ARRESTATION DE SOLDATS IVOIRIENS A BAMAKO : Quels peuvent en être les non-dits ?
Les quarante-neuf soldats ivoiriens arrêtés le 10 juillet dernier à l’aéroport international de Bamako, sont en détention préventive en attendant d’être jugés. Ainsi en ont décidé les autorités de la transition malienne pour qui ces militaires ne sont ni plus ni moins que des « mercenaires ». Ce, malgré les explications d’Abidjan qui parle d’«une incompréhension malheureuse » ; assurant, la main sur le cœur, qu’il s’agit de soldats de l’armée régulière partis assurer la relève d’un contingent de sécurisation de sites de la Minusma (Mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation du Mali). A en croire Abidjan, la forme a été mise pour l’arrivée de ces soldats en terre malienne. Que s’est-il donc passé pour que les choses dérapent et virent à l’incident plus que diplomatique, Bamako allant même jusqu’à affirmer que l’objectif des soldats ivoiriens était de « briser la dynamique de la Refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que le retour à l’ordre constitutionnel » ? De graves accusations qui ne vont certainement pas améliorer des relations déjà froides entre les deux pays.
Si les relations entre Abidjan et Bamako avaient été saines, c’est une affaire qui aurait pu se régler dans le secret de la voie diplomatique
Car, le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, est vu, avec son homologue nigérien, Mohamed Bazoum, comme les tenants de l’aile dure de la CEDEAO contre le Mali qui vient de bénéficier d’un allègement de ses sanctions, en attendant qu’il donne de meilleures garanties de sa bonne foi pour une levée totale des sanctions à la faveur du retour du pays à l’ordre constitutionnel normal. Mais pour que les tombeurs d’Ibrahim Boubacar Kéita en arrivent à mettre carrément les…godasses dans le plat en criant haut et fort au loup tout en accusant ouvertement Abidjan de volonté de déstabilisation de la transition, l’on suppose qu’ils disposent d’arguments et de preuves beaucoup plus solides que le manque d’ordre de mission ou encore les versions divergentes des mis en cause, brandis jusque là. Car, l’on veut bien croire à la thèse du complot contre Bamako, mais il est quand même fort de café qu’un commando déstabilisateur d’une cinquantaine de soldats, censé venir renverser un régime militaire, puisse se présenter aussi allègrement avec armes et bagages à l’aéroport de Bamako pour jouer les Rambo. C’est dire si au-delà des déclarations officielles, il y a des raisons de croire que cette affaire comporte aussi des non-dits. Quels peuvent-ils en être ? Là est la véritable question qui en appelle aussi d’autres. Abidjan nourrit-elle de véritables intentions malveillantes envers les autorités intérimaires de Bamako au point de vouloir manœuvrer pour leur chute? Bamako joue-t-elle à fond la carte de la victimisation, ou encore celle de l’intox à l’effet de tenir Abidjan par la barbichette dans cette transition qui ressemble à une partie de poker-menteur qui est loin d’avoir retourné toutes ses cartes ? Bien malin qui saurait répondre à ces questions. Toujours est-il que si les relations entre Abidjan et Bamako avaient été saines, c’est une affaire qui aurait pu se régler dans le secret de la voie diplomatique, si tant est qu’il s’agisse seulement de dysfonctionnements administratifs ou d’un manque de communication entre partenaires.
On peut aussi se demander si l’arrestation de ces soldats ivoiriens n’a pas un lien de cause à effet avec cette résolution onusienne
Tout comme Bamako aurait pu tout simplement renvoyer les soldats ivoiriens à Abidjan, comme elle avait contraint le contingent danois de la force européenne Takuba à rentrer à la maison, pour ce qui passait à ses yeux comme une atteinte à sa souveraineté et un vice de procédure. Mais en procédant à ces accusations frontales qui ne peuvent qu’envenimer les relations entre les deux pays, et en choisissant la voie judiciaire pour régler le différend, l’on peut se demander si les autorités de Bamako ne cherchent pas à faire de ces soldats ivoiriens, une prise précieuse contre Abidjan. Car, il ne faut pas oublier la position du président ADO au sein des instances de la CEDEAO, mais également l’affaire Karim Kéita, du nom de ce fils de l’ex-président IBK, réfugié en Côte d’Ivoire depuis la chute de son père dans les conditions que l’on sait, et qui semble bénéficier de la bienveillance et de la protection du locataire du palais de Cocody, au grand dam des autorités de Bamako qui ont délivré un mandat d’arrêt international contre lui. Il y a aussi le fait que selon l’armée ivoirienne, le déploiement de ce contingent entre dans le cadre de sa contribution à la Minusma. Quant on sait que le Mali a récemment obtenu le renouvellement du mandat de cette force multinationale sans avoir obtenu satisfaction sur toute la ligne, de ses réserves, on peut aussi se demander si l’arrestation de ces soldats ivoiriens n’a pas un lien de cause à effet avec cette résolution onusienne. D’autant qu’à en croire l’armée ivoirienne, ces soldats devaient sécuriser des sites de la Minusma, notamment l’aéroport de Bamako qui demeure, quoi qu’on dise, un point hautement stratégique. A moins que tout cela ne procède finalement d’une volonté de faire beaucoup plus de place au partenaire russe Wagner.
« Le Pays »