pas à exclure. Du reste, l’opposition a déjà demandé le report de ces élections, en raison de la situation sécuritaire qui n’est pas garantie. De son côté, la communauté internationale s’active pour trouver une issue à la crise. Mais si par dépit ou faute de consensus, celle-ci devait mettre à exécution sa menace de suspendre son aide au processus électoral en raison de la polémique en cours, le pouvoir burundais risque de se retrouver dans de beaux draps, sans soutien.
En tout état de cause, tant que les manifestations continueront, Nkurunziza n’aura ni le sommeil ni la conscience tranquilles. Même s’il feint d’être serein. Et il portera la responsabilité des violences qui auront fait basculer son pays dans le chaos, à cause de son égoïsme et de son entêtement à ramer à contre-courant de l’histoire.
« Le Pays »