ASSASSINAT DE NORBERT ZONGO : 18 ans après, la lampe reste toujours allumée
Il y a 18 ans, Henri Sebgo, de son vrai nom Norbert Zongo, journaliste d’investigation, fondateur et directeur de publication de l’hebdomadaire « L’Indépendant », au détour d’un chemin, à quelques encablures de Sapouy, tombait sous les balles assassines d’un escadron de la mort. Sa dépouille, comme le prouveront par la suite les enquêtes, subira l’ire de ses assassins qui, usant de lance-flammes, la feront cramer, la réduisant en cendres. Mais de mémoire de Burkinabè, jamais crime n’avait suscité autant d’indignation. Comme un seul homme, le peuple debout réclame justice et la bourrasque menace d’emporter le régime qui réussit, à force de manœuvres et de répressions, à imposer l’accalmie. Et cerise sur le gâteau, la justice obtient le non-lieu pour le présumé commanditaire du meurtre, le sulfureux François Compaoré, Conseiller et frère cadet du Chef de l’Etat, Blaise Compaoré ! Dix-huit ans donc après, la lampe symbolisant la quête de la vérité et de la justice pour Norbert Zongo, reste allumée. La chute de Blaise Compaoré, considéré comme le principal obstacle à cette quête, n’a pas encore produit les effets escomptés. En effet, après la réouverture du dossier sous la Transition avec l’inculpation de trois suspects, l’enquête a repris le rythme de l’aï. Et comme il fallait s’y attendre, la colère des Burkinabè ne retombe pas. Nombreux sont ceux-là qui trépignent d’impatience face au blocage de l’affaire alors qu’il existe un important fond de dossier constitué du rapport de la Commission d’enquête indépendante (CEI), du rapport du Collège de sages et sans nul doute aussi des rapports d’audition des trois inculpés. L’inquiétude est d’autant plus vive que dans l’ensemble, les Burkinabè ne font pas confiance à leur justice et soupçonnent certains ténors du régime actuel, accusés d’être liés au dossier, de faire des pieds et des mains pour l’ensevelir. Ce sentiment est bien compréhensible dans un dossier où les présumés coupables, comme les victimes de l’œil d’une malédiction, disparaissent l’un après l’autre ; emportant avec eux, dans le mutisme de leur tombe, leurs secrets. Au risque de prendre parti pour ces sceptiques, il faut le dire, il est temps de crever l’abcès.
Les Burkinabè doivent se méfier de toute forme de justice spectacle dictée par la rue
Vider ce dossier serait comme une catharsis sociale qui permettrait à la Nation de solder ses comptes avec son passé et de se projeter plus sereinement dans l’avenir. Car, non seulement cela permettrait d’assainir les relations avec les partenaires sociaux et d’enlever l’argument aux élèves qui usent de l’affaire annuellement pour saborder le premier trimestre de l’année scolaire, mais aussi à la famille Zongo de faire son deuil et, au passage, à la justice burkinabè de redorer son blason. Toutefois, même si l’on peut bien comprendre les craintes et l’impatience des populations, elles aussi doivent savoir raison garder. En effet, pendant les 16 ans qu’a couru le dossier sous le régime Compaoré, les assassins de Norbert Zongo ont recouvert d’une épaisse dalle, leurs traces. Il faut donc donner du temps aux limiers de la justice de détricoter l’épais tissu qui enveloppait le dossier. Les Burkinabè doivent donc savoir que la Justice a ses exigences et enfreindre à la moindre règle, peut vider le dossier de son contenu et aboutir à l’effet contraire. Tout ceci fait que l’agenda du juge ne peut être celui du politique. Les Burkinabè doivent d’ailleurs se méfier de toute forme de justice spectacle dictée par la rue. Ils en ont payé le prix avec les instructions mal ficelées dans le dossier du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. Il reste donc à souhaiter que la justice fasse, en toute impartialité, son travail jusqu’au bout et prenne conscience de l’impatience des Burkinabè.
SAHO